Rien de nouveau sous les tropiques, je crois bien que nous nous sommes tous un jour dit « tout ça, c’est comme l’histoire de Joshua Jackson dans the Skulls ! » (bien que certains y croient probablement plus que d’autres – les férus de téléfilm de 14h45 sur Tfone)… Il y aurait la populace lambda (nous) et des sociétés secrètes (eux), et toutes les grandes décisions seraient issues de l’agissement de ce petit groupe de joyeux puissants.
La théorie du complot, selon Paolo Persichetti, rassemblerait à la fois des éléments de conception élitiste et d’un paradigme de domination (saupoudré d’une dose de culture ésotérique et de fascination pour l’occulte)… Matrix, Prison Break, Assassin’s creed & Gossip Girl, quoi. La machination ne pourra jamais être révélée, et c’est JUSTEMENT ce qui fait preuve de la machination (toutes les preuves ont évidemment été détruites et il ne resterait que des bouts de signes que seul un esprit aiguisé – le nôtre – pourrait rassembler).
Plusieurs pistes d’explications psycho-sociales :
La dissonance cognitive
Je vous explique rapido le système de la dissonance : Un individu a des cognitions (pensées, opinions, connaissances) incompatibles entre elles; ==> ces cognitions incompatibles l’amènent à un état de tension désagréable, que l’on appelle la dissonance cognitive; ==> pour restaurer l’équilibre cognitif et vivre en paix, nous élaborons alors des stratégies (modifier ses attitudes ou croyances, c’est-à-dire rationaliser).
Ce qui donne, appliqué au DSK-gate : Ces derniers mois, nous avions (pas tous, j’imagine) accumulé une certaine sympathie pour le bonhomme, annoncé futur candidat socialiste et vainqueur potentiel, qui allait tous nous sortir du bourbier actuel. DSK était devenu BATMAN.
Et soudainement, v’lan, sidération, un événement vient foutre en l’air sa candidature… Autrement dit, dissonance et stupéfaction ! Face à la situation, nous avons donc élaboré une stratégie… Lorsque vous étiez gamines, vous ne vous êtes jamais bouché les oreilles en chouinant « noooooon j’enteeeends rieeeeen » ? Eh bien là, c’est la même : non, ça ne peut pas s’être passé, et si ça ne peut pas s’être passé, c’est bien que la seule explication possible est celle du complot. Sans compter que les images matraquées, un « grand homme politique » menotté, le regard sombre, étaient vraisemblablement dignes des plus grandes drames cinématographiques.
La théorie du complot aurait ici un rôle explicatif rassurant, apaisant et permettrait de restaurer un monde cohérent face à des évènements problématiques. Cette thèse de machination peut aussi être l’indicateur d’une fracture sociale, d’une part de la société qui ne serait plus à même de comprendre l’autre.
Les fonctions psycho-sociales de la théorie du complot
• Mettre à disposition une grille de lecture cohérente des faits Comme dit plus haut, face à notre impuissance à faire face à des évènements sidérants, si nous ne trouvons pas d’explications satisfaisantes, nous aurons tendance à prendre les devants et élaborer nos propres explications alternatives.
• Permettre la communication et resserrer le lien social Lors d’évènements problématiques et autres scandales, nos groupes d’appartenance peuvent être mis en danger… La thèse du complot, de par sa nature consensuelle, permet de maintenir un sentiment d’unité et de certitude.
Le DSK-gate a touché de plein fouet le parti socialiste, ses militants et ses sympathisants, mais n’a pas épargné le reste de la classe politique, et l’opprobre s’étend probablement aux « dirigeants », à ceux que l’on perçoit habituellement comme intouchables (ou du moins peu touchables) et qui devraient être irréprochables (ou du moins peu reprochables). Recourir à la théorie du complot permet non seulement de rassurer mais également de rassembler, resserrer les rangs…
• Protéger l’identité sociale de son groupe d’appartenance Resserrer les rangs, donc, et finalement attribuer la cause des troubles aux faits d’un exogroupe (= d’un groupe différent du nôtre). Si ce n’est pas nous, alors ce doit être eux (et c’est mieux). Le phénomène tient d’un processus de catégorisation sociale : nous divisons ce que nous percevons en catégories, il y a « nous » et il y a « les autres », ceux qui ne font pas partie de « nous ». Pour vivre en cohérence avec nos perceptions, nous devons protéger notre endogroupe (= notre groupe d’appartenance) contre les menaces potentielles. Si un petit groupe de pourris est responsable de nos malheurs, et non la société entière, alors notre identité à « nous » est protégée.
