Initialement publié le 17 juin 2019
Je suis enseignante agrégée de SVT dans un lycée, une toute jeune prof qui débute dans le métier, bien passionnée par mon job et ma matière.
Surtout par un sujet qui me tient à cœur : l’Éducation à la vie affective et sexuelle (EVAS) plus connue comme Éducation à la sexualité.
Pourquoi l’éducation sexuelle à l’école est-elle si importante ?
Comme vous le savez déjà, il s’agit d’un domaine très particulier, souvent au centre de la vie de beaucoup de personnes, que ce soit pour la santé physique ou même le bien-être des individus.
Chaque personne se construit vis-à-vis de ses expériences personnelles, de sa famille et de l’école.
Dans certaines familles, l’éducation à la sexualité est un sujet tabou — par gêne, par convictions… alors l’école devient un endroit primordial à cet apprentissage.
Personnellement, j’ai construit mon éducation à la santé sexuelle grâce à ma famille. Mais pour le côté « pratique », consentement, et respect, je dois tout à madmoiZelle et à mes lectures sur le Net…
Malheureusement pas aux cours que j’ai eus au lycée.
C’est probablement pour cela que cet aspect me tient particulièrement à cœur en tant qu’enseignante, désormais. J’aurais aimé avoir accès à un espace d’écoute et d’expression sécurisant, que peut amener l’école !
Un endroit d’émancipation autant intellectuel que personnel, dans lequel des sujets délicats peuvent être abordés avec bienveillance.
J’ai souvent vu un questionnement particulier émanant des mad et des articles de madmoiZelle : d’où vient le manque d’éducation à la vie affective et sexuelle (VAS) ?
J’espère que le reste de mon témoignage vous apportera des réponses, notamment par une situation que j’ai pu vivre, en tant qu’enseignante de SVT.
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L’éducation sexuelle en cours de SVT
L’éducation à la sexualité est régie par une circulaire qui l’encadre de façon claire et nette, et qui a été actualisée en 2018 par le Ministre de l’Éducation Nationale.
Elle est donc l’affaire de tous les personnels de l’Éducation Nationale. Et plus particulièrement dans le programme de SVT, où elle apparaît clairement de la 6e à la 1ère (la Terminale ne comprend pas de partie spécifique en SVT).
La situation que j’ai vécue s’inscrit chez les 1ère S (mais ce programme est commun avec les 1ère ES/L). Donc des élèves ayant entre 15 et 17 ans, histoire de situer un peu le public auquel je m’adressais.
Une partie du programme porte sur « La Biologie du Plaisir », en plus de tout ce qui concerne la procréation, la contraception, les IST (infections sexuellement transmissibles), les AMP (assistance médicale à la procréation), la mise en place du genre et des personnes intersexes !
En gros : un tour d’horizon vraiment passionnant.
Je venais justement de terminer tout ce beau programme, et j’ai donné un travail à faire à la maison portant sur une partie particulière : le fonctionnement biologique et psycho-affectif du plaisir, de l’orgasme, et du consentement.
Ce devoir était à coupler avec le cours sur le système nerveux (zones érogènes et récepteurs sensoriels) et le système de récompense du cerveau, fait préalablement en classe.
Il s’inscrivait aussi dans une démarche éducative, notamment mise en place par le Parcours Éducatif du lycée, sur le respect de son corps et de celui des autres.
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Un parent d’élève contre l’éducation sexuelle à l’école
Malheureusement, ce programme a heurté la sensibilité d’un parent d’élève.
Je précise bien « parent », car aucun ado n’a eu de difficulté particulière avec le sujet. Aucun sur les 33.
Ce cours a d’ailleurs été demandé par une partie des élèves, qui se posaient des questions dans ce domaine (« peut-on considérer qu’il y a eu viol s’il y a eu excitation ou même orgasme ? », « que se passe-t-il si la pénétration n’est pas possible ? »…).
L’évoquer en classe leur a permis de parler et de traiter scientifiquement des problématiques liées à la société et de déconstruire des préjugés sexistes, malheureusement bien ancrés dans notre société !
J’ai donc reçu un mail de parent d’élève, qui se prévalait d’être un professionnel de la santé et qui trouvait mon devoir « choquant » car celui-ci traite de viol et d’orgasme.
