La guerre et l’économie ont toujours été liées. Les conquêtes militaires étaient, il y a peu de temps encore, justifiées par des avantages économiques et les territoires vaincus étaient pillés et mis au service du vainqueur. Les richesses sont donc acquises lors des victoires militaires, mais certaines sont également créées avant même que les guerres ne soient déclarées grâce à ce qu’on appelle l’industrie de l’armement. Colbert, ministre de Louis XIV, l’avait d’ailleurs compris en nationalisant les manufactures militaires pour que la puissance militaire de l’État profite à l’économie, et réciproquement.
Plus récemment, les effets cumulés du libéralisme et de la mondialisation ont développé une véritable économie de guerre. Si l’ONU veille au maintien de la paix internationale, ses échecs sont des victoires pour l’industrie militaire et il convient donc de s’interroger sur le rôle de l’économie dans la guerre.
Les dépenses militaires et la course aux armements sont-elles bénéfiques pour la paix et l’économie ?
Bien qu’on ait assisté à une baisse des dépenses militaires juste après la Guerre Froide, le réarmement des États a rapidement repris sous l’impulsion américaine. La décision de développer son arsenal militaire est due principalement à une volonté de puissance, à la défense d’intérêts étatiques qui peuvent être menacés et à la peur des autres États.
Pour certains auteurs, cette course aux armements est bénéfique pour la paix puisqu’elle contribuerait à l’équilibre des puissances. C’est d’ailleurs l’une des théories relativisant la crise du nucléaire iranien. Mais on s’en doute, les dépenses militaires n’ont pas pour unique motivation la recherche de la sécurité internationale alors que l’économie prise au sens large peut jouer un rôle capital dans le maintien de la paix.
En effet, pour la théorie libérale, il serait possible d’arriver à une paix mondiale par le libre-échange. En augmentant les échanges économiques entre les différents États, la probabilité que ceux-ci entrent en conflit armé est réduite par la perspective des pertes économiques qu’un tel désaccord pourrait engendrer. Pourtant l’exemple de la première guerre mondiale qui est intervenue dans un cadre d’ouverture des économies vient relativiser cette théorie.
D’autres économistes prônent la guerre comme moteur de croissance économique. Une idée répandue veut que les dépenses militaires allouées notamment à la recherche industrielle permettent de lancer de nouveaux cycles économiques grâce à des inventions qui peuvent ensuite être utilisées dans l’industrie civile. De plus, ce qu’on appelle l’effort de guerre permettrait de mobiliser toutes les forces industrielles du pays dans l’optique d’une victoire. Pour appuyer cette idée, Beveridge souligne notamment la baisse du chômage durant les deux grands conflits mondiaux.
Pourtant de plus en plus d’économistes s’opposent à cette théorie. Schumpeter par exemple estimait que la guerre n’a jamais initié de croissance économique. Si pour Tobin et Krugman les effets positifs de la guerre sur l’économie américaine sont plus à prouver, pour Joseph Stiglitz, la guerre n’a en revanche pas de l’effet de relance qu’on lui attribue (si ce n’est à très court terme), bien au contraire.
À long terme, les effets récessifs d’une guerre sont, d’après ce Prix Nobel de l’économie, bien plus importants et bien plus dommageables pour l’économie d’un pays que les effets positifs puisque les dépenses militaires n’augmentent ni la formation de capital industriel ni la productivité globale de l’économie. Ainsi en 2007 les faramineuses dépenses consacrées à la guerre en Irak auraient coûté un million d’emplois aux États-Unis, l’augmentation du prix du pétrole au cours des 10 dernières années serait principalement due à la guerre en Irak et ce conflit est la première guerre des États-Unis qui a été entièrement financée par la dette publique : entre 2003 et 2007, la dette contractée par les Américains serait de 1000 milliards de dollars et 80 % de ces dépenses seraient imputables au financement de guerre en Irak et en Afghanistan.
Il faut mettre en parallèle de ces dépenses et de leurs coûts économiques l’effet psychologique que ces interventions ont eues sur les autres puissance et leurs intentions de nuire aux États-Unis. Si les effets économiques sont calculables, il semble difficile d’estimer les bénéfices psychologiques de ces opérations extérieures, mais le message envoyé aux rivaux des Américains est clair et peut avoir un rôle préventif : la puissance militaire des États-Unis sera utilisée si les intérêts américains sont menacés.