• Proposer un mode de résolution de crise
Ainsi, la thèse du complot serait une réponse à la menace… Mais aussi une façon de la maîtriser. En effet, la théorie ne pointe pas de coupable unique et dénonce le fonctionnement d’un état entier, d’un système gouvernemental dans son ensemble… Alors si tout le monde est un peu coupable, au fond personne n’est vraiment responsable. Arrangeant. La solution, sur un mode « super-héros », serait alors d’aller faire le ménage dans la classe politique et remettre l’individu au centre de la société (place qui serait potentiellement occupée par le pouvoir, l’argent et la domination).
Les travaux en psychologie sociale, sociologie & autres disciplines ne s’arrêtent pas là sur cette question. Graumann et Moscovici (1987) ont par exemple émis l’idée que certaines théories du complot pouvaient n’être qu’un dispositif pour justifier la discrimination envers certaines minorités (c’est la faute des juifs ! Des islamistes ! Des sorcières ! Pourritures communistes !), ce qui n’est pas sans rappeler le phénomène du bouc émissaire. Les recherches du psychologue Pascal Wagner-Egger (cf interview sous le fameux « pour aller plus loin ») penchent en faveur de deux catégories différentes de théories du complot : les théories du complot permettant de discriminer des minorités vs. celles visant la culpabilité du gouvernement ou d’éventuels services secrets. Mais pourquoi les thèses de machination connaissent-elles aujourd’hui un tel succès, une telle adhésion de la part du grand public ? Selon l’auteur, ce succès serait lié à certaines caractéristiques de nos sociétés actuelles : sentiment d’insécurité, conservatisme politique, influence culturelle New Age, médias numériques et culture de masse.
Autrement dit : nous sommes bien dans une société un peu étrange (pour ne pas dire pourrie). Mais au fond, vous savez ce qui me fout vraiment en l’air ? ON NE SAURA JAMAIS. La vérité est ailleurs, et peut-être même que la théorie du complot a elle-même été lancée par un groupe de conspirateurs. Peut-être que 2012 est une rumeur tout droit issue de nos dirigeants, qui vont tous nous faire clamser pour squatter les restes de la Terre entre personnes de bonnes familles.
QUELQU’UN A UN BILLET POUR VÉRIFIER ?! [dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/x6vvtl_complot-dollars-plies-11-09-illumin_news[/dailymotion]
Pour aller plus loin
– Théorie du complot et franc-maçonnerie – DSK : pourquoi la théorie du complot a émergé – Théories du complot, représentations, identités sociales et l’affaire Marc Dutroux – Interview de Pascal Wagner-Egger – Et une petite expérience de psycho-soc’ pour la route
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Les Commentaires
Le danger serait tout autant d'être à fond sur une certaine idée d'un complot, que de refuter absolument toute idée de complot. Ne pas tomber dans l'excès de l'un ou de l'autre: le premier peut rapidement faire céder à la paranoïa, le second peut rapidement faire tomber dans une confiance aveuglante. Je pense qu'il faut trouver un juste milieu et surtout ne pas mettre de côté toute information, aussi folle ou aussi commune qu'elle peut paraître, et avoir l'esprit ouvert et aventurier afin de se créer sa propre vérité ou réalité. De toute façon, s'il y a complot, je pense que tôt ou tard les choses se savent, l'Histoire nous l'a bien souvent démontré (mais en ce qui nous concerne, on risque de ne plus être vivants depuis belle lurette). En attendant, rien n'interdit de chercher par soi-même, de peser le pour et le contre, et de ne pas rejeter en bloc les informations disponibles, qu'elles qu'elles soient. A mes yeux, rejeter en bloc toute idée d'un complot c'est aussi choisir une méthode facile et figée, c'est rester sur ses positionnements et ses certitudes, demeurer dans l'illusion d'une toute-puissance égocentrique; c'est avant tout une façon de se rassurer, une façon de refouler ses propres peurs ou angoisses et de rester dans l'illusion que nous sommes seuls maîtres de nos vies. Une façon de rester dans une sécurité omnipotente, alors que tout autour est plus puissant que nous (à commencer par la Nature et le Monde et à plus petite échelle le système institué). Et puis je pense que toutes les avancées ont dû certainement reposer sur des besoins de renverser certaines idées ou valeurs.
Je crois que c'est le propre de l'humain de chercher à connaître la vérité, ce qui l'amène dans de multiples sentiers battus, et cette quête-là est primordiale pour chacun.