C’est un mot qui revient régulièrement dans la bouche de journalistes et militantes féministes, un « backlash » serait en train de s’installer depuis quelques années en France et dans le monde entier. Comment le repère-t-on ? Il suffit d’allumer sa télévision, de lire les actualités ou de scroller sur les réseaux sociaux.
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Autour du monde, les droits des femmes subissent de violents revers
Depuis plusieurs années, les droits des femmes subissent des revers un peu partout dans le monde : août 2021, les talibans reprennent le pouvoir en Afghanistan, soumettant des millions de personnes qui tentent de fuir du jour au lendemain, et notamment des femmes, qui, pour celles qui restent, voient leurs droits s’envoler en un rien de temps, comme celui d’étudier par exemple, alors qu’elles ont à nouveau l’obligation de porter le voile intégral en public. Juin 2022, coup de tonnerre aux États-Unis, avec l’abrogation, par la Cour suprême, de l’arrêt Roe vs. Wade, qui sonne le retour de l’interdiction et de la pénalisation de l’avortement, précarisant des dizaines de millions de femmes à travers le pays dans l’accès à l’IVG. Une nouvelle dramatique pour la santé et les droits des femmes qui éveille de nombreux débats, jusqu’en France, où la question de la constitutionnalisation de l’IVG est toujours en cours d’examen au Parlement. Toujours à l’été 2022, le verdict du Procès Depp-Heard envoyait un message particulièrement négatif à toutes victimes de violences conjugales autour du monde, et plus largement aux femmes, et mettait au jour les mécanismes bien rodés des masculinistes œuvrant sur les réseaux sociaux pour influencer le débat et répandre des discours haineux et anti-féministes.
Les exemples sont nombreux, et pourraient être résumés dans la citation bien connue de Simone de Beauvoir :
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Le schéma qui se dessine ces dernières années prend la forme d’une menace sourde, qui plane au loin, celle d’un « backlash« .
Le backlash, ça veut dire quoi ?
Dans sa traduction littérale, le mot « backlash » signifie « contrecoup ». En français, on peut aussi le traduire par « retour de bâton ». Il s’agit d’un concept théorisé par la journaliste et militante féministe Susan Faludi dans son livre « Backlash. The Undeclared War Against American Women » (en français « Backlash. La guerre froide contre les femmes« ), paru aux États-Unis en 1991 et traduit en français deux ans plus tard par Lise-Éliane Pomier, Évelyne Châtelain-Diharce et Thérèse Réveillé. Dans cet ouvrage de plus de 500 pages, elle met au jour un concept novateur qui permet, en un mot, de décrire la situation que vivaient les femmes aux États-Unis à l’époque, mais dont le principe semble immuable et résonne encore particulièrement à l’heure actuelle : chaque avancée pour les droits des femmes ou des minorités serait irrémédiablement suivie d’un « retour de bâton » conservateur, réactionnaire et masculiniste.
D’où vient le concept de Backlash ?
À l’époque, Susan Faludi fait référence au « backlash » vécu par les femmes étasuniennes dans les années 1980. En effet, la décennie suit les années 1970 et les mouvements de libération des femmes, qui ont permis des avancées majeures en termes de droits des femmes. Parmi elles, celles-ci peuvent par exemple désormais demander le divorce sans faute, qui est moins contraignant et permet aux femmes de quitter leur mari sans avoir à prouver une faute de sa part. Si les années 1970 étaient une époque d’émancipation des femmes, à l’inverse, les années 1980 ont vu l’arrivée de discours conservateurs, véhiculés notamment par les médias, mais aussi la publicité et la culture. En cause : les acquis récents en matière de droits des femmes auraient mis un terme aux combats féministes, dont les femmes n’auraient plus besoin. Pire encore, ces acquis auraient finalement rendu les femmes malheureuses et mal dans leur peau. Des discours visant notamment à décrédibiliser les discours féministes, à travers notamment une critique des « ambitions carriéristes » de femmes qui seraient finalement devenues des hommes.
« La vérité, c’est que nous assistons depuis dix ans à une revanche, à une puissante contre-offensive pour annihiler les droits des femmes », pour faire croire que « le chemin qui conduit les femmes vers les sommets ne fait que les précipiter, en réalité, au fond de l’abîme ».
Susan Faludi, « Backlash. The Undeclared War Against American Women »
En plus de 500 pages, l’ouvrage de Faludi, qui remporte l’année de sa publication le National Book Critics Circle Award dans la catégorie documentaire, démonte ces idées reçues dans un travail extrêmement rigoureux. L’autrice y répertorie et analyse des discours politiques, articles de presse ou encore des publicités en mettant en lumière leurs contrevérités, fabulations et stéréotypes, pointant ainsi les inégalités économiques, sociales et politiques auxquelles sont confrontées les femmes à l’époque. Faludi démontre finalement comment, sur fond de progressisme, un grand nombre d’acteurs mènent en réalité une « guerre » contre les femmes, ayant à cœur de retourner en arrière, quand il ne s’agit pas tout simplement d’annuler les avancées dont elles ont bénéficié.
Avec la parution de ce livre, et la popularisation du terme « backlash« , Susan Faludi devient l’une des principales figures du féminisme des années 1990, aux côtés notamment de Gloria Steinem, qui publie