Ellen Page s’ajoute à la longue liste des personnes dénonçant la violence sexuelle à Hollywood, depuis que l’affaire Weinstein a ouvert les vannes et brisé l’omerta.
Dans un long post Facebook que je vous ai traduit dans sa quasi-intégralité, l’actrice qui sera bientôt à l’affiche de la série The Umbrella Academy sur Netflix prend la parole.
Elle parle des abus qui l’ont visée directement, mais aussi de l’omniprésence du sexisme à Hollywood, de la violence faite aux femmes aux États-Unis, et de la nécessité de briser l’omerta.
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Son récit commence en 2005, sur le tournage de X-Men : The Last Stand, des années avant le coming-out émouvant d’Ellen Page, le 14 février 2014.
Ellen Page accuse Brett Ratner de l’avoir « outée » sans son consentement
— Tu devrais la baiser pour qu’elle pige qu’elle est homo.
Il a dit ça, à mon propos, durant une réunion d’équipe avant qu’on ne commence à tourner X-Men : The Last Stand. J’avais dix-huit ans.
Il s’est adressé à une femme se tenant à mes côtés, plus vieille de dix ans, m’a pointée du doigt et a dit :
— Tu devrais la baiser pour qu’elle pige qu’elle est homo.
Il était le réalisateur du film, Brett Ratner.
J’étais une jeune adulte qui n’était pas encore sortie du placard, dans mon esprit. Je savais que j’étais homo… mais d’une certaine façon, je ne le savais pas.
J’ai eu l’impression qu’on violait mon intimité. J’ai fixé mes pieds, je n’ai rien dit, et j’ai continué à les regarder pendant que personne d’autre ne disait rien.
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Cet homme qui m’avait choisie pour le film a entamé nos mois de tournage avec cette demande horrible que rien ne motivait. Il m’a « outée » sans aucun égard pour mon bien-être, ce qui est homophobe, comme on le sait.
Pendant le tournage, il disait des choses dégradantes aux femmes. Je me souviens d’une femme s’avançant vers l’écran de contrôle pendant qu’il faisait des commentaires sur sa « grosse chatte ».
Nous avons tou•tes le droit de prendre conscience de notre orientation sexuelle en privé, comme nous le souhaitons.
J’étais jeune, mais j’étais déjà actrice depuis si longtemps que j’avais été en quelque sorte isolée, j’ai grandi sur des tournages au lieu d’être entourée de gens comme moi.
Cet « outing » public, agressif, m’a causé de la honte pour longtemps — l’une des pires conséquences de l’homophobie. Faire en sorte que quelqu’un ait honte de ce qu’il est, c’est une manipulation cruelle, qui vise à oppresser et à réprimer.
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On m’a volé plus que cette autonomie à me définir moi-même. Le commentaire de Ratner a résonné dans mon esprit à de nombreuses reprises, quand je subissais de l’homophobie et que je n’étais plus sûre de ce milieu ni d’y avoir un avenir.
La différence, c’est qu’à présent je peux m’affirmer et utiliser ma voix pour me battre contre le rejet des personnes queer et trans à Hollywood comme au-delà.
Grâce à ma position, j’espère pouvoir aider des gens ayant du mal à être acceptés, à se sentir libre d’être qui ils sont, à s’épanouir. […]
https://youtu.be/__XYJskC9Ho
Au bout d’un moment, j’ai eu une altercation avec Brett. Il insistait, en public, pour que je porte un t-shirt disant « Team Ratner ». J’ai dit non et il a insisté. Je lui ai répondu :
— Je ne suis pas dans ta team.
Plus tard ce jour-là, des producteurs du film sont venus me dire que « je ne pouvais pas lui parler ainsi ». On m’a réprimandée, mais on ne l’a pas puni pour son comportement abusif et homophobe.
J’étais une actrice inconnue. J’avais dix-huit ans et je n’étais pas équipée pour gérer cette situation.
Ellen Page, 16 ans, harcelée sexuellement à Hollywood
Ellen Page ne se contente pas d’accuser Brett Ratner. Les comportements sexistes ne sont pas des cas isolés, et il est important pour elle de le rappeler.
L’actrice revient sur plusieurs violences qu’elle a subies, alors qu’elle n’avait que seize ans.
Je suis actrice depuis que j’ai dix ans. J’ai eu la chance de travailler avec beaucoup de personnes honorables et respectueuses, devant comme derrière la caméra.
Mais le comportement que je décris ici est omniprésent. […]
Quand j’avais seize ans, un réalisateur m’a emmenée dîner (une obligation professionnelle très courante). Il a caressé ma jambe sous la table et a dit :
— C’est à toi de prendre les devants, moi je ne peux pas.
[…] J’ai été agressée sexuellement par un technicien quelques mois plus tard.
