Elle parcourt la France dans une voiture aménagée, sa guitare sur le dos. Elle s’appelle Malo Texier et peut, en quelques notes de sa voix et son instrument, vous plonger dans une mélancolie et une beauté hypnotisantes. On a rencontré Malo, qui nous a raconté comment les angoisses de notre époque pouvaient aussi devenir la matière même de l’art et du beau.
Interview de Malo Texier, autrice, compositrice et interprète
Madmoizelle. As-tu toujours chanté seule ou as-tu aussi fait de la musique en groupe ?
J’ai commencé la musique seule avec ma voix et ma guitare. Puis, au conservatoire, on nous apprend beaucoup à chanter en groupe. Finalement aujourd’hui, je suis revenue aux sources. Et je commence à comprendre une chose, parce qu’on me l’a dit aussi : tu émeus davantage le public lorsque tu es seule sur scène. Tu les ambiances moins, mais tu les touches plus, parce que quand tu es seule sur scène, tu es très vulnérable. Tu es seule, tu n’as pas d’amis musiciens à côté de toi, à qui faire des sourires et des clins d’œil. D’un point de vue musical aussi, c’est une mise à nu. On entend seulement ta voix et la vulnérabilité, généralement, c’est émouvant.
Peux-tu nous parler de ton expérience de la scène en tant que femme ?
J’ai choisi de me concentrer sur la scène parce que c’est ce qui me plaît et m’intéresse le plus. Pour moi, c’est là que tout se joue. Pour autant, ce n’est pas évident du tout parce que lorsque je monte sur scène, je suis forcément devant des gens qui ne me connaissent pas et qui ne savent même pas s’ils vont aimer ce que je fais ou non. Souvent, je ne connais pas à l’avance les lieux dans lesquels je vais jouer, si bien que je découvre tout : le lieu, le public…
Dans ces moments-là, tu n’as aucune maîtrise sur les gens devant lesquels tu vas jouer et dans mon cas, il y a un paramètre particulier qui est que je suis une femme racisée dont la musique porte une forte dimension politique. Mon projet est assez militant. Ses partis pris assez tranchés politiquement. J’ai aussi un vocabulaire qui m’est propre, qui n’est pas forcément compréhensible par toute la population française. Dans un refrain, je parle de « mettre la daronne à l’abri », de « se mettre une race », de « rider »…
Face à cette angoisse généralisée devant l’état du monde, j’ai éprouvé un fort besoin de faire un métier qui a du sens.
Pourquoi aller vers cette forme d’écriture ?
Ma façon d’écrire est assez proche de celle dont je parle. Ce que j’aime dans les textes en général, c’est quand c’est assez brut. J’aime bien quand les choses sont claires. J’aime les figures de style, mais pas quand il y en a trop non plus. J’aime bien quand on peut comprendre simplement le message. C’est important pour moi que les personnes de mon âge puissent se sentir représentées, qu’elles comprennent mes mots, qu’elles soient surprises et contentes de reconnaitre des expressions qu’elles n’ont probablement l’habitude d’entendre dans de la soul française.
La question écologique me touche particulièrement et je me suis rendue compte qu’à part Tryo, je manquais de modèles.
Tes chansons ont des sonorités soul mais elles ne sont pas de simples ballades. Elles racontent ton empathie pour les militantes et militants, elle raconte la détresse et le spleen d’une génération constamment exposée à de la violence politique, écologique, sociale…
Je commence à aimer de plus en plus cette expression de chanson à texte. Ce que je veux mettre en valeur sur scène, c’est moins ma voix ou ma guitare que mes textes. Il y a eu des périodes de ma vie où j’ai été très impactée par beaucoup de sujets de société ayant mis en péril ma santé mentale. Le mot politico-anxiété me semble encore plus juste, plus englobant que celui d’écoanxiété.
Face à cette angoisse généralisée devant l’état du monde, j’ai éprouvé un fort besoin de faire un métier qui a du sens. Et au début, je ne trouvais pas forcément de sens au fait de faire la musique. Je me demandais si ce n’était pas un peu un égo trip, quelque chose qui me fait plus plaisir qu’il n’est utile à la société. J’avais aussi l’impression de manquer de modèles d’artistes qui font des chansons où plaisir de l’écoute et engagement politique forment une symbiose, des musiques qui soient à la fois belles et engagées. La question écologique me touche particulièrement et je me suis rendue compte qu’à part Tryo, je manquais de modèles.
Finalement, j’ai trouvé mon propre modèle, en employant mes propres mots, mon propre langage, les sujets et la musicalité qui me parlent.
Es-tu attentive à l’équilibre entre beauté de la chanson et engagement militant ?
Tout à fait. C’est précisément pour cela que mon projet ne contient pas que des chansons politiques. Cela me parait lourd, pendant un concert, de n’entendre parler que de politique. Je trouve aussi bizarre d’enchaîner d’un sujet politique à un autre, dans une sorte d’énumération. Il y a donc des thèmes plus doux, comme l’amour, la mélancolie, la déprime…
Pour autant, il est aussi question de racisme, de féminisme, du monde capitaliste ; autant de problématiques que j’essaye d’aborder de manière poétique, pour leur donner du sens plutôt que se sentir écrasés et désespérés par elles. On a autant besoin des émotions, de la musique et de la culture que de la lutte militante. Je trouve qu’avoir une jolie forme est un bon moyen de s’immiscer dans la conscience politique de quelqu’un.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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