— Publié initialement le 10 décembre 2014
Fut un temps, j’essayais de me tenir au courant et de jeter un œil à la littérature « pour ados » qui marchait fort (et qui s’apprêtait généralement à atterrir au cinéma en quelques années). Mais deux grosses sagas, que j’ai lues coup sur coup, m’ont un peu dégoûtée du genre ; je ne citerai pas de titre pour ne froisser personne mais disons qu’il y en a une avec des vampires qui brillent et une autre qui commence par « Era », finit par « gon » et rime avec « Eragon ».
Oui.
J’avais donc un peu lâché l’affaire, préférant lire d’autres trucs dont je vous parle parfois en vidéo dans mes Chroniques Littéraires (qui a dit « publicité déguisée » ? Dénoncez-vous). Mais il se trouve que ce week-end, désœuvrée, j’ai jeté un œil au film Le Labyrinthe, l’adaptation du premier tome de la saga L’Épreuve par James Dashner. Et comme j’avais pas envie d’attendre le deuxième volet pour savoir la suite, j’ai lu les trois tomes. Je suis comme ça. Ensuite je me suis dit « Hmm, pourquoi m’arrêter là ? » et j’ai lu la trilogie Divergente.
Oui, mes week-ends sont rock’n’roll, c’est ça le swag.
Du coup, en additionnant ces deux sagas à Hunger Games, que j’avais lu et bien aimé il y a plusieurs années, j’ai commencé à voir des schémas similaires se dessiner. Et comme ça fait un moment que ce succès des dystopies « pour ados » m’intrigue, j’ai décidé de vous en causer !
Attention spoilers ! Cet article révèle des éléments-clefs de l’intrigue d’Hunger Games, de Divergente et de L’Épreuve.
Une société futuriste qui exacerbe les travers du présent
La dystopie, c’est le contraire d’une utopie, en gros. C’est une société imaginaire, fictionnelle, mais pas très jojo, dans laquelle on n’a pas envie de vivre.
Les auteurs de science-fiction utilisent depuis longtemps les dystopies pour mettre en avant les problèmes de leur présent, et avertir leurs contemporains des dérives potentielles de leur mode de vie. Voyez par exemple les intrigues de Black Mirror, qui détourne dans chaque épisode une technologie pour en faire un problème, ou de façon plus classique le cultissime Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, qui décrit une société futuriste dans laquelle les livres sont rituellement brûlés, dénonçant en cela la culture de masse, notamment encouragée par la télévision.
Retrouve-t-on cette critique sociétale dans les dystopies « pour ados » ? Eh bien au risque de ne surprendre personne puisque j’ose croire que vous avez lu l’intertitre ci-dessus : oui.
Faut suivre, pipou, qu’est-ce que tu veux que j’te dise.
Dans Hunger Games, on trouve une forte critique d’une société dans laquelle tout est médiatisé, et dans laquelle le filtre médiatique transforme les pires horreurs en divertissement, ainsi que la dénonciation d’un gouvernement exerçant une surveillance trop forte sur ses citoyen•ne•s — par exemple en forçant toute la population à regarder sa jeunesse s’entretuer dans les Jeux.
Divergente critique plutôt l’obsession de la société à faire rentrer des gens dans un moule prédéfini, à travers le système des cinq factions entre lesquelles on doit choisir, au risque de se retrouver exclu, sans place, sans proches — et gare à soi si on rentre dans plus d’une case ! Dans le dernier tome se dessine également une réflexion intéressante sur le pouvoir qu’un groupe « dominant » (dans ce cas, les scientifiques) peut avoir sur un groupe « dominé » (les habitant•e•s de la ville dans laquelle a été implanté le système des factions).
IMPOSSIBLE ! IL FAUT CHOISIR !
L’Épreuve aborde ce dernier thème de manière plus frontale puisqu’on apprend rapidement que tout le concept du Labyrinthe n’était qu’une expérimentation scientifique destinée à étudier le cerveau des « candidats »… sans se soucier des conséquences. Lorsque le héros découvre le monde extérieur, on voit également à travers ses yeux un gouvernement à deux vitesses qui laisse mourir sa population malade, créant des ghettos dans lesquels personne n’est à l’abri.
