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"Sai de Silva / Unsplash"
Parentalité

Éduquer ses enfants avec des valeurs féministes, ok cool, mais on fait comment ?

À quoi ça ressemble, pour vous, une éducation féministe ? C’est la question que nous vous avons posé lors de notre dernier appel à témoignage. Des choix non genrés aux rendez-vous avec les directeurs d’école, vos réponses sont aussi diverses que vos expériences de la maternité !

Transmettre des valeurs féministes à ses enfants pour participer à créer des générations futures plus égalitaires que la nôtre, sur le papier ça semble être une bonne idée qui met plein de parents d’accord. Mais, concrètement, comment fait-on pour être une mère féministe ? Cinq lectrices nous ont raconté leur cheminement.

Comment éduquer son fils au féminisme

Mélissa*, 29 ans, n’a pas été éduquée dans un environnement ouvertement féministe. Mais sa mère lui a transmis des valeurs fortes d’égalité et d’ouverture d’esprit, qui ont largement participé à son éveil à la question.

« Adolescente, je ne connaissais pas encore le concept, mais j’étais déjà outrée par les inégalités hommes-femmes et par tout ce que les femmes avaient pu subir à travers l’histoire. Mais c’est vraiment quand le sujet est devenu moins tabou et plus diffusé que j’ai pu m’identifier en tant que féministe ou humaniste, pour revendiquer l’équité. »

La maternité a accentué son envie de mieux faire et de s’engager. Pour elle, la pédagogie est importante : envers son entourage, auprès duquel elle refuse de laisser passer des remarques sexistes, mais aussi envers son fils, qu’elle tient à éduquer « en dehors des clichés ».

« Je voudrais non seulement créer un environnement sain pour mon fils, mais aussi qu’il y contribue en grandissant. Pour l’instant, il n’a que 16 mois, mais nous tenons à le faire grandir dans un univers non genré dont nous espérons qu’il lui permettra de remettre en question les codes qu’on impose très tôt aux enfants. »

Pour elle, une éducation féministe est avant tout une éducation à la bienveillance, au respect d’autrui et à l’ouverture d’esprit.

« Mon conjoint aussi a grandi dans le féminisme. Il partage mon point de vue, et nous avons le même désir d’éducation pour notre fils : nous souhaitons le soutenir quoiqu’il choisisse de faire. Que ce soit de la danse ou du rugby, s’il veut se mettre du vernis, s’il veut porter une coupe de cheveux de footballeur et un diamant à l’oreille… Tant qu’il aime et qu’il assume, on le soutiendra.

Et surtout, nous souhaitons qu’il accorde de la valeur au respect d’autrui, à l’équité et l’égalité, et à la bienveillance. Je pense que ce sera le fil conducteur de notre éducation féministe ! Je m’en voudrais terriblement si mon propre fils grandissait avec une mentalité de boomer, j’aurais clairement raté quelque chose ! » 

Pourquoi offrir une éducation non genrée à ses enfants

Pour Célia* aussi, la mise en place d’une éducation non genrée pour ses enfants est une priorité. D’ailleurs, c’est cet impératif qui a fait basculer sa vision du monde pendant sa première grossesse.

« Avant d’être mère, je ne me considérais pas franchement féministe : mon engagement se limitait à m’insurger quand mes parents me confiaient les tâches ménagères pendant que mon frère pouvait regarder la télé. On me répondait « c’est comme ça, c’est normal ». Quand je suis tombée enceinte, ma vision des choses avait déjà évolué.

Mon conjoint et moi étions d’accord pour dire que notre enfant serait élevé de la même manière qu’il soit fille ou garçon. Quand nous avons appris son sexe, nous l’avons d’ailleurs caché à notre entourage pour qu’il n’y ait aucune influence genrée avant sa naissance, notamment dans les cadeaux que nous recevions. On était vraiment obnubilés par ça, à tel point que nous supprimions tout ce qui était purement étiqueté « garçon ». Nous avons réitéré ce schéma avec la naissance de notre fille. »

L’éducation féministe : des valeurs fortes et des interrogations

Or, quand les enfants grandissent et qu’ils commencent à avoir la possibilité de prendre leurs propres décisions, les choix qu’ils et elles font peuvent interroger les parents. C’est le cas pour Célia et son conjoint, qui s’interrogent.

« Le problème s’est posé quand nous avons vu que notre fils était toujours attiré par le bleu. Ça nous a beaucoup contrariés, mais nous l’avons bien sûr laissé libre de ses choix.

