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Comment j’ai compris que j’étais intelligente… malgré le sexisme

Alien_or a mis du temps à comprendre qu’elle était intelligente, beaucoup de temps malgré ses excellents résultats scolaires. Et quand elle y réfléchit, ça ne venait pas d’elle, mais de ses parents et ses professeurs, qui considèrent différemment les résultats scolaires des garçons et des filles.

Alors déjà, on pourrait se dire :

« Eh ma grande, s’il t’a fallu 22 ans pour comprendre que tu étais intelligente, y a comme une contradiction dans les termes, non ? »

Justement, c’est de ça dont je veux parler. Comment on peut se prétendre intelligente et ne même pas être foutue de s’en rendre compte ?

C’est ce qui peut valoir le coup de témoigner, pour éviter à d’autres jeunes filles (essentiellement) de se laisser sous-estimer comme je l’ai fait pendant des années.

Vous le sentez venir, ça va DÉ-NON-CER dans tous les sens. L’école, mes parents, la société, tout le monde va y passer ! Rapport au fait que ça fait 22 ans que ça dure cette histoire, et que ça commence à bien faire, voilà !

Bien sûr, il ne s’agit que de mon expérience, et de la façon (peut-être erronée) dont je la perçois aujourd’hui.

L’école et le travail : des conceptions différentes entre filles et garçons

Par où commencer ? Sans vous faire un résumé exhaustif de ma vie, jetons quand même les bases de l’histoire.

J’ai commencé ma petite vie tranquille en banlieue parisienne de type rurale, avec un petit frère et des parents disons… peu impliqués.

Pas indignes hein, juste distraits, on va dire. Plus dans le genre « Tu es en quelle classe déjà ? » que « Mais qui êtes-vous mademoiselle ? », rassurez-vous.big-pas-proche-famille

Depuis avant ma naissance, ils travaillent tous les deux à temps plein, et ce pour nous offrir un cadre de vie confortable.

Vous pourriez poser la question à mon frère ou à moi-même, à celle d’aujourd’hui comme à la mini-moi de primaire, la réponse serait la même : on préfère ça que d’avoir des parents « hélicoptères », perpétuellement sur notre dos.

Mais ce relatif « désintérêt » (encore une fois, je le dis sans aucune aigreur) a quand même eu des inconvénients : livrés à nous-mêmes (et à l’école, la cantine, l’étude, au centre de loisirs, à la nourrice, etc.), on s’est accrochés à ce qu’on a pu.

Dans mon cas, c’était l’école : j’y passais plus de temps que la plupart des autres enfants et j’adorais ça.

Du coup, je suis assez vite devenue une bonne élève, profil « chouchoute du prof ». Clairement, ma petite école élémentaire était ma vraie maison, je m’y sentais bien.

Ce qui n’est pas un problème, me direz-vous, au contraire ! Effectivement, mais ça se complique après.

On va faire un détour par la situation de mon frangin, si vous le voulez bien (sinon vous pouvez sauter un paragraphe, mais je ne garantis pas que la suite sera compréhensible).

Pour faire court, en moyenne section, mon frère est passé chez une pédopsychiatre qui a établi qu’il était « au seuil de la précocité » — quoi que ça puisse vouloir dire —, et a préconisé qu’il saute la grande section pour atterrir directement au CP.

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Le rapport avec moi ? On y vient.

Premièrement, mes parents ont validé le choix de lui faire sauter une classe. Je ne sais pas à quel point ils y ont réfléchi, dans quelles circonstances.

Mais même si, à l’origine, ils devaient être pleins de bonnes intentions, ça s’est vite cassé la gueule.

Parce que la principale recommandation de la psy en ce qui concernait mon frère, c’était de le stimuler, pour éviter qu’il s’ennuie et lâche prise.

Mais ça, ça demande un vrai investissement des parents, ce qui, on l’a dit, n’est pas le fort des miens. Alors il a sauté une classe, point.

Un garçon pas encouragé à travailler et une fille dont le travail est normal

Il n’a pas eu d’encadrement, pas d’activités extra-scolaires pour développer ce petit supplément de potentiel. Rien.

Et moi dans tout ça ? Je suis jalouse ? Je l’ai été, un peu, on va pas se mentir.

C’était quand même injuste que j’adore l’école, que je m’y épanouisse, et que mes notes soient excellentes, alors que lui il se pointe et BIM, il saute une classe.

À lire aussi : Ne pas être la plus douée de la famille — Histoire de fratrie

Et c’est là qu’arrive la seconde chose à souligner : mon rôle là-dedans. Parce que bon, où vous croyez que mon frère a appris à lire ?

Comme beaucoup d’aînés (j’imagine, en fait, j’en sais rien), j’ai eu tendance à prendre mon frère pour une poupée, un jouet malléable qui ferait un meilleur élève dans ma classe imaginaire qu’un nounours muet.