On peut en déduire, puisque je vais le faire, puisque je fais ce que je veux, que le succès de ces dystopies peut s’expliquer en partie par le fait qu’à travers une histoire pleine d’action, de rebondissements et de sentiments exacerbés, on retrouve des thèmes ancrés dans la réalité, dans notre monde contemporain. Ils sont d’ailleurs assez intemporels, mais trouvent une résonance particulière dans ce début de XXIème siècle où bien des institutions autrefois très fortes (l’école, la famille…) se retrouvent bouleversées.
La confiance en l’autorité, cette idée du siècle passé
Cadrage subtil (huile sur canvas, début XXIème siècle)
Le gros thème principal de ces trois dystopies, c’est la défiance de l’autorité. Mais pas une défiance motivée par une rébellion toute adolescente, par une envie « gratuite » de secouer le cocotier sociétal pour se défouler : ces mutineries sont réfléchies, justifiées, nourries par la profonde injustice perpétrée par le gouvernement en place.
Du coup, on peut déjà dire que ces sagas font passer un message fort, et bénéfique : il ne faut pas hésiter à remettre l’autorité en question lorsqu’elle nous semble mauvaise. Il ne faut pas hésiter à questionner, à remettre en cause, à dénoncer, voire à combattre un système lorsqu’on sent dans son cœur, dans sa tête, dans ses tripes qu’il est néfaste, même quand tout le monde autour de nous tente de nous persuader que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Ne fais confiance qu’à toi-même
Mais cette défiance de l’autorité va plus loin qu’un « simple » bouleversement des codes établis. On retrouve dans Hunger Games, Divergente et L’Épreuve un schéma similaire :
- Les personnages principaux défient le pouvoir en place et veulent le renverser (généralement l’un de leurs proches n’est pas d’accord et ça fout le boxon)
- Ils sont aidés par une résistance organisée, gérée par des adultes, qui prend la main et les intègre dans la rébellion « officielle »
- Ce mouvement se révèle être quasiment aussi corrompu et faillible que le pouvoir en place
- Les héro•ïne•s décident de s’en détacher pour vivre leur vie de leur côté
La leçon ici, c’est qu’il ne faut pas quitter un système pour plonger les yeux fermés dans un nouveau schéma pouvant se révéler tout aussi néfaste. Ces sagas mettent l’accent sur le libre arbitre, la volonté individuelle et la dangerosité d’un mouvement qui perd de vue ses valeurs pour se focaliser sur la victoire.
La fin ne justifie pas les moyens
Somme toute, c’est ainsi qu’on pourrait résumer le message de ces sagas futuristes. S’il est essentiel d’interroger le système en place, voire de le renverser lorsqu’il se révèle trop corrompu, il est important de ne pas répéter les erreurs d’hier en bâtissant demain. Utiliser les armes de son ennemi, comme la propagande, la guerre biologique ou la manipulation mentale, même si c’est dans un but noble, ne fait qu’ouvrir la porte à des dérives toujours plus grandes, et encore plus acceptées puisqu’elles sont justifiées par un objectif censé être positif pour le peuple.
C’est probablement dans Hunger Games que cette idée ressort le plus, puisque les rebelles envisagent carrément de punir les ancien•ne•s dirigeant•e•s du Capitole en… organisant des Jeux dans lesquels leurs enfants s’entretueraient. Il est clair qu’ils n’ont pas compris le problème fondamental de cette « méthode » et qu’elle leur semble acceptable dès lors qu’elle ne touche pas leurs proches. Cette suggestion jouera un grand rôle dans la décision de Katniss de ne pas s’impliquer trop dans le mouvement révolutionnaire.
Concluons, mes ami•e•s !
Même si ces sagas ont évidemment des défauts et se révèlent parfois un peu prévisible (le fait qu’elles partagent un schéma similaire n’arrange rien), on peut donc dire que la dystopie permet de faire passer des messages complexes et essentiels. C’est quasiment une ode à la conscience politique que l’on trouve dans ces best-sellers encourageant la jeunesse à s’interroger sur ses propres valeurs et à les confronter à celles du système en place !
Bien des adultes ne voient dans ces succès littéraires et cinématographiques que des romances sur fond de monde post-apocalyptique, alors qu’on se trouve en face de récits matures, parfois violents. Les relations amoureuses/affectueuses entre les personnages sont davantage un moyen de garder espoir en l’avenir qu’une fin en soi, et on n’a pas toujours de « happy end » hollywoodienne : les gentil•le•s aussi meurent, parfois brutalement, gratuitement, tout autant que leurs ennemi•e•s.
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