La semaine passée, les résultats du concours d’entrée à Sciences-Po Lyon en deuxième année sont tombés : comme d’habitude, mon nom ne figurait pas sur les gaies petites listes. Cela ne m’a pas brisé le coeur pour autant : ce n’était que la troisième fois que j’échouais au concours d’entrée. Mieux vaut en rire qu’en pleurer : pour vous, bien chères lectrices, voici donc la chronique d’un échec annoncé.
À en croire la génétique, je suis prédisposée à entrer dans un institut d’études politiques. Ma mère est diplômée de Sciences-Po Toulouse, mon père de Sciences-Po Paris, et c’est là qu’ils se sont tous deux rencontrés, alors qu’ils préparaient l’ENA. On peut donc dire que sans les IEP, je n’existerais pas. Le monde s’en porterait-il mieux ? C’est une autre question. Bref, après avoir subi une enfance atroce, entourée de géniteurs qui n’exprimaient jamais leurs idées sans commettre un plan en trois parties et deux sous-parties, je fus, moi aussi, en âge de tenter les prestigieux instituts.
La première fois, je n’avais que dix-sept ans, et, avouons-le, je ne m’étais pas usé le cervelet jusqu’à la moelle. Pour mon anniversaire, on m’avait offert une semaine de stage de révisions intensives, qui me permirent un classement correct : j’étais dans le premier quart des recalés, avec 12 en anglais, 9 en questions contemporaines et 8 en histoire. Cela ne m’affecta pas outre mesure, puisque j’avais décidé d’expérimenter la fac de droit. En effet, je me faisais une très haute idée de la justice, et souhaitais défendre la veuve et l’orphelin avec l’éloquence de Cyrano de Bergerac et la verve de Robert Badinter.
Mais cette vision digne d’un blockbuster hollywoodien n’était pas très en rapport avec la réalité de la formation : je n’avais que peu de goût pour la froide rigueur des cours, pour l’anonymat des amphithéâtres, ou pour l’ambiance qui y régnait (mon dégoût atteignit un point culminant lorsqu’au détour d’un couloir, j’entendis un chargé de TD dire que « les premières années, il faut les descendre à tout prix, parce qu’à moyen terme, ça fait de la concurrence dans la ville« . Ambiance).
Le concours d’entrée, épisode 2
Convaincue que cette formation ne me convenait pas, je décidai de retenter mon entrée à Sciences-Po. Cette fois, je travaillai d’arrache-pied. Je m’étais inscrite à une prépa en ligne, qui proposait de nombreux devoirs par correspondance et une pile de cours suffisament grande pour faire de l’ombre à Robert Waldow (2,72 mètres au compteur). Je fis des montagnes de plans, des myriades de fiches, des tombereaux de « devoirs-types ». Je lus, relus et rerelus tous les livres parus sur les sujets du concours – et croyez moi, il y en a à peu près autant que de fans de Justin Bieber.
Bref, le jour J, j’allais à mon centre d’examen le coeur léger comme un cerveau de pétoncle. Bien sûr, je savais qu’un concours comporte toujours une grande part d’erreur – et une autre de chance – mais j’avais tellement travaillé cette fois ci que je n’envisageais pas une seule seconde de pouvoir échouer. Dans mon innocente petite cervelle, tout était d’ailleurs tracé : après trois années à Toulouse, je passerai un an dans une université amerloque prestigieuse (et si possible dans le Sud, parce que c’est le pays de ma mère spirituelle, Pamela Anderson), puis ferai un master de journalisme, et un stage au Courrier International, qui m’embaucherait comme grand reporter. La base, quoi.
Après l’examen, j’allais avec des amis déambuler dans le centre-ville de Toulouse, où j’avais passé le concours. Toulouse, où j’avais choisi de vivre, et où était situé le premier IEP sur ma liste de voeux. Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer combien je serai heureuse ici – à déambuler le long de la Garonne, à lézarder au soleil sur la place du Capitole, à aller à la cinémathèque, à écumer les nombreuses friperies du centre. Et j’apprivoisais avec bonheur cette ville qui me serait refusée : moins d’un mois plus tard, le couperet tombait : je n’étais pas prise. Mes résultats étaient fort étranges : j’avais 16 en histoire, 9 en questions contemporaines, et 5 en anglais. Soit un différentiel de 7 points avec l’année précédente, où j’étais arrivée comme une fleur de jasmin dans une marée de requins.
