KIKOO ELISE COSTA ! Tu es connue comme le loup blanc sur madmoiZelle, notamment sous l’ingénieux pseudo Pr. Bobby Freckles, auteur des Instants Putassiers, ou encore en tant que grande prêtresse des Trouvailles-de-l’Internet-pour-bien-commencer-la-semaine, mais on n’a jamais réellement causé de ton métier (sur madmoiZelle et ailleurs)… d’ailleurs, tu l’appelles comment, ton métier ? Quand t’es dans une soirée parisienne et qu’on te demande “tu fais quoi dans la vie ?”, tu réponds quoi ?
Cher Fabrice Florent, Pour avoir dit kikoo, sache déjà que je te souhaite une bonne diarrhée. En fait, pour faire au plus simple – et parce que c’est mon statut professionnel – je dis « journaliste ». Mais j’ai un peu de mal à me considérer comme telle, à cause de tout ce que ça implique. Si je ne venais pas de rencontrer cette personne en soirée et que je la connaissais depuis un peu plus longtemps, je lui dirais que je suis « chroniqueuse pop-culture ».
“Chroniqueuse” ou “journaliste”, ça restreint un peu le champ de tes activités, non ? Je pense notamment à ce fabuleux livre que tu as sorti il y a 2 ans, Comment je n’ai pas rencontré Britney Spears. Tu considères que c’est une “filiale” de ton activité-mère de “chroniqueuse pop-culture” ? Une extension ? Parce qu’on peut pas dire que ça soit le même travail, de pondre tant d’articles par semaine et de bosser sur un projet à long terme comme ton bouquin.
Bah, après seulement un livre, je sais pas si on peut vraiment dire que je suis écrivain. Même si ce serait bien chouette de ne faire que ça à plein temps, la liberté est aussi une drogue, et je pense que je finirais mal. J’ai besoin d’écrire sur d’autres supports, pour d’autres gens, sur d’autres sujets. Sûr que c’est très différent en terme de rythme et de rigueur, mais je ne pense pas que l’on puisse bien écrire si l’on n’écrit pas tous les jours et que l’on ne confronte pas son travail aux lecteurs. Sinon, on rouille du poignet. C’est pas tant une filiale – mon blog, par exemple, est une filiale – qu’un job nécessaire et complémentaire.
On reviendra un peu plus tard à cette exigence d’écriture que tu évoques, mais avant ça, j’voudrais faire un petit point “ton parcours, tes études”. A priori, il n’existe pas de formation “M2 Chroniqueuse spécialité pop-culture”, si bien que tu es passée par un chemin qui n’a rien à voir (comme souvent) : LE DROIT. Tout d’abord : pourquoi ? C’est une erreur d’orientation ? Et ensuite : comment on passe de “Bonjour je suis juriste” à “Bonjour je suis chroniqueuse pop-culture” ? Y a-t-il eu des étapes ? Lesquelles ? Cette question est-elle beaucoup trop longue ?
Parce que quand tu dois choisir ta voie à 17 ans, tu fais quoi ? J’ai toujours aimé écrire – en ce sens, disons les choses comme une chanson de Shy’m : “mon job est ma passion” – mais qui se dit, à cet âge-là, “Plus tard, je vivrai de mon écriture” ? Vouloir faire ce qu’on veut ne sous-entend pas que l’on doit être tête brûlée. J’avais trop envie d’apprendre, et puis j’avais de vrais comptes à régler avec l’injustice, et défendre la veuve et l’orphelin me paraissait être une bonne option. Quand soudain, une autre réalité vient te claquer dans la tronche : les choses, surtout en droit, ne sont jamais binaires. Mais faut pas croire, ma spécialité (droit de l’INTERNET) a vraiment été, pendant un temps, une bonne raison de me lever le matin. Et finalement, c’est ce qui m’a permis d’en arriver là : un jour, j’ai donné des cours (en droit de l’INTERNET) aux rédac-chefs d’un magazine en ligne qui se montait, et comme ça me plaisait, j’y ai posté quelques trucs. Des canards m’ont alors proposé de piger pour eux. Six mois plus tard, je faisais ça à plein temps. L’étape la plus importante, c’est quand des gens qui ont plus de bouteille que toi te font confiance. Le type qui est persuadé d’avoir réussi tout seul dans ce milieu est un salopard : on réussit parce qu’à un moment donné, quelqu’un y a cru aussi.
