Ces dernières semaines, deux entreprises françaises ont décidé de devancer l’État en matière de droits des parents au travail : Critizr a mis en place un congé pour les arrêts naturels de grossesse, et Mobidys a allongé le congé paternité de ses employés à 10 semaines. Pourquoi l’État est-il autant à la traîne sur ces questions, au point que des entreprises décident de le devancer ?
Des accords d’entreprise progressistes
Le 1er mai 2022, Critizr, PME spécialiste de la relation client, a mis en place un congé de cinq jours pour les employés confrontés à un arrêt naturel de grossesse (anciennement appelé « fausse couche »). Cette même entreprise avait également choisi de proposer un congé menstruel pour les personnes souffrant de douleurs de règles handicapantes.
Début juin, la société Mobidys, qui adapte des œuvres littéraires pour les DYS, a décidé d’aligner le congé paternité de ses employés sur la durée du congé maternité post-natal, soit 10 semaines. C’est 6 semaines de plus que ce que propose l’État français (25 jours dont seulement 7 obligatoires).
Le groupe de luxe Kering s’était également distingué en 2020, en proposant 14 semaines de « congé bébé » pour tous les parents. Mais on peut aussi citer le groupe d’assurance Aviva, chez qui les employés peuvent bénéficier d’un congé parentalité de 10 semaines depuis 2017. Ces entreprises se comptent cependant sur les doigts d’une main, ou de deux tout au plus.
Femwashing ou initiatives sincères ?
On peut se féliciter que de plus en plus d’initiatives de ce genre voient le jour. Mais le femwashing (les entreprises qui souhaitent se donner artificiellement une image pro-égalité femmes-hommes) est si fréquent que l’opinion publique peut s’interroger sur la sincérité de ces mesures.
Pour Mobidys, la motivation est claire : limiter les discriminations à l’embauche et pallier les manquements du droit français qui pénalise les candidates en âge de procréer. L’un des principaux investisseurs de la société est l’entreprise suédoise ILT, spécialisée dans les technologies de l’éducation. Le progressisme suédois (où les pères ont 48 jours de congé, puis la possibilité d’un congé parental bien rémunéré) a positivement influencé Mobidys en matière de droit social.
Faustine Tillard, responsable marketing chez Mobidys souligne également l’évidence pour l’entreprise d’être inclusive avec ses employés :
Nous prônons une société inclusive… il nous paraît donc évident d’appliquer ces principes à nous-mêmes
Quant au fait d’en parler publiquement :
Nous estimons qu’il est utile de communiquer sur ce type de mesures pour qu’elles se démocratisent.
Du côté de Critizr, la volonté est de faire reconnaître des souffrances invisibilisées. « Légalement, aucun dispositif n’est mis en place avant la 22ème semaine » explique Xavier Molinié, DRH de l’entreprise, qui souligne également que l’arrêt d’une grossesse avant ce stade « reste un événement extrêmement douloureux. […] Je me suis dit qu’il fallait être en avance sur cette évolution sociale : on ne peut pas accepter que la douleur physique ou psychologique soit un frein. »
Il rassure également sur la sincérité de l’initiative, « c’est un vrai engagement fait en bonne et due forme sociale. ». Mais est-ce que les salariées vont réellement oser parler à leur employeur de leurs règles douloureuses ou de leurs arrêts de grossesses ? Xavier Molinié se veut rassurant :
« Il y a un climat de confiance et d’ouverture d’esprit au sein de l’entreprise. Nous sommes dans une posture générale de respect et d’écoute. Après, chacun est libre de se fixer ses propres barrières, nous offrons une possibilité, nous n’imposons rien. »
Une charte pour des entreprises parent-friendly
En 2021, Selma El Mouissi (Lead Program Manager chez Haigo), Clémence Pagnon et Isma Lassouani (co-fondatrices d’Issence), et Judith Aquien (autrice de « Trois mois sous silence », Payot, 2021) ont fondé le Parental Challenge. Elles proposent aux entreprises un guide, ainsi qu’une charte d’engagement, pour que les lieux de travail deviennent davantage parent-friendly.
