Nous l’avons déjà constaté ensemble : parfois, nous ne sommes pas bien futés. Ou disons plutôt que nos cerveaux, paresseux et désireux de prendre des raccourcis cognitifs, émettent parfois des jugements irrationnels, ce qui pourrait bien être handicapant dans certaines situations sociales. Par exemple, lorsque je rencontre quelqu’un, je me fais tout un tas d’idées sur lui, avant même qu’il ne me dise bonjour, oui ou merde. Et je vous le donne en mille, si d’aventure ce quelqu’un est beau, j’imagine qu’il est forcément aussi sympathique et chaleureux, je fais automatiquement des « inférences » à partir de ma seule observation.
En psychologie sociale, les études sur la « formation d’impression sur autrui » nous apprennent quelques trucs sur notre façon de percevoir les autres.
L’effet Halo : généraliser la première impression
Concept classique, l’effet halo est un biais perceptuel : si vous rencontrez une personne qui a l’air chouette, vous la percevrez par exemple comme chouette ET intelligente, jusqu’à ce qu’on vous prouve le contraire. Autrement dit, nous aurions tous tendance à généraliser la première impression que l’on a de quelqu’un. Si celle-ci est favorable, alors j’interpréterais favorablement ce que cette personne dit ou fait (effet halo positif) ; à l’inverse, si ma première impression est défavorable, je verrais ses actes sous un prisme négatif (effet halo négatif). Vous voyez ?
L’idée, c’est que nous attribuons à des gens des traits de personnalité, sur la base d’une seule observation… Et que dans nos caboches, certains traits vont être associés alors même qu’ils sont indépendants. Pour illustrer, disons que quelqu’un d’attrayant va nous paraître plus intelligent que quelqu’un de repoussant ; ou encore que nous jugerons quelqu’un qui porte des lunettes comme plus sérieux que quelqu’un qui n’en a pas (sérieux ou hipster – tout dépendra de la forme).
Ce phénomène est drôlement pratique pour les stars, les politiciens, les personnes publiques : tout ce joli monde pourra tenter d’apparaître chaleureux et compétent sans même avoir une substance de fond. M’est avis que c’est par ailleurs ce qu’a magistralement tenté de faire Copé face à Hollande lors de l’émission Des paroles et des actes : utiliser une flopée de termes péjoratifs (FH est mou, flou, c’est une blague) pour le flanquer d’une image globale négative (FH est incompétent, léger, voire inconscient). Vous demandez des preuves ?
Quelques recherches scientifiques à se mettre sous la dent
En 1975, Cliford se penche sur le cas des enseignants : leurs perceptions des enfants peuvent-elles être biaisées ? Dans son expérience, les professeurs doivent décrire des enfants sur plusieurs dimensions (intelligence, évaluation des chances de succès scolaire, évaluation de l’intérêt probable de leurs parents pour leurs activités scolaires) d’après leurs photos.
Moralité : un enfant jugé « beau » par les sujets sera perçu comme plus intelligent, ayant plus de chances de succès, et ayant forcément des parents plus investis dans leurs carrières scolaires… Tout ceci en comparaison avec un enfant jugé laid. L’expérience ne jette pas l’opprobre sur les enseignants, nous sommes tous relativement soumis au même mécanisme…
Ainsi, lorsqu’Asch (1946) mène une expérience sur ce thème, la majorité des individus présents tombent dans le panneau. Deux groupes de sujets sont formés – on donne à tous une liste de d’adjectifs décrivant une personne (intelligente, habile, travailleuse, déterminée, pratique, prudente). La liste est la même pour les deux groupes, à l’exception d’un mot : dans le premier est ajouté le mot « chaleureux », dans le second, le mot « froid ». Après lecture des listes, les membres des groupes doivent donner leur impression sur cette personne : banco, les portraits dressés sont complètement différents, alors même qu’un seul mot change dans les descriptions…
Un seul trait peut changer la perception de l’ensemble. Les impressions que nous avons d’autrui ne tiennent donc à pas grand-chose – le problème, c’est qu’elles sont extrêmement difficiles à changer.
Pour les psychologues sociaux (Bruner et Tagiuri, 1954 ; Rosenberg, 1977), nous construisons des « théories implicites de la personnalité », des théories naïves qui naissent de nos croyances quotidiennes sur la personnalité, qui viennent du « bon sens ». Au travers de ces théories, nous estimons que certains traits vont ensemble et d’autres non, sans aucun critère objectif de validité (par exemple, nous associerons intelligent avec sérieux, ou extraverti avec léger)…
Ces théories sont qualifiées d’implicites car nous les utilisons sans savoir les expliquer, en nous appuyant sur la fameuse « sagesse populaire ».
Le truc, c’est qu’en plus d’être de sacrés cons, nous sommes aussi de sacrés cons qui s’ignorent ; figurez-vous que nous ne comprenons même pas que nous faisons ce type de choses lorsque nous les faisons. En 1977, Nisbett & Wilson souhaitent examiner la manière dont les étudiants construisent un jugement sur un « lecteur » (pour la compréhension, disons que le lecteur est l’équivalent de nos chargés de T.D.). Ces fifrelins de chercheurs mobilisent des étudiants sous un faux prétexte (une étude sur l’évaluation d’enseignants), les répartissent en deux groupes et leur diffusent deux vidéos différentes du même lecteur (qui par ailleurs a un fort accent belge – vous verrez, c’est un détail important). Dans ces vidéos, le lecteur répond à une même série de question, avec les mêmes réponses. La seule différence : dans la vidéo diffusée au premier groupe, le lecteur répond de façon chaleureuse et amicale tandis que dans la vidéo diffusée au second groupe, il se montre distant et froid.
Après visionnage, les étudiants doivent évaluer le lecteur sur plusieurs critères ; son apparence physique, ses manières (les mêmes dans les deux vidéos) et son accent. L’effet Halo dans toute sa splendeur : les étudiants ayant vu la version sympa du lecteur jugent le lecteur plus attrayant, apprécient plus ses manières et aiment plus son accent que les étudiants ayant vu la version ronchon. Les chercheurs ne s’arrêtent pas là, les bougres, et suggèrent aux étudiants que leurs évaluations ont peut-être été influencées par le fait qu’ils appréciaient ou non le lecteur…
La majorité d’entre eux le nie et affirme que les évaluations des attributs du lecteur sont complètement indépendantes du fait qu’ils l’apprécient ou ne l’apprécient pas. Pour le dire autrement, il semble que nous refusons de croire que nos jugements sont marqués par nos impressions, que nous ne pouvons pas admettre que nous sommes difficilement capables d’évaluer de façon neutre ou indépendante de nos émotions, de nos affects… Il est probable que l’effet Halo, doublé du déni de l’effet Halo, se transforme en jackpot pour celui qui sait le manier : les politiciens pourront jouer sur nos cordes sensibles en affirmant faire appel à notre raison, Shakira pourra se faire passer pour notre grande sœur en empochant le magot et les marketeux pourront nous vendre un tee-shirt au triple de sa valeur juste en accrochant un logo dessus…
C’est moi ou cet article se termine un peu en « triste monde tragique » ?
Pour aller plus loin
– Un article sur le déni de l’effet Halo – Un article de la rockstar psychosociale Beauvois sur les T.I.P. – Et le site qui fourmille d’exemples d’expériences
Les Commentaires
Je crois en effet que nous sommes tous victimes de l'effet de Halo. Mais en prenant conscience de ces mécanismes, en les expliquant au plus grand nombre (une fois encore, et encore, merci Justine_ !), il est possible d'en réduire les conséquences. A quoi bon, sinon, étudier ces phénomènes ?
Il y a une petite astuce que j'utilise, et qui personnellement me rend la vie un poil plus jolie. Quand je rencontre une personne, et quelle que soit la première impression qu'elle m'ait faite (et surtout, surtout si cette première impression est négative), je vais essayer d'aller lui parler un peu, et de choisir une conversation qui puisse la mettre en valeur (parler d'une de ses passions, de ses réussites, etc.). En gros : essayer de découvrir ses aspects positifs, plutôt que de rester bloquée sur la couleur immonde de ses chaussures, sa voix nasillarde, ou ses gestes saccadés. Et ça marche. Bon évidemment parfois, on tombe sur quelqu'un avec qui on n'a absolument aucun atome crochu, voire même sur de vrais cons. Mais la plupart du temps, on réalise qu'il ou elle est finalement moins con, moins fermé d'esprit, plus drôle qu'il/elle n'en a l'air.
Et en prime, on se tape la satisfaction d'avoir fait "un truc bien". Et peut-être même qu'on y a gagné un nouveau pote.