Nouveau record. Le 7 mars, pour la sixième journée de mobilisation contre la reforme des retraites, ce sont 1,4 million de Français qui sont descendus dans la rue pour s’opposer au report de l’âge légal de départ à 64 ans. À Paris, la CGT a dénombré 700 000 manifestants sur le parcours qui reliait Sèvres-Babylone à Place d’Italie.
Nous avons rencontré des participants et leur avons demandé d’expliquer leurs pancartes, les raisons de leur mobilisation et leur perception du climat politique actuel.
« On se bat pour le monde qu’on a envie de laisser à nos enfants »
13h30, métro Rennes. Le Cortège n’est pas encore parti que nous rencontrons Emma, 29 ans, et sa mère Catherine, 64 ans. L’une est en thèse d’histoire à l’EHESS, l’autre est fraîchement retraitée depuis septembre. Sur leurs pancartes, on peut lire « Les femmes dans la galère, les femmes dans la misère » et « Retraite des femmes, retraite infâme ».
Emma commente ce choix : « Ça me semble important de réunir tous les sujets de lutte, économique, sociale, le féminisme, l’écologie. J’ai axé sur les femmes, car elles font partie des grandes perdantes de la réforme ». Un constat que sa mère Catherine, ancienne professeure agrégée d’histoire au lycée, ne peut que confirmer : « J’ai longtemps cru que dans l’éducation nationale l’égalité entre les salaires était un fait. Mais au moment de prendre ma retraite, j’ai découvert qu’en réalité, tous les congés que j’avais pu prendre pour m’occuper de mes enfants avaient des répercussions négatives sur le montant de ma pension ».
Pour les deux femmes, être dans la rue ce jour est primordial pour se rendre visible et faire entendre son désaccord, non seulement envers cette réforme injuste, mais envers la politique du gouvernement de manière plus générale. « C’est notre seul outil de lutte. Ma mère est retraitée, et je suis en thèse, ce qui veut dire que je ne peux pas être techniquement en grève. Mais être dans ce cortège et voir toutes ces personnes se mobiliser, c’est une manière de ne pas perdre espoir, et de voir qu’on n’est pas toutes seules. C’est aussi un acte de solidarité », ajoute Emma. Et un geste pour les générations futures : « Je suis enceinte, même si cela ne se voit pas sous ma pancarte, poursuit la jeune femme. La réforme des retraites n’est pas une question personnelle, il s’agit du monde qu’on a envie de laisser à nos enfants ! »
« Contrairement à ce que l’on pense, les retraités non plus ne veulent pas de cette réforme ! »
Un peu plus loin, Sophie, 67 ans, est perchée sur un banc. L’ancienne institutrice agite une pancarte où se lit « Leurs Yachts s’échoueront sur nos grèves ». Un jeu de mot qui symbolise une véritable scission entre deux mondes : « ceux qui ont les yachts et les avions privés, et les gens normaux. Ceux qui font les lois, et ceux qui les vivent. Ils sont totalement déconnectés ! ». La sexagénaire reproche par ailleurs au gouvernement de faire le lit de l’extrême droite. En tant que retraitée, il lui paraissait essentiel d’être présente aujourd’hui : « Énormément de retraités sont contre cette loi injuste. Nous, on a pu partir avant, on sait ce que ça représente. C’est important que les jeunes puissent partir quand il est encore temps, quand ils sont en forme, qu’ils ont encore envie de faire des choses, qu’ils ne sont pas complètement abrutis, avec un peu d’argent. Moi, ma retraite est assez minable, et ce n’est pas normal. J’étais instit’, et, contrairement à ce que les gens pensent, c’est épuisant. Ça va être difficile pour mes collègues de tenir jusqu’à 64 ans ».