Bien sûr, je ne dis pas que, à moi toute seule, je lui ai appris à lire. Je dis juste que j’ai joué un rôle, que mes parents ont reconnu au début, avant de le nier quelques années plus tard quand j’en ai reparlé (qu’est-ce qui m’a pris aussi ?).

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C’est là que mes parents ont été nuls : quoi que je fasse, pour mon frère ou concernant mes propres résultats, c’était considéré comme normal.

Pour eux, je le leur devais en quelque sorte, parce que je vivais une vie tranquille dans une jolie maison, et que ramener des 20/20 en dictée, c’était quand même la moindre des choses.

Cette certitude qui voulait que mes parents n’aient aucun effort à faire pour nous encadrer (pas de soutien aux devoirs, pas de questions sur notre journée, pas de-je-sais-pas-trop-ce-que-les-parents-impliqués-font-pour-leurs-enfants), parce que de toute façon, moi j’étais bosseuse (par quel miracle, personne ne le sait) et mon frère intelligent, a eu des effets négatifs sur nous deux.

C’était injuste d’attendre de moi que je ramène de bonnes notes, et de ne pas avoir les mêmes standards à l’égard de mon frère (même si je ne nie pas que le fait que je sois l’aînée ait pu jouer énormément, que cela ait fait que mes parents se soient ensuite « détendus » avec mon frère).

Vous avez comme une impression de déjà-vu, un petit goût amer ?

Le garçon est intelligent, et personne n’attend de lui qu’il fasse des efforts particuliers, et la fille est tout à fait « logiquement » (j’ai envie de dire « naturellement ») appliquée, sérieuse, concentrée, pour arriver à peu près aux mêmes résultats.

J’y ai cru moi à ce schéma ! Pendant toute ma scolarité, j’ai cru que c’était comme ça et pas autrement.

Dès 6 ans, les filles se croient moins intelligentes que les garçons, alors qu’elles sont meilleures à l’école. Un paradoxe qui semble s’expliquer par les stéréotypes encourageant un certain modèle féminin et un certain modèle masculin, dans la société comme à l’école.

L’étude de l’OCDE analysée par Le Monde expliquait en effet :

« Pour de nombreux garçons, il n’est pas socialement acceptable de montrer leur intérêt pour le travail scolaire, peut-on lire dans le rapport. Ils s’approprient un modèle masculin véhiculant le non-respect de l’autorité, du travail scolaire et de la réussite dans le cadre institutionnel. Pour ces garçons, il n’est tout simplement pas « cool » de réussir à l’école. »

Au contraire des filles, que l’on pousse à s’appliquer, comme la sociologue Marie Duru-Bellat l’a noté :

« Les parents s’inquiètent si leur fils est trop obéissant et dépendant, alors qu’ils éprouvent le même sentiment si leur fille se montre trop indépendante. »

Et cette différence de traitement s’observe également à l’école.

Dans son rapport Formation à l’égalité filles-garçons paru ce 22 février, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes souligne notamment que : « les évaluations des élèves sont différentes selon leur sexe : à même niveau, les commentaires des bulletins de note apprécient le « travail » des filles quand les garçons « ont des capacités » inexploitées ».

Une façon forte d’impliquer que les filles ont moins de capacités qu’elles compensent avec beaucoup de travail, tandis que les garçons ont un bon « niveau » naturel sans travailler.

Et les inégalités constatées ne vont pas forcément en s’améliorant : le rapport constate que si « la loi pour la refondation de l’école a constitué un progrès indéniable en prévoyant que les ESpE organisent des « formations de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes », dans les faits :

« Seule la moitié des ESpE (12/24) considère avoir formé la totalité de leurs étudiant•es avec un volume horaire variant entre 2 heures et 57 heures annuelles. Seule la moitié des ESpE propose un module dédié à l’égalité filles-garçons. »

À lire aussi : Comment le sexisme fait du mal aux enfants

Je pensais que j’étais moins intelligente que mon frère

Je pensais que j’étais moins intelligente que mon frère, tout me le criait à la face. J’avais de bien meilleures notes, mais ça ne rentrait pas du tout en compte.

Sauf qu’en fait je ne me suis jamais tuée à la tâche pour avoir une bonne note. Ça n’a jamais été difficile, ça n’a jamais demandé d’efforts particuliers.

Alors oui, j’étais attentive en classe, j’aimais ça et je faisais tous les exercices à faire. Mais c’est tout.

Jusqu’au lycée je relisais juste mes cours avant un contrôle, je faisais juste ce qui était demandé, ni plus ni moins.

Mais j’entendais partout dire que j’étais appliquée, bosseuse, que je me donnais du mal. C’était pas vrai, mais comme je voyais la plupart de mes camarades ne rien faire ou presque, peut-être que mes parents et les profs avaient raison.