J’ai eu toutes les difficultés du monde à expliquer ma démarche à ce parent qui réagissait sous le coup de l’émotion…
Cette personne n’a pas pu m’en dire plus sur la gêne qu’a pu occasionner cet exercice, alors que j’étais justement en demande, pour travailler sur ma pratique.
Elle en est venue aux menaces : elle a évoqué le fait de de contacter elle-même le ministre ainsi que mes supérieurs hiérarchiques.
Je n’ai donc pas continué la conversation et me suis trouvée dans un état d’esprit bien particulier…
Ma remise en question sur ma pratique enseignante
Ma réaction principale aura été… La sidération. Et surtout ce questionnement profond : est-ce que je fais bien mon travail ?
Je suis une jeune enseignante, je débute, j’arrive donc avec toute ma bonne volonté et ce désir naïf de vouloir changer le monde. De tenter d’apporter quelque chose à une jeune génération, celle qui fera le futur de notre société.
Alors me faire alpaguer de cette façon, me dire que je fais mal mon job, que je n’y connais visiblement rien et que je suis même un « danger » pour ces jeunes, cela m’a fait mal.
Profondément.
En plus de cela, je suis une personne très exigeante envers moi-même. Alors, j’ai retourné la situation dans tous les sens pendant plusieurs jours dans ma tête.
J’ai pu heureusement exprimer mon mal-être à mon fiancé, qui est aussi enseignant de SVT et qui a essayé de me rassurer comme il pouvait. Tout comme mon entourage proche.
J’ai dû anticiper les potentielles conséquences de cet échange. J’ai réagi assez rapidement en contactant directement l’infirmière scolaire de mon établissement, qui est une vraie perle.
Je voulais son avis, vu qu’elle est aussi professionnelle de la santé et vu que je travaille avec elle sur ce fameux Parcours Éducatif !
L’éducation sexuelle à l’école pour les victimes de violences sexuelles
Le retour qu’elle m’en a fait m’a tout de suite rassurée : elle ne voyait absolument aucun problème avec ce devoir.
Elle s’est alors proposée comme intermédiaire avec le parent, et m’a ensuite conseillée de contacter mon proviseur. Ce que j’ai fait de vive voix, pour prévenir ma hiérarchie.
J’ai bien fait : mes supérieurs ont effectivement reçu un mail vindicatif et… incomplet ! Le parent n’avait envoyé que la première feuille de mon devoir, en omettant tous les documents agréés et historiques que j’avais intégrés !
Ce mail a été envoyé à mon administration et à l’infirmière. Et là, je peux témoigner d’une chance particulière : un soutien sans faille de mon équipe.
Tous mes collègues ont été présents, bienveillants et m’ont accompagné pour me rassurer dans cette histoire. Leur confiance en mes compétences m’a fait beaucoup de bien.
Alors je les remercie aussi.
J’ai été invitée à solliciter mon inspecteur pour avoir son avis, et mon infirmière a contacté nos formateurs communs en éducation à la VAS.
Ils ont été unanimes : petites modifications à faire dans la didactique (les consignes à retravailler, visualiser et mieux présenter les objectifs du devoir) mais aucun problème sur les sujets abordés.
Alors ma collègue infirmière a contacté ce parent pour en savoir plus.
Il s’avère que cette personne, professionnelle de la santé, se place dans une « démarche de soin ». Elle trouvait mon sujet « choquant » car il pourrait faire remonter à la surface des choses difficiles pour les victimes de viol.
Cet argument, je le reçois, je l’entends même très bien ! D’un point de vue personnel, j’ai aussi pu être en contact avec des victimes et je sais la violence de ces souvenirs…
Mais je connais aussi la culpabilité qu’elles peuvent ressentir par manque d’informations et d’écoute.
Ce devoir, c’était aussi une façon de déceler d’éventuelles victimes, de laisser une porte ouverte au dialogue, et surtout de faire de la prévention.
Car il permettait de faire prendre conscience aux élèves de certaines problématiques de société liées à la sexualité ; il leur montrait que la science pouvait répondre à certaines interrogations et déculpabiliser les victimes.
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Les freins de l’éducation sexuelle à l’école
Cette histoire m’a beaucoup secouée, alors que ce n’est que la première et unique fois que cela m’arrive. Je n’ose pas imaginer ce que ressentent les collègues qui vivent cela depuis plusieurs années…
Mais cet évènement m’a permis d’en apprendre beaucoup sur ma propre pratique enseignante, et sur les freins à cette éducation à la sexualité à l’école.
Certains élèves l’évitent : par gêne, par conviction religieuse…
C’est l’aspect dont nous avons le plus conscience, et auquel nous sommes formés pour développer des stratégies pour malgré tout enseigner ce que l’on doit enseigner.
Certains parents d’élèves, eux, vont avoir tendance à voir leur enfant comme un être innocent qui ne grandit pas et pour lequel ils n’arrivent pas à imaginer une sexualité.
Ils vont alors remettre en cause l’enseignement dispensé, le qualifiant notamment d’inutile, voire de choquant pour leur enfant.
L’administration joue aussi un rôle important : parfois bien loin de ces problématiques, elle va interpréter les choses (comme les parents d’élèves) et mettre des bâtons dans les roues aux équipes !
Elle peut le faire par différents biais : financièrement (en refusant de payer les heures supplémentaires liées aux interventions), et dans l’organisation des interventions (en refusant de dégager des créneaux horaires par exemple).
Il arrive aussi que certains collègues se désolidarisent de ce genre d’interventions et/ou aient soudainement le sentiment d’avoir un droit de regard et de jugement sur le contenu de nos devoirs, ou notre façon d’enseigner.
Voire pire, ils peuvent sortir des choses de leurs contextes ou partager des infos erronées aux élèves (je ne vous raconte pas les horreurs que j’ai pu entendre sur les personnes transgenres ou intersexes, par ignorance) !
Tout cela dépend des établissements, du contexte géographique ou socio-professionnel de la population où l’on enseigne. Ces freins peuvent être uniques ou finir par s’additionner.
Ce qui peut rapidement donner l’impression d’être « seul contre tous » dans une démarche qui est pourtant encadrée par des textes de loi, et relève de l’obligation professionnelle et déontologique.
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La longue démocratisation de l’éducation sexuelle à l’école
Je pense qu’il est important d’être indulgent envers les collègues qui se retrouvent dans des situations potentiellement compliquées et finissent par prendre la décision d’adopter la stratégie « de l’évitement ».
Traiter le programme au minimum et s’arrêter une analyse strictement biologique et anatomique de la reproduction. Ne plus traiter d’activités pouvant porter sur des sujets d’actualité.
Donner des dépliants de façon cachée, ou ne donner les informations qu’à l’oral.
Ou alors, tout déléguer à l’infirmière scolaire ou à des associations.
Après la charge de travail et la charge émotionnelle que peuvent représenter ces freins ou ces résistances, on ne peut que les comprendre… Et après ce que j’ai vécu, je les comprends d’autant plus.
Mais cela n’a pas changé ma façon de voir la chose : je dois faire mon travail ! Et je ne lâcherai pas, car je considère cela comme important.
Surtout que dans cette situation, tout n’est pas tout noir, mais je voulais aussi vous présenter cet aspect des choses pour expliquer la « lenteur » de la mise en place d’une réelle éducation.
Comment faire pour aider ou changer les choses
Si vous voyez un enseignant essayant de mettre en place ce genre d’initiatives, n’hésitez pas à lui montrer votre soutien, votre adhésion à sa démarche.
Cela touche toujours dans le bon sens et encourage la prise d’initiative, que vous soyez élève ou parent.
On peut aussi tomber sur des élèves extrêmement intéressés, curieux et avec une réelle volonté d’avancer et d’apprendre le vivre-ensemble, notamment par le biais de la sexualité !
Ne serait-ce que la correction de ce devoir m’a montré que le pari éducatif avait été tenu.
Et rien que pour cela, j’en suis incroyablement heureuse.
On peut aussi tomber sur des collègues formidables et des professionnels de la santé tout aussi bons qui nous aident, nous soutiennent et nous accompagnent dans ce travail si particulier et exigeant.
À lire aussi : À ceux et celles qui pensent que l’éducation sexuelle n’a pas sa place à l’école…
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