Mes notes : mon combat, ma bataille
Aidée d’amis fidèles (sans lesquels je n’aurais rien pu faire, car j’étais réduite à l’état de méduse maniaco-dépréssive, et que je me trouvais dans l’incapacité de prononcer le moindre mot sans expulser des torrents de larve et de mucus nasal), j’ai lancé une procédure de vérification des notes. Lorsqu’un mois plus tard, les copies nous sont parvenues, surprise ! Le nombre de points indiqué sur la copie ne correspondait pas à la note finale. Au lieu d’avoir la peu glorieuse note de 5, j’aurais du avoir la peu glorieuse note de 8. Cela semble peu, mais c’est à ces trois points que s’est jouée ma non-admission à Sciences-Po.
Pendant un mois entier, je me suis battue pour que ces trois points soient reconnus : j’ai harcelé les IEP au téléphone ( à tel point que le standard avait fini par apprendre mon numéro par coeur), envoyé moult mails aux directeurs des Instituts, qui me donnaient des informations contradictoires. Finalement, la décision a été laissée au correcteur de ma copie, dont il a fallu attendre le retour de vacances. Ce dernier n’est pas revenu sur son erreur. Il m’arrive encore de rêver que je lui envoie des cafards par la poste.
Le plan B : hypokhâgne mon amour
Bref, le concours de Sciences-Po a gâché mon été. Heureusement, j’avais été acceptée en hypokhâgne grâce à la très sainte procédure complémentaire d’admission post-bac (ABP pour les intimes). Bien que cette formation se situe dans une triste ville, je suis, pour la première fois depuis fort longtemps, heureuse dans mes études. (Oui, je sais, vous vous en fichez, mais je tiens à le souligner : l’hypokhâgne, c’est le bien.)
Parce que je ne veux pas rester sur un échec – et que je suis plus têtue qu’une mule Bretonne, j’ai choisi de retenter le concours de quatre Instituts d’Etudes Politique cette année : Lyon, Grenoble, Toulouse et Bordeaux. Le premier s’est déroulé en mars dernier. Avec 40 disponibilités pour 1200 candidats, je ne me berçais guère d’illusions : les places étaient plus chères encore que celles de Normale Sup’, autre concours que j’aurai le bonheur d’expérimenter l’année prochaine. Quant aux autres, je les prépare non sans une certaine angoisse : il me faudra sans doute beaucoup de temps pour surmonter le traumatisme de cet été et préparer un concours sereinement.
Karma, Sciences-Po et fin du monde
Néanmoins, la récurrence de ces échecs me rend bien perplexe. La non-admission à Sciences-Po est-elle inscrite dans mon Karma ? Le dieu des hypokhâgneux décadents s’obstine-t-il à me faire échouer sur la voie des sciences-pipotards pour que je m’adonne à ma vraie vocation, la double nasoflûte ? Fais-je l’objet d’un complot international qui veux que je n’aille pas à Toulouse mais à Bugarach, pour sauver le monde le 21 décembre 2012 ? Ou ne suis-je tout simplement, pas faite pour Sciences-Politiques ?
L’avenir, avec un peu de chance, me le dira. En tout cas, souhaitez-moi bonne chance : mes prochains concours sont dans deux semaines, et j’aimerai voir, un jour, mon nom sur une liste d’admis. Sur ce, bisous, et bonne chance à vous si vous êtes aussi prises dans la nasse des concours.
Edit : Après maintes péripéties, j’ai finalement été admise en deuxième année à Sciences-Po Grenoble et Sciences-Po Toulouse. Comme quoi, le destin n’est pas toujours aussi buté qu’on peut le croire.
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