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Parce que j’étais une fille, et que j’étais calme et posée, j’appartenais forcément à ce profil de bonne élève si souvent caricaturée (j’avais pas de grosses lunettes cela dit, j’aurais dû me douter d’un truc…).

Après, c’est sûr que par rapport à certaines classes où j’ai atterri, dans lesquelles ramener son manuel était considéré comme un acte quasi-héroïque aux yeux des profs dépassés, je sortais quand même un peu du lot.

Et je vous parle pas du syndrome de l’imposteur qui va avec, à base de « ils pensent tous que je bosse comme une malade mais en fait non, pourquoi je le fais pas ? » et de « je travaille pas assez, ça va se voir à un moment que y a un truc qui cloche… Je vais les décevoir ».

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Une conception biaisée de l’intelligence

Une distinction très claire s’est faite assez tôt dans ma tête entre l’intelligence et les bons résultats.

Une distinction pertinente, parce que les deux ne sont pas nécessairement liés, qu’il y a plusieurs types d’intelligence, plusieurs manières d’obtenir de bons résultats…

Mais pour moi, c’était clair : à moi les « facilités » (ce mot…), l’habitus scolaire, à mon frère la vraie intelligence, celle que l’école ne sanctionne pas forcément (alors que c’est l’école qui l’a repérée, on s’y perd !) mais qui est plus valorisée par la société.

L’intelligence « virile » quoi, celle qui ne demande pas d’effort, qui ne se cultive pas, ce truc en plus qui change tout et qui te tombe tout cru dans le bec.

J’étais intelligente, mais j’étais con, non ?

Jusqu’à être confrontée au monde du travail, où les compétences scolaires ne suffisent plus, j’ai cru que mes « facilités » étaient tout ce que j’avais pour moi, parce que mon deuxième chromosome X me privait de ce qui distinguait mon frère.

Puis un jour, soudainement, pendant un stage, la révélation : je suis intelligente ! D’un coup, les pièces du puzzle s’emboîtaient et tout faisait sens.big-trucs-capable-empouvoirement

J’ai une bonne mémoire, une capacité analytique élevée, aucune difficulté à manier les concepts (oui je me vante mais LAISSEZ-MOI c’est tout nouveau), je ne suis pas juste une machine à recracher son cours méthodiquement !

Des stéréotypes qui gâchent un peu la vie

Attention, je ne dis pas que je suis exceptionnelle, ou au-dessus du lot, ou même plus intelligente que mon frère, on n’est pas dans Sherlock.

Je dis juste que les stéréotypes qui subsistent sur les cerveaux des filles et des garçons, et les comportements qu’ils adopteront face à l’école, nous ont un peu pourri la vie à mon frère et à moi.

À mon frère parce qu’il méritait mieux que de voir ses capacités inexploitées faute d’être travaillées, qu’il méritait qu’on lui enseigne à lui aussi le goût du travail bien fait, et du progrès personnel, de la forme d’accomplissement que l’école peut permettre pour certains.

Mon frère a décroché son bac péniblement, n’a jamais foutu une rame en cours et est désormais inscrit à la fac, alors qu’il fait clairement partie des gens à qui ça ne convient pas, et qu’il pourrait bien mieux s’épanouir ailleurs ! Un beau gâchis.

Et ça m’a pourri la vie à moi parce que j’aurais aimé que mes efforts, même minimes, soient valorisés, et non pas considérés comme allant de soi, et qu’au contraire l’accomplissement scolaire ne soit pas le seul à m’être présenté comme envisageable.

J’aurais aimé qu’on nous dise, tout simplement, qu’il n’y a pas qu’une intelligence, qu’elle peut être scolaire ou non, qu’elle n’est pas forcément acquise, qu’elle peut être travaillée… et qu’elle est la même entre garçons et filles !

À lire aussi : Comment j’ai compris que je valais quelque chose (et pourquoi ça m’a pris des années)

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Les Commentaires

19
Avatar de Alien_or
28 février 2017 à 12h02
Alien_or
@lafillelabas
Je ne dis absolument pas ça contre toi ou ta réflexion, mais je trouve ça tellement triste d'en arriver là, qu'on en soit à un point où ça paraisse être la seule solution.
Et du coup je me demande si tu t'es renseignée sur les écoles non mixtes et peut nous en parler ? Est-ce que par exemple les préjugés dont il est question ici ne sont pas encore accentués dans des écoles pour filles ? Du style, des profs globalement moins exigeants ou qui mettent l'accent sur certaines matières plus que d'autres justement parce qu'ils/elles sont face à des filles ? Je pose la question en toute innocence, n'ayant aucune expérience sur la question, mais je me demande quand même si le sexisme ne prend simplement pas une autre forme dans des écoles non mixtes ? Après bien sûr ça doit varier énormément selon les enseignants et les établissements.
Si une Madz concernée passe par ici et peut en témoigner...
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