On ne pouvait pas trouver meilleur exemple de la vitalité de la culture du viol qu’en découvrant ce matin l’histoire de Barbara dans Mediapart. Cette sexagénaire a été sanctionnée par la justice dans le cadre de son divorce. Ce qu’on lui reproche ? Avoir refusé d’avoir des relations sexuelles avec son mari.
Vous avez bien lu. Nous sommes en 2021.
Quand la loi valide la culture du viol
À la faveur de l’interprétation de plusieurs articles du Code civil, il a été possible pour la cour d’appel de Versailles, puis pour la Cour de cassation, d’établir que Barbara est fautive et que son refus d’avoir des relations sexuelles avec son mari constitue « une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage, rendant intolérable le maintien de la vie commune ».
Qui l’eût cru que quand le maire vous dit le jour de votre mariage, conformément à l’article 212 du Code civil, que les époux se doivent « mutuellement respect, fidélité, secours, assistance », cela signifie aussi pour certaines magistrats de devoir se forcer à avoir des relations sexuelles.
Si ce verdict est possible aujourd’hui, c’est aussi parce que d’autres affaires, y compris récentes, se sont soldées de la même façon, et que d’autres femmes avant Barbara se sont vues reprocher par la justice l’absence de relations sexuelles durant leur mariage, comme l’explique Mediapart : « « En 1964, la Cour de cassation a validé un divorce aux torts d’un conjoint qui était dans « l’incapacité à faire face aux devoirs de mari ». En 1996, la cour d’appel de Nancy a prononcé un divorce aux torts partagés en estimant que l’épouse avait « refusé fréquemment d’avoir des rapports intimes » et que son mari, « exprimant son aspiration à un minimum de vie personnelle au détriment d’une vie conjugale normale », avait « délaissé son épouse en s’abstenant fréquemment ». En 2011, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné un homme au divorce à ses torts exclusifs et à verser 10.000 euros de dommages et intérêts à son ex-épouse au motif que les rapports sexuels étaient insuffisants durant leurs vingt et un ans de mariage. »
Comment ne pas être en colère en apprenant que la loi peut encore si facilement être utilisée dans une procédure de divorce pour rendre acceptable ce qui s’apparente tout simplement à du viol conjugal ? Comment ne pas avoir envie de tout brûler en apprenant qu’il est toujours possible d’interpréter les « devoirs et obligations du mariage » de l’article 242 pour légitimer le fait d’imposer des relations sexuelles ?
Le devoir conjugal, une notion arriérée et sexiste, mais toujours d’actualité
« Personne ne peut forcer personne », explique dans une interview à L’Est Républicain Julie Mattiussi, chercheuse en droit à l’université de Haute-Alsace qui a travaillé sur la notion de « devoir conjugal » :
« Mais si on refuse, il y aura des conséquences et les conséquences c’est d’être en tort dans le cadre d’un divorce pour faute. Dans ce cas, le refus récurrent d’avoir des relations sexuelles devient un argument pour celui qui souhaite démontrer sa faute pour pouvoir divorcer. Et le refus récurrent peut même donner lieu à l’obtention de dommages et intérêts au profit de celui qui s’estime victime de ne pas avoir pu avoir suffisamment de relations sexuelles. »
Et si l’argument du devoir conjugal reste peu utilisé dans les procédures de divorce, il garde selon la spécialiste un « poids symbolique énorme » :
« Il vient en renfort d’une norme sociale qui est extrêmement forte et qui pèse sur les esprits de tout le monde, c’est-à-dire les femmes qui craquent, les juges qui jugent, et les maris qui insistent. Ça joue sur la perception que les magistrats ont du couple. »
« Plusieurs juges se sont exonérés de la valeur du consentement », a expliqué Barbara à Mediapart.
« Ils ont décidé collégialement de me condamner parce que je suis une femme mariée. Ce jugement implique-t-il que toute femme mariée doive subir les exigences sexuelles de son mari quand elle n’est pas d’accord ? Le mariage donne-t-il ce droit ? »
Barbara est soutenue par la Fondation des Femmes et par le Collectif féministe contre le viol (CFCV). Les deux organisations ont tenu à rappeler que « le mariage n’est pas et ne doit pas être une servitude sexuelle » :
« Il est fondamental qu’en France, les juges ne puissent plus imposer de manière directe ou indirecte aux femmes une obligation d’avoir des relations sexuelles. Laisser perdurer le “devoir conjugal” c’est maintenir un outil d’intimidation pour les agresseurs sexuels violeurs au sein du couple et nier l’existence dans notre Code pénal, du crime aggravé de viol conjugal. »
L’affaire va être portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, une juridiction qui veille aux droits humains et des libertés fondamentales. Les avocates en charge du dossier tenteront de montrer que le verdict de la justice française contrevient au droit à la dignité et à la liberté, ainsi qu’au droit à la vie privée, tels qu’ils sont inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme.
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