La motivation à l’origine du projet ?
Les dispositifs sont insuffisants pour préserver la dignité des individus à des moments-clés, qui demeurent tabous (fausse couche, premier trimestre de grossesse, parcours PMA, retour de congé maternité), et les parents ou futurs parents, en particulier les femmes, continuent d’avoir peur pour leur carrière dès que naît le désir de parentalité. […] Le changement est important, car il est culturel : transmettre leurs droits aux salarié-es, ça ne coûte rien, mais ça établit culturellement une ambiance saine, qui évacue la peur, l’impression de jouer à la roulette russe en annonçant qu’on va avoir un enfant.
Dans les idées de mesures à mettre en place, on trouve par exemple 5 jours de congés « enfant malade » rémunérés, 3 jours pour les deux parents en cas de « fausse couche », ou encore la possibilité de télétravailler à 100 % à certains moments de la vie de (futurs) parents.
En effet, 66 % des parents confient avoir des difficultés à concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle avec un enfant de moins de 3 ans. Jusqu’ici, une centaine d’entreprises ont signé la charte, de la TPE à la très grosse entreprise comme PwC.
Mais que fait l’État ?
Depuis le 1er juillet 2021, les co-parents peuvent bénéficier d’un congé « paternité » de 25 jours pour la naissance d’un enfant, et de 32 jours pour une naissance multiple. Une avancée, certes, mais encore bien maigre, et surtout en deçà de ce qui était préconisé par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik.
Nommé président de la commission d’experts scientifiques sur les 1 000 premiers jours de l’enfant, il avait remis un rapport au gouvernement en septembre 2020, recommandant un congé paternité de 9 semaines, et un congé parental de 9 mois, rémunéré à 75 % du revenu.
Le gouvernement avait alors choisi de ne pas suivre ces préconisations. Pourtant, la place du co-parent auprès de la mère et de l’enfant est cruciale, à la fois pour qu’il crée du lien et endosse son rôle à part entière, mais également pour soutenir la mère, très vulnérable en post-partum. Laisser la mère seule avec son bébé pendant les premières semaines accroît considérablement le risque qu’elle fasse une dépression du post-partum. C’est un sujet de politique publique dont l’État doit s’emparer, surtout lorsque l’on sait que le suicide est la première cause de mortalité des mères dans l’année qui suit un accouchement !
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En mars 2022, la députée Paula Forteza a déposé une proposition de loi de prise en charge globale des arrêts naturels de grossesse : création d’un parcours de soin spécifique, instauration d’un congé de 3 jours pour le couple, formation des soignants, campagne publique, création d’une plateforme d’écoute, etc. Espérons qu’il en sorte quelque chose de positif, on attend toujours des nouvelles de la proposition de création d’un délit d’entrave à l’allaitement, déposée par Fiona Lazaar il y a un an…
Pour les fondatrices du Parental Challenge, ce n’est pas aux entreprises à aller plus loin que l’État :
« Il faudrait que l’État s’empare de tout ce que nous poussons chez les entreprises pour améliorer concrètement les cadres légaux. En revanche, les entreprises ont souvent montré une agilité qui pouvait être exemplaire, et forcé justement l’État à prendre des décisions allant dans le sens du progrès. »
Et comment cela se passe dans d’autres pays ? En Espagne, le congé paternité est de 16 semaines, tout comme le congé maternité. Le pays s’apprête également à voter une loi permettant un congé menstruel de 3 à 5 jours. Des lois similaires existent déjà au Japon et en Corée du Sud, même si elles sont très peu utilisées.
Au Québec, en cas de grossesse interrompue avant 20 semaines, la mère a droit à un congé maternité de 3 semaines, cependant non rémunéré. En Nouvelle-Zélande, une loi est passée en 2021, garantissant un congé de 3 jours aux parents confrontés à un arrêt naturel de grossesse.
Les exemples ne manquent pas, et il est grand temps que la France s’aligne et propose une politique parentale digne de ce nom !
Crédit photo image de une : Pexels / Sarah Chai
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