Qui sont les moteurs de l’économie de la guerre ?
Le budget militaire français s’élève à 40,7 milliards d’euros. À
titre comparatif, le budget américain de la défense s’élève à 698 milliards de dollars, ce qui représente 43 % des dépenses militaires mondiales. Pourtant, les investissements français et américains dans la défense sont moins importants en terme de pourcentages de PIB que certains pays du Moyen-Orient : la France et les États-Unis consacrent respectivement 2,1% et 4,8% de leurs PIB à la défense, mais le Sultanat d’Oman y dédie 11,4% de son PIB et l’Arabie Saoudite a elle un budget militaire équivalent à 10,5 % de son PIB.
Les budgets mondiaux de la défense, depuis une dizaine d’années, sont en augmentation régulière alors que l’État n’est plus le seul acteur de la sécurité internationale.
Parallèlement aux activités traditionnelles de l’État en matière militaire et en matière de recherche technologique, les entreprises privées ont su s’immiscer dans le domaine de la sécurité internationale et devenir des acteurs indispensables, au point d’acquerir, comme le disait le président Eisenhower, « une influence illégitime » au sein de la scène politique américaine, notamment grâce au financement des campagnes électorales. Ces entreprises permettent à l’État de déléguer à moindre coût des activités de défense pour aboutir à une diminution artificielle des budgets étatiques. La privatisation de la sécurité est le fait pour un État de sous-traiter les activités de défense à des entreprises et de les faire intervenir en soutien et en complément à l’armée régulière.
L’une des sociétés militaires privées les plus connues est l’entreprise américaine Blackwater, renommée Academi à la suite de plusieurs scandales. Alors que désormais pour 10 militaires présents en opérations extérieures, on peut trouver un mercenaire, de nombreux problèmes émergent. De nombreuses bavures ont été commises par des employés des sociétés militaires privées, mais les sanctions ont souvent été bien inférieures aux punitions qui auraient été décidées par des tribunaux militaires. Compte tenu de leur mission, le contrôle de ces sociétés est particulièrement insuffisant, et celles-ci profitent allègrement des vides juridiques entourant leurs activités.
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Autre acteur incontournable de la politique de sécurité internationale, les entreprises d’armement ont dégagé un profit annuel supérieur à 400 milliards de dollars dans le monde en 2010, et en 2012 des exportations d’armes américaines ont atteint à elles seules le record de 50 milliards de dollars. La fin de la Guerre Froide a permis l’émergence de firmes d’armement géantes et les 10 plus importantes d’entre elles ne sont pas loin d’avoir le monopole du marché. Sept de ces dix firmes sont américaines et trois sont européennes.
Devant de tels chiffres, on pourrait supposer que le trafic d’armes est réglementé au niveau international, mais le commerce d’armes ne fait toujours pas l’objet d’un traité international. On estime pourtant que la violence armée fait entre 1500 et 2000 victimes tous les jours.
Pour combler ce vide juridique, un groupe de lauréats du prix Nobel de la Paix a lancé en 1997 l’initiative d’un traité sur le commerce des armes regroupant pour la première fois 151 États membres des Nations-Unies. Après plusieurs années de négociations, la conférence internationale qui s’est tenue en juillet 2012 devait aboutir à la clôture des négociations et à l’adoption du traité de réglementation des armes. Bien qu’un compromis semble avoir été atteint, les États-Unis, le premier exportateur d’armes au monde, ont demandé le report de l’adoption du traité cédant ainsi (à l’approche des élections présidentielles) à la pression du très puissant lobby de la NRA. Or le résultat de ces élections pourrait bien torpiller le traité. En effet, si Mitt Romney devient président des États-Unis, il y a fort à parier que le parti conservateur républicain soutiendra la NRA et enterrera le traité.
Si les États parviennent à se mettre d’accord sur des règles internationales régissant la guerre ou l’économie, il semble que l’économie de la guerre soit encore un sujet trop sensible pour qu’un accord aboutisse.
Les Commentaires
Je crois que jte kiffe toi