Attention, cet article mentionne des faits de violences sexuelles et de pédocriminalité
« Enfant, je voyais les colonies de vacances comme des expériences incroyables. C’est plus tard que j’en ai découvert la face cachée. »
Anissa a 22 ans, plus de 800 000 abonnés sur TikTok, et elle est animatrice en colonies de vacances depuis quatre ans. Dans ce milieu qui confie des mineurs de tous âges aux soins d’animateurs et d’animatrices, elle a constaté rapidement des comportements « déplacés ».
Un euphémisme pour décrire une réalité très crue impliquant des agressions sexuelles, des relations propices à l’emprise, ou des viols. Devant le silence auquel elle fait face quand elle tente de signaler ces dérives, elle prend conscience que le problème est structurel et utilise son influence sur les réseaux sociaux pour lancer un mouvement au nom familier : Me Too Animation.
Madmoizelle : Sur vos réseaux sociaux, vous parlez beaucoup du temps que vous avez passé en colonie de vacances, et du fait que vous adoriez ça plus jeune. À quel moment avez-vous réalisé qu’il y avait un problème dans ce cadre ?
Anissa : J’ai passé mon enfance et mon adolescence en colo, et je n’ai jamais eu de problème. Je voyais les colonies de vacances comme des expériences incroyables… C’est plus tard que j’en ai découvert la face cachée.
À 17 ans, quand je suis devenue trop grande pour aller en colonie, j’ai décidé de passer le brevet d’aptitude aux fonctions d’animatrice. J’ai commencer à exercer en tant qu’animatrice en colonie de vacances cette même année.
Pendant cette colonie, j’ai remarqué qu’un collègue adulte était très proche d’une jeune fille de 16 ans. Moi, je mettais ça sur le dos d’une relation un peu paternelle parce qu’à cet âge-là, je sais qu’on peut avoir tendance à reproduire des relations familiales avec des adultes.
J’ai très vite compris que ce n’était pas le cas, et que c’était une relation qu’ils appelaient « amoureuse ». Entre un adulte, en position de superviseur (et donc de pouvoir) sur une mineure qui était à sa charge…
Mais à ce moment-là, j’avais 17 ans et j’avais peur de parler de la situation. Je n’ai pas fait remonter ce que j’avais appris.
Madmoizelle : À quel moment avez-vous lancé la première alerte ?
Dans les colonies suivantes où j’ai travaillé, j’ai vu cette situation se reproduire, et ça a été de pire en pire.
Il y a trois ans, une jeune fille m’a appris qu’une de ses amies était en couple avec un des animateurs de la colonie, que leur relation datait de ce moment-là, et qu’ils comptaient se revoir.
Cette fois-ci, j’ai alerté. J’en ai parlé à mes collègues, à la direction, mais on ne m’a pas crue. Il n’y a eu aucune suite… Mis à part que j’ai été mise de côté : j’ai senti un certain froid avec mes collègues, un manque de confiance. On me regardait en se disant « Elle, elle a une grande gueule, donc elle fait flipper. »
Forcément, quand tout le monde se protège, on éloigne les personnes qui osent dire ce qui se passe.
L’année suivante, j’ai arrêté de travailler en colo. J’étais mal, et ce que j’avais vu me travaillait beaucoup. Quand j’ai repris un an plus tard, j’ai décidé d’agir immédiatement, chaque fois que je constaterais quelque chose.
En prenant de l’âge et de la confiance en moi, des filles ont commencé à venir me voir pour me parler de choses inadmissibles et inquiétantes.
À partir de là, j’ai réalisé que quel que soit le cadre, l’organisme, le genre de colonie, le problème pouvait se reproduire, et que ces situations n’étaient pas isolées. C’est un problème structurel, qui touche tous les milieux, pas spécialement l’animation.
Madmoizelle : Quand vous avez commencé à en parler, comment votre discours a-t-il été reçu ?
Dans le cadre professionnel, j’ai vite ressenti une omerta : signaler n’aboutit pas toujours. Et puis, j’ai réalisé que quand on parle de violences sexuelles dans l’animation, tout le monde a tendance à s’imaginer une « histoire » entre une jeune fille de 17 ans et un animateur de 20 ans. La réalité, ce n’est pas seulement ça.
C’est aussi des cas de pédocriminalité dont les victimes sont des enfants de moins de 10 ans. C’est aussi parler des adolescentes pendant les réunions en les sexualisant et en commentant leur physique, les mains baladeuses dans la piscine, les animateurs ou animatrices (car les agresseurs ne sont pas tous des hommes) adultes qui écrivent à des mineurs pour leur dire « Je suis amoureux de toi, et si on se revoyait après la colonie ? ».