Un réalisateur m’a demandé de coucher avec un homme ayant la vingtaine bien tassée et de tout lui raconter ensuite. Je ne l’ai pas fait.
Tout ça, c’est juste ce qui m’est arrivé l’année de mes seize ans, la vie d’une adolescente dans le milieu du divertissement.
Ellen Page parle des violences sexuelles sur mineurs
Ellen Page fait ensuite référence aux personnes ayant dénoncé les violences sexuelles sur mineur•es dans le milieu de l’audiovisuel.
Regardez ce qui est arrivé aux mineur•es ayant dénoncé les agressions sexuelles à Hollywood.
Certain•es ne sont plus parmi nous, on les a perdu•es à cause des drogues, du suicide.
Ceux qui leur ont fait du mal ? Toujours en poste. Toujours protégés, à l’heure où je tape ces lignes.
L’exemple qui me vient immédiatement en tête est celui de Corey Feldman (Les Goonies, Stand By Me), qui était enfant-star dans le Hollywood des années 80.
En 2011, il a révélé avoir été victime d’un réseau pédophile actif à Hollywood. Cette année, en 2017, il a lancé la campagne de financement participatif TRUTH pour monter un documentaire sur le sujet.
https://www.youtube.com/watch?v=x8yhyvOGFRc
Vous savez de qui il s’agit ; on en parle derrière des portes closes comme on parlait de Weinstein.
Si moi, avec mes privilèges, je recule devant le risque de dire le nom d’une de ces personnes, de quelles options disposent ceux et celles qui n’ont pas ce que j’ai ?
Les femmes et les minorités, plus vulnérables face aux discriminations
Ellen Page se considère privilégiée : elle est blanche, elle est célèbre, elle a de l’argent, elle n’est pas trans… Elle tient donc à rappeler que d’autres femmes ont encore moins de chance qu’elle face au sexisme.
Rappelons-nous que l’épidémie des violences faites aux femmes, dans notre société, affecte en majorité les femmes issues de minorité […]
J’ai les moyens d’embaucher des gardes du corps si je me sens menacée. J’ai les ressources pour prendre soin de ma santé mentale. J’ai le privilège de cette plateforme qui me permet d’écrire et de publier ceci, alors que les femmes en marge de la société n’ont pas ces chances.
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La réalité, c’est que les femmes de couleur, trans, queer, natives américaines mènent ce combat depuis des décennies (depuis toujours, en fait). […]
Ce sont elles que nous devrions écouter.
Ellen Page ne veut plus qu’on protège les agresseurs
Ellen Page ne supporte plus la loi du silence autour des prédateurs sexuels. Et ça ne l’empêche pas de se remettre elle-même en question…
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Bill Cosby était connu pour être un prédateur. Les crimes sont les siens, mais beaucoup étaient complices. Beaucoup ont choisi de détourner le regard.
Harvey était connu pour être un prédateur. Les crimes sont les siens, mais beaucoup étaient complices. Beaucoup ont choisi de détourner le regard. […]
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Il paraît que le milieu dénonce le comportement de Weinstein et promet un changement en profondeur. Mais ne nous mentons pas, la liste est longue, et le status quo protège toujours.
Nous avons du pain sur la planche. Nous ne pouvons pas détourner le regard.
J’ai fait un film de Woody Allen. C’est mon plus grand regret au niveau professionnel. J’en ai honte. Je n’avais pas encore trouvé ma voix, je n’étais pas celle que je suis aujourd’hui, la pression était intense. […]
Je veux que ces hommes soient mis en face de leurs actions. Qu’ils n’aient plus de pouvoir. Qu’ils prennent le temps de réfléchir à qui ils sont sans leurs avocats, leurs millions, leurs voitures de luxe […]
Ce que je désire le plus, c’est que les victimes puissent guérir, grâce à tout cela. Qu’Hollywood se réveille et prenne ses responsabilités, car nous avons tou•tes joué un rôle. […]
Ellen Page nous encourage à agir, en tant que société
Ellen Page finit ce texte sur un cri du cœur. Un hommage aux courageuses victimes qui témoignent, mais aussi et surtout un rappel salutaire.
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Ce n’est que si nous bougeons, tou•tes, en tant que société, qu’on mettra fin au sexisme, à la culture du viol, et à ces omniprésentes violences sexuelles qui brisent tant de vie.
La violence faite aux femmes est une épidémie, dans ce pays et tout autour du globe. […]
Cette prise de conscience a bien du retard. […] La réponse, c’est l’inclusion et la représentation. […]
Ne nous permettons plus de faire la sourde oreille quand des victimes témoignent. N’arrêtons pas d’exiger nos droits fondamentaux.
Je suis reconnaissante envers tous ceux et celles qui prennent la parole, partagent la violence et le traumatisme qui leur ont été infligés. Vous brisez le silence. Vous êtes la révolution.
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Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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