Pour Arnaud, 54 ans, instituteur, la réforme des retraites est aussi révélatrice de l’état de notre démocratie. Sur sa pancarte, on peut lire « Acquis sociaux ». Le tout est enrobé de papier bulle et affublé d’un ruban « Fragile ». Une mise en scène pleine d’esprit pour pointer du doigt la manière dont le débat démocratique est mis à mal, selon lui. « Le gouvernement fait tout pour qu’il n’y ait aucune discussion à l’Assemblée. À l’origine, le 49.3 est une mesure d’urgence, un passage secret, au cas où les députés ne parviendraient pas à se mettre d’accord, pour éviter que le pays ne soit bloqué. C’est une exception que le gouvernement actuel transforme en règle. En privilégiant l’efficacité sur la légitimité démocratique, on met à mal la confiance des citoyens. Il ne faut pas s’étonner dès que les gens ne croient plus à la politique ». Arnaud est du même avis que Sophie : « En s’amusant avec le 49.3, Emmanuel Macron fait le jeu du Rassemblement national. »
« La réforme des retraites, c’est un poisson dans l’océan »
Alors que le cortège évolue doucement vers la place d’Italie, Léa, 21 ans, raconte la colère des étudiants en école d’art ou d’architecture, face à un gouvernement qui, selon elle, ne valorise pas suffisamment ces filières :
« On a des dépenses de matériel énormes, qui ne sont pas prises en compte dans les budgets étudiants alors qu’elles le sont pour les écoles d’ingénieurs ! On manque de moyens, de locaux, nos professeurs sont mal payés, les étudiants ont une charge de travail énorme, c’est devenu complètement normal et accepté de dormir trois heures par nuit. La réforme des retraites, c’est un poisson dans l’océan. C’est hyper important, mais c’est juste la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Il y a plein de choses qui ne vont pas, en matière d’écologie, de droits des femmes, dans la manière dont on traite les étrangers…
La jeune femme n’en est pas à sa première manifestation. Elle avait notamment participé aux marches pour Adama Traoré ou au mouvement Black Lives Matter. Pour elle, c’est la meilleure manière de se faire entendre : « Demain, c’est le 8 mars, donc je vais re-manifester, vendredi, il y a une marche pour l’écologie, donc on va re-manifester, la semaine qui suit, celle d’après et celle d’encore après aussi s’il le faut ! On obtiendra gain de cause, j’en suis persuadée ».
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« En groupe, dans une foule, on a l’impression d’avoir plus de voix et plus de poids », renchérit Juliette, 22 ans, également étudiante en art. La jeune femme a peint un clitoris sur sa pancarte, où l’on peut lire « Je veux jouir de ma retraite ». Au dos, une phrase qui rappelle celles d’Emma et Catherine : « Premières de corvée, retraites amputées ». Elle explique : « Les femmes ont un travail, et quand elles rentrent le soir, elles entament leur deuxième journée de travail. Très souvent, ce sont elles qui s’occupent des corvées, des enfants, de la maison… Un éreintement réel, mais qui ne rentrera pas en ligne de compte quant il s’agira de calculer l’âge de départ à la retraite ».
Une conception du travail en décalage avec les enjeux climatiques
Pour Guillaume, c’est toute notre manière d’envisager le travail qu’il faudrait repenser pour sortir d’une vision de la croissance incompatible avec les enjeux climatiques actuels : « Il faudrait travailler moins, en passant à une semaine de quatre jours pour produire des choses utiles, et non des choses que l’on jette. C’est tout l’objet de la décroissance : miser sur des objets de qualité, mieux produire, mieux consommer. Il faudrait aussi changer notre manière de mesurer le progrès, sans se baser uniquement sur la croissance économique ». Une vision que partage Lucie, à ses côtés : « Cette réforme n’est dans la bonne logique, elle priorise le profit à court terme et répond à des idéaux néolibéraux. C’est exactement les mêmes mécanismes qu’avec le climat. Nos dirigeants actuels, que ce soit Biden ou Macron, ne sont pas climatosceptiques, mais climato-cyniques ! Comme pour le climat, l’éducation ou la santé, le marché des retraites représente un marché privé énorme sur lequel capitaliser. L’enjeu ici est de satisfaire les gens qui vendent des fonds de pension… Et on nous parle d’une réforme urgente, alors que la vraie urgence, c’est la planète ! »
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