Ma fille aussi veut absolument des « trucs de filles » depuis qu’elle va à l’école. D’ailleurs, ça m’a beaucoup perturbée, car je ne suis pas vraiment « féminine » (je me maquille très rarement, je ne m’épile presque plus et je suis no bra). Elle a voulu une chambre rose, du maquillage, ne porter que des robes… Même si ses choix m’ont interrogée, nous n’allons jamais contre ses envies .Et quand son frère demande à mettre du maquillage aussi ou une robe, on accepte. Comme sa sœur, il peut tout faire ! »

Pour elle et son conjoint, l’éducation féministe passe aussi par l’attention qu’ils apportent à la manière dont se construit leur fille, dans un monde sexiste.

« Pour notre fille, c’est vraiment un combat chaque jour. Plus que lui enseigner le féminisme, c’est l’influence du sexisme que nous essayons de limiter au maximum. Elle a 5 ans aujourd’hui, et elle a tendance à juste dire qu’elle est « jolie comme une princesse. » Donc je repasse derrière en lui disant qu’elle n’est pas que ça. Je lui répète chaque jour les mots que j’aurais aimé qu’on me dise quand j’étais petite : « tu es forte, tu es courageuse, tu es intelligente, tu peux tout faire ». »

Être une mère féministe : la force de l’exemple

Pour Karine*, qui aura bientôt 40 ans, c’est la force de l’exemple qui est importante dans une éducation féministe. Elle qui a vécu des violences et une emprise forte de la part du père de ses deux filles, est déterminée à leur montrer un autre modèle.

« J’ai été une femme sous emprise, longtemps. Par le père de mes deux filles, qui a été violent pendant nos deux dernières années ensemble.

Durant ces années difficiles, j’ai noué une amitié amoureuse avec un homme, appelons-le Pierre, qui était dans le même cas que moi, et nous nous soutenions mutuellement. Il m’a aidée à réaliser que mes filles méritaient un meilleur modèle. Il m’a sauvé la vie, j’en suis persuadée. Aujourd’hui, j’ai quitté mon ex-conjoint et nous sommes mariés, nous avons un fils de bientôt 8 ans. 

J’ai commencé à me définir comme féministe à la mort d’une amie, tuée par son ex en Corse il y a 4 ans. Ça a fait remonter énormément de choses en moi, et ça m’a révoltée. En parallèle, j’ai découvert de plus en plus de comptes féministes sur les réseaux sociaux, en particulier « t’as pensé à ? » qui a joué un rôle majeur dans ma déconstruction. »

À partir de là, Karine raconte une prise de conscience féministe.

« J’ai pris conscience que les filles manquaient de modèles auxquels s’identifier, du coup le premier acte qui définit mon féminisme est l’achat du Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses. J’ai tenu à remplir leur bibliothèque de livres du même style, et de romans où les filles ne sont pas réduites à des clichés d’amoureuse transie.

Je leur apprends que l’égalité se joue partout. Elles savent que je suis féministe, et elles me définissent auprès de leurs proches comme une maman forte, prête à les défendre et à monter au créneau, notamment quand la cadette s’est fait harceler à l’école et que c’est remonté très haut. Je n’ai pas besoin d’un homme (leur père ou leur beau-père) pour être leur bouclier, elles peuvent s’appuyer sur moi et le savent. »

L’éducation féministe, au prix de tension au sein de vos couples

Elle explique que par volonté de donner l’exemple à ses filles, elle se pousse aussi à se dépasser dans son quotidien. Ce choix n’est toutefois pas toujours accepté par son compagnon, et peut créer des tensions au sein de son couple.

« En tant que maman de filles, je veux leur préparer un avenir où elles se sentiront légitimes dans tout ce qu’elles voudront faire. Ça m’oblige moi aussi à me surpasser, parce que je veux être un modèle positif pour elles. 

Au quotidien, c’est compliqué à la maison, car mon mari a un énorme poil dans la main en ce qui concerne les tâches ménagères en semaine et les enfants me disent « si Pierre / Papa ne le fait pas, je ne vois pas pourquoi nous on devrait le faire ». Ça crée d’énormes tensions à la maison, mais les enfants ont raison : mon mari devrait montrer l’exemple. 

Mon mari, lui, trouve que mon féminisme est un peu trop présent, que la prise de conscience globale que j’ai eue ces dernières années est très encombrante. Au quotidien, cela peut engendrer une certaine souffrance, car je refuse de me conformer à un certain modèle qui facilite la vie des hommes. J’ai l’impression qu’on est beaucoup à vivre ça une fois qu’on a enlevé les œillères, mais je suis heureuse de l’avoir fait, car je suis intimement persuadée que le féminisme est fondamental pour notre avenir et celui de nos enfants. »

Au quotidien, l’éducation féministe interroge aussi vos choix de vie

Cette valeur d’exemple vous amène aussi à vous questionner sur vos choix de vie. C’est le cas de Marine*, que la maternité a amenée à repenser son rapport à sa carrière.

« Je crois que je suis devenue féministe pendant mon école d’ingénieur. Avec un ratio d’une fille sur cinq élèves, il faut s’affirmer ! Aujourd’hui, je suis ingénieure dans l’automobile, un milieu très masculin, et j’en suis hyper fière (même si pour des raisons écologiques, le changement de secteur me travaille, mais ce n’est pas le sujet).

Avec la naissance de ma fille, les choses ont évolué. J’ai la chance d’avoir des collègues jeunes qui sont eux-mêmes assez sensibles au féminisme. Avant d’être maman donc, j’étais d’égale à égale avec eux et c’était important pour moi d’être une femme épanouie dans mon travail et de montrer cet exemple-là à mes enfants.

Et puis… je suis tombée enceinte, j’ai mal vécu mon accouchement et j’ai été l’ombre de moi-même pendant plus d’un an. Surtout, j’étais incapable de me séparer de ma fille. C’est là que j’ai sacrifié mon salaire (le plus élevé du ménage) pour passer à temps partiel et que mes convictions ont été bousculées. Oui, c’est important de travailler, mais quelque part est-ce que mon féminisme ce n’est pas aussi de faire ce qui m’épanouit moi, en tant que femme ?

Pour ça, j’avais besoin de trouver un équilibre entre le travail et ma famille et j’ai choisi un temps partiel à 80%. Tant pis si c’est cliché d’être une maman qui ne travaille pas le mercredi. Si l’on cumule ça avec le rythme décalé et les pauses tirage de lait, ça n’a pas été très bien perçu. La reprise du boulot a donc été très compliquée et il a vraiment fallu que je sois convaincue que c’était une bonne chose que je travaille, parce que je m’en suis vraiment pris plein la tête… Mais j’ai adapté mon féminisme à ce qui me rend heureuse moi ! »

L’éducation féministe se joue aussi à l’extérieur

Pour Leila*, qui s’est séparée du père de sa fille au moment de sa première grossesse, le sexisme n’a pas seulement impacté le rapport des autres à son futur enfant. Il a aussi été dirigé directement vers elle, et sa qualité de mère.

« Quand je me suis séparée du père de ma fille, j’ai entendu toutes sortes de discours de la part de mon entourage : qu’il fallait penser à l’enfant à venir ; que je devais le séduire à nouveau ; qu’il fallait le pardonner et tout un tas d’autres choses. J’allais être maman d’une fille, et je me suis demandé quel était le modèle de femme que je voulais être pour elle.

Ce qui me choquait beaucoup, c’étaient les injonctions à la séduction faites par des amies et l’idée que je ne réussirai pas dans ma maternité sans l’aide du père. Quand on voit les études autour des charges mentale, émotionnelle et domestique, ça me rendait folle. »

Pour elle, l’éducation féministe se joue certes à l’intérieur de la cellule familiale, mais aussi en dehors. L’école et la manière dont on y socialise les enfants est aussi un enjeu d’importance, sur lequel elle est particulièrement attentive.

« Aux prémisses, je m’inquiétais de beaucoup de choses comme les couleurs vestimentaires. Mais aujourd’hui, j’ai pris davantage de recul sur ces points, et il y a des choses sur lesquelles je veille davantage : le fait qu’elle puisse exprimer ce qu’elle veut, qu’on l’écoute réellement et que l’on prenne en compte ce qu’elle nous dit. On essaie aussi au maximum de bannir certains adjectifs comme « sage », « jolie », « garçon manqué » et tout ce qui la limiterait à performer son genre. On nous dit souvent qu’elle a un fort caractère, mais je ne crois pas qu’on dirait la même chose si elle était un garçon.

Je veille aussi à réagir lorsqu’elle nous rapporte des faits de violence à l’école. Je prends souvent rendez-vous avec la maîtresse ou le directeur. C’est important qu’elle comprenne que sa parole a un poids, une valeur. Que ce n’est pas normal qu’un autre enfant se comporte de telle ou telle manière surtout si cela la fait souffrir ! C’est un acte éducatif pour elle, mais aussi pour le ou la camarade en question.

J’ai déjà envoyé un mail incendiaire au directeur parce qu’on m’a déjà répondu « ce sont des garçons, ils sont plus turbulents » alors que je me plaignais du comportement de certains camarades de classe de ma fille. Ne pas exiger le même comportement entre les enfants ou avoir des attentes différenciées en fonction du genre, c’est sexiste ! »

De vos intimités à l’extérieur, la parentalité féministe se manifeste sous des formes plurielles. Pour la plupart d’entre vous, cela demande des efforts considérables : la charge liée à l’éducation de vos entourages et des espaces dans lesquels évoluent vos enfants s’ajoute aux interrogations qui façonnent la manière dont vous élevez vos enfants. Mais vous l’avez toutes dit : cela en vaut la peine, pour donner à vos enfants la possibilité d’être eux-mêmes sans compromis.


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

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