J’ai vu des animateurs décrire des positions sexuelles à des adolescentes, en leur disant qu’ils allaient « leur apprendre la vie sexuelle » — et cela n’avait rien avoir avec de la pédagogie ou de l’éducation sexuelle.
Madmoizelle : Quel a été le déclic qui a lancé MeToo Animation ?
Sur TikTok, j’ai fait trois vidéos sur ce sujet et en retour, j’ai reçu énormément de témoignages de personnes ayant été victimes de violences sexuelles pendant des colonies de vacances, ou en centres aéré.
Là, mon cœur s’est brisé. Je n’aurais jamais pu me douter que c’était arrivé, qu’après avoir couché les gamins en pensant que tout le monde était en sécurité, j’étais allée au lit en pensant que mon collègue dormait alors qu’en fait, il était dans les toilettes avec une fille de 15 ans, persuadée d’être amoureuse de l’animateur qui en avait 26.
Je m’en suis voulu de ne pas avoir réagi, même si je n’étais pas au courant. Je ne pouvais pas le savoir mais je me suis demandé ce que je n’avais pas fait, pas vu, je me suis excusée au nom de tous les animateurs, mais je ne savais pas quoi faire.
Dès le lendemain, j’ai sorti une vidéo, et j’ai décidé de sortir des choses concrètes, parce que ce n’était plus possible. Les colonies de l’été allaient recommencer, tous ces animateurs allaient pouvoir recommencer, et je savais que personne ne dirait rien.
Depuis le lancement du mouvement, je reçois énormément de témoignages. De victimes, mais aussi d’animateurs, de formateurs qui me disent « Merci d’en parler, ça fait des années que je vois des choses en colo, en centre aéré. »
J’ai envie de leur répondre : mais du coup, pendant ces années, tu as fait quoi ?
Je suis bien consciente que ma posture d’influenceuse a pu aider à lancer le mouvement. Mais n’importe qui peut créer un compte Instagram, n’importe qui peut dénoncer ça. Et jusqu’ici, personne n’a rien fait.
Madmoizelle : Les violences sexuelles sont-elles abordées pendant la formation au BAFA ?
La formation au BAFA est en trois parties, et dépend des organismes et des formateurs. La première, théorique, est celle où on pourrait avoir l’occasion d’en parler.
Dans le cas de la mienne, on a absolument pas été formés aux violences sexistes et sexuelles. On nous dit « C’est interdit d’embrasser un enfant », ce qui semble évident, mais on ne nous apprend pas à repérer des comportements inquiétants de la part des animateurs, ou de la part des enfants. On ne nous apprend pas à reconnaître un enfant qui vit des violences, que ce soit à la maison ou dans le cadres de notre encadrement.
J’ai aussi eu des retours d’animatrices qui me disaient « On nous demande souvent si on est formées au violences sexistes et sexuelles mais moi, pendant mon BAFA mon formateur m’a violée ». Si les formateurs sont eux-mêmes violent, pourquoi est-ce qu’ils nous formeraient ?
Madmoizelle : Qu’est-ce que vous préconisez pour changer cette situation ?
Parce que c’est un problème structurel, il faut changer la formation des animateurs et animatrices, les éduquer aux violences sexistes et sexuelles et notamment aux comportements alarmants : un adulte trop tactile, des échanges par SMS…
On pourrait aussi, dans chaque colonie, avoir un ou une référente violences sexistes et sexuelles, pour que tout le monde sache qui aller voir en cas de problèmes, que les enfants puissent se confier et être aidés.
Il est important de faire de la prévention auprès des enfants : on peut parler de pédocriminalité, avec les bons mots, à des enfants même jeunes. Cela leur permet d’avoir les bons mots ensuite, pour expliquer ce qu’ils vivent. Et jusqu’au lycée, cette prévention a sa place pour permettre aux victimes de sortir du silence et de la culpabilité.
Le Me Too Animation, ce n’est pas seulement les colonies de vacances, ça touche tout le domaine : les centres aérés, les entraîneurs dans le milieu sportif, les animation sur le temps du midi ou de la récré à l’école…
Ce n’est pas normal que des parents placent leurs enfants dans des lieux où ils sont censés être en sécurité et que des violences comme ça se produisent.
Madmoizelle : Maintenant que l’alerte est lancée, quelles suites peut-on espérer ?
Lancer l’alerte, c’était le plus important pour moi. Maintenant, il faut lutter pour qu’on puisse faire de la prévention.
Bientôt, Me Too Animation deviendra une association, pour pouvoir intervenir dans les écoles afin d’intervenir sur ces sujets. Il y a aussi beaucoup de choses à changer avec le BAFA, pour lesquelles nous luttons. Il faut que les choses changent, et vite !
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Crédit photo : Tiegan Merle / Unsplash
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