L’album jeunesse
Mam’zelle Pistache, de Magali Chiappone-Lucchesi
« Grosse vache ». C’est le surnom de Pistache à l’école. Parce qu’elle a un petit bidon, les autres enfants se moquent d’elle. Elle aime la danse classique, mais doit supporter les regards en coin de sa professeure qui la place systématiquement au fond. « Tu es un peu trop boudin ! Ahlala ce n’est plus un cygne, c’est une oie ! » lui répète-t-elle. Alors Pistache arrête la danse. Et se met au judo. Mais voilà que l’Honorable Maitre lui demande de prendre quelques kilos pour participer à des compétitions. La petite fille ne comprend plus rien. Et si ce n’était pas elle qui devait changer, mais le regard des autres ?
Avec cet album, Magali Chiappone-Lucchesi parvient à aborder de manière frontale, mais délicate (un exploit ! ) le sujet de la grossophobie et de l’acceptation de son corps afin d’ouvrir le dialogue avec les enfants, dès 5 ans. Sa plume incisive et poétique nous avait déjà convaincue dans Madame & Monsieur (Glénat jeunesse), un livre jeunesse qui évoque de manière impeccable le long chemin qui mène à l’adoption.
La simplicité du texte, qui ne tourne pas autour du pot, se marie à merveille avec la douceur des dessins fourmillant de détails qui plairont beaucoup aux jeunes lecteur·ices. On adore l’univers de l’illustratrice, Violaine Costa, qui déploie un imaginaire tout en rondeur, peuplé d’une nature luxuriante et fantasque. Un album coup de cœur !
La dystopie
L’école des bonnes mères, de Jessamine Chan
Depuis La servante écarlate, on n’avait rien lu de tel. Avec L’école des bonnes mères – paru au printemps chez Buchet Chastel -, Jessamine Chan signe une dystopie aussi terrifiante qu’addictive dont on ressort secouée. La primo-romancière américaine y met en scène Frida, mère divorcée d’une petite fille de 18 mois. Alors que sa fille a une otite, la jeune femme enchaine cinq nuits sans sommeil. Après une nouvelle « journée de l’enfer », elle réalise qu’elle doit impérativement récupérer un dossier pour son travail et, sans réfléchir, sort le récupérer en laissant seule la fillette. Dénoncée par des voisins, Frida se voit retirer la garde d’Harriet, confiée à son père et sa nouvelle compagne.
Pour récupérer sa fille, elle se plie aux nombreuses exigences des services sociaux qui viennent de lancer un nouveau programme à destination des parents jugés négligents ou maltraitants. Son appartement est mis entièrement sous surveillance vidéo, ses moindres faits et gestes sont surveillés, les contacts avec son enfant sont extrêmement restreints et organisés de manière absurde, tandis que l’assistante sociale tente visiblement de la piéger. Faute d’avoir convaincu la justice, Frida est envoyée pour un an dans un centre de réhabilitation pour les « mauvaises mères ». Si elle échoue aux examens finaux ou abandonne en cours de route, elle perdra définitivement la garde de sa fille. Autour de ce scénario cauchemardesque et quasi kafkaïen, l’autrice tisse un roman vertigineux qui nous glace d’autant plus qu’il a les atours du réel.
Avec rage et humour, elle explore, en les grossissant, les injonctions incessantes qui pèsent sur les mères, leur éternelle mise au pas et culpabilisation – surtout si elles osent prétendre être autre chose que ce statut -, les dérives d’une société de surveillance ou la ( toujours…) sidérante asymétrie homme-femmes dans le poids de la parentalité . Page après page, on sombre dans une spirale affolante, les poings serrés jusqu’au dénouement qui, on vous prévient, ne verse pas dans le happy end. Un texte qui agit comme une bombe à retardement dont l’empreinte reste vivace plusieurs semaines après sa lecture.
Le feel good book… politique
La vie est à nous, d’Hadrien Klent
Vous vous demandez comment le concept de feel good book pourrait bien s’accorder avec la politique ? Cela nous semblait impossible jusqu’à ce qu’on découvre les ouvrages d’Hadrien Klent (c’est un pseudo) qui a en quelque sorte inventé ce genre littéraire.
Avant de vous parler de son nouveau roman, La vie est à nous (Le Tripode), quelques mots sur son précédent opus, tout aussi génial, qui a ouvert cette saga. On avait découvert Paresse pour tous (Le Tripode) en 2021, alors que notre morne paysage politique commençait à s’ébrouer en vue des élections. C’est peu dire qu’on avait du mal à refermer cette délicieuse fable politique. Et surtout à quitter son héros, Emilien Lelong, prix Nobel d’économie propulsé, presque malgré lui, candidat à la présidentielle avec un programme détonnant : réduire le temps de travail des Français à 3 heures par jour pour redécouvrir le plaisir de vivre. Dans La vie est à nous – une référence au film de Jean Renoir sur le Front Populaire – on le retrouve trois ans après son élection.
Le Président et son équipe ont tenu leurs promesses et la France est désormais passée à la semaine de 15h. Après avoir légalisé « le droit à la paresse », le gouvernement s’attaque à d’autres chantiers comme l’interdiction de tous les pesticides tout en tentant de tenir tête aux nostalgiques de l’ancien monde. Mais est-il réellement possible de faire de la politique différemment ? D’inverser les priorités de notre société ? Mêlant solides références économiques, politiques ou sociales et comédie, cette utopie est un enchantement. Un texte malicieux et lumineux – à la couverture canon, signée Simon Roussin – qui donne envie d’espérer des jours meilleurs !
*La vie est à nous, d’Hadrien Klent, Le Tripode, 352 pages, 19€.
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