Comment se passent tes journées de boulot ? Est-ce que le cliché de Carrie Bradshaw, jogging + bigoudis, clope à la main assise sur ton lit, en train de songer à ce que tu vas écrire et à tapoter frénétiquement sur ton MACINTOSH, est vraiment une idée reçue ?
Carrie Bradshaw, cette femme triste, véhicule un sacré paquet de clichés, mais je me reconnais assez dans son cadre de travail
. Je travaille dans mon lit car c’est une gigantesque table de travail où je peux ouvrir 4 ou 5 livres en même temps + 1 ou 2 dictionnaires et m’étendre.
Quand j’écris d’une traite, je le fais dans mon fauteuil de lecture, qui ressemble à un bouledogue avec un repose-pied. En revanche je ne tapote pas frénétiquement, sauf tard dans la nuit parce qu’alors j’ai le cerveau en pleine ébullition, quand l’inspiration pure t’est soufflée par Morphée parce qu’il ne t’a pas vaincue au bras de fer. Par ailleurs, j’aimerais que cette dernière phrase figure en gras dans cette lettre.
Elle le sera. Tu parlais de t’astreindre à écrire tous les jours, un peu plus tôt dans cette causerie épistolaire. Y a des jours où ça veut pas ? Où ça vient pas ? Tu fais quoi dans ces cas-là ? Tu retournes te coucher en espérant que ça aille mieux le lendemain ? Ou tu t’obstines, tu fais les 100 pas, tu fumes cigarette sur cigarette, tu te drogues pour mieux appeler à toi l’inspiration ?
Est-ce qu’on a tous envie, chaque jour que Dieu fait, de se mettre au boulot ? Bon, quand ça ne vient pas, je n’en fais pas une maladie. Je vais chercher l’inspiration par les testicules, je la regarde droit dans les yeux, et je lui demande poliment de bien vouloir cesser de d’emmerder. Quand, je vois, au bout de deux heures, que ce que je ponds ne serait même pas bon à figurer dans un torchon, je lis, je regarde un film, je me documente pour un prochain papier, et je cherche des nouveaux groupes à écouter. La pompe est parfois sèche, et dans ce cas faut la remplir. À ne pas confondre avec la flemme de l’inspiration, où dans ce cas il suffit de forcer un peu (“tirer la chaise vers la table”, comme disait Voltaire).
Est-ce que tu pourrais terminer, si tu veux bien, par prodiguer quelques conseils de ton cru à nos charmantes madmoiZelles qui voudraient vivre de leur plume ? Même si tu en as disséminé ici et là tout au long de cette conversation, peut-être voudrais-tu en profiter pour les graver dans la roche, comme dirait l’autre ?
C’est difficile de donner des conseils universels, mais ce qui a plutôt bien marché pour moi jusqu’à maintenant c’est : lire tout le temps et bosser. Sans lecture intensive, on ne maîtrise jamais l’écriture. Il ne faut pas non plus croire que l’on devient auteur au premier jet, c’est surtout beaucoup de travail, relire, repenser le truc, réécrire 10 fois, couper. En somme, passez plus de temps à écrire qu’à dire que vous le faites.
Écrire une fois sous une substance qui a altéré ses capacités intellectuelles et relire le tout le lendemain aide à en apprendre un peu plus sur le mythe du génie défoncé. Inspirez-vous des autres, mais digérez les informations avant. Ne pas écrire pour des mauvaises raisons, ça se verra toujours. Ne pas écrire sur-énervé à la 1ère personne si ce n’est pas un texte de fiction, personne n’entendra le propos. Ne pas abuser des adverbes. Faire des recherches approfondies, trouver les sources, ne jamais rien emprunter à personne sans le citer. Avoir un diplôme, une autre formation : ne vivre que de sa plume peut s’avérer rude et mieux vaut se prévoir une porte de sortie au cas où. Se méfier des dithyrambes comme des critiques stériles. Être curieux quoiqu’il arrive – sauf avec les dealers. Bosser gratuitement au début s’il le faut, demander à être payé correctement ensuite, ne jamais travailler bon marché sous prétexte que l’on aime ce que l’on fait. En résumé : “Work hard, play hard”.
MERSEA ELISE COSTA !
- Retrouvez les articles d’Élise sur madmoiZelle et les Instants Putassiers du Pr. Bobby Freckles
- Les chroniques Livres d’Élise Costa
- Comment je n’ai pas rencontré Britney Spears (Ed. Rue Fromentin)
- Le blog d’Élise -> elixie.org
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires