Qui décide des futurs emojis qui apparaîtront dans nos téléphones ? Jennifer Daniel, entre autres ! Première femme à diriger le sous-comité Emoji du Consortium Unicode (une organisation à but non-lucratif), elle est également une ardente défenseure des emojis inclusifs.
À l’heure où de nouveaux emojis vont faire leur apparition sur nos smartphones — comme une boule à facettes, un corail, une bouée ou encore un smiley qui fond et un homme enceint — Jennifer Daniel nous raconte son travail hors du commun et son rapport aux icônes devenues incontournables.
Interview de Jennifer Daniel, présidente des Emojis (en gros)
Madmoizelle : Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?
Jennifer Daniel : Je m’appelle Jennifer Daniel. Je suis présidente du sous-comité Emoji du Consortium Unicode.
Ma carrière a été un pot-pourri de beaucoup de choses différentes. J’écris des livres, j’ai été rédactrice graphique au New York Times pendant 10 ans, puis j’ai suivi mon amour en Californie qui cherchait alors un travail dans la technologie et qui s’est tourné vers Google. Finalement, j’ai moi aussi rejoint Google.
En quoi consiste une journée type au sein de Consortium Unicode ?
Je tiens à préciser que nous ne sommes pas salariés chez Unicode, mais bénévoles.
Nous nous réunissons deux fois par semaine, mais il n’y a pas de journée type. Le calendrier est toutefois plutôt chargé, surtout pendant la période d’examen des propositions qui s’étend d’avril à août !
Une fois la nouvelle liste d’emojis actée, nous rencontrons des experts pour mieux comprendre le futur emoji en question. Pour une méduse par exemple, je vais rencontrer des biologistes de la vie marine afin de connaître les caractéristiques essentielles de l’animal qui devront apparaître dans le dessin final.
Justement, comment réussir à ce qu’un emoji puisse être compréhensible par tous et toutes ? Un symbole avec les mains jointes peut être polysémique et exprimer une prière pour certains, un high five pour d’autres par exemple.
Les emojis ne peuvent pas être universellement compris. Les gestes de la main signifient en effet des choses bien différentes dans les cultures des quatre coins du monde. C’est justement une richesse et cela ne veut pas forcément créer de la confusion.
La personne qui envoie l’émoji et celle qui le reçoit auront certainement le même degré de compréhension.
Pourquoi ressentons-nous le besoin d’utiliser des emojis ?
Nous pouvons bien évidemment utiliser des mots, mais 80% de la communication est non-verbale. Les emojis ne sont pas seulement mignons mais fonctionnels. Ils permettent de transmettre un ton, une intention, une émotion, une nuance.
Ils sont devenus des talismans numériques importants pour la façon dont nous nous exprimons et nous nous identifions, et pour notre empathie envers les autres.
Votre première contribution au sein de Consortium Unicode a été de standardiser les représentations inclusives de genre dans les emojis. Vous avez notamment introduit une alternative de genre à Père et Mère Noël, une personne non sexuée allaitant son bébé non sexué, ainsi qu’un visage masculin portant un voile de marié. Comment avez-vous décidé de porter ce combat d’emojis plus inclusifs ?
Je ne le perçois pas vraiment comme un combat, plutôt comme une réparation.
Le problème vient de la terminologie des emojis. Plutôt que de définir un emoji « femme enceinte », il aurait été préférable, dès le début, de le nommer « personne à ventre gonflé » ou quelque chose comme ça. Vu qu’on ne peut pas modifier les emojis déjà existants, on en crée des nouveaux, d’où la sortie prochaine de l’emoji « homme à ventre gonflé » pour équilibrer avec celui de la femme.
Plus les emojis seront métaphoriquement nommés, plus ils seront utilisés de manière détournée. Libre à chacun d’utiliser le symbole d’une personne au ventre gonflé comme bon lui semble ; soit pour dire qu’elle est enceinte, soit pour dire qu’elle a trop mangé.
La beauté des emojis réside dans la façon dont ils sont utilisés, beaucoup plus créative que celle pensée lors de leur élaboration.
Quel est votre emoji préféré ?
Je n’en ai pas un en particulier. Je joue avec les emojis et leur sens. J’en insère par exemple entre les lettres d’un mot pour accentuer mon propos.
Ces temps-ci, j’utilise beaucoup l’emoji volcan. Au lieu d’utiliser l’emoji de la tête qui explose pour indiquer que quelque chose est surprenant, surtout si c’est négatif, je préfère celui du volcan qui souligne davantage la colère.
Et celui que vous aimeriez inventer ?
J’aimerais une expression faciale qui indique qu’on est en écoute attentive. Il faudrait réussir à façonner l’emoji qui puisse exprimer cette idée, mais il est difficile de traduire un langage corporel en un seul emoji !
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Crédit image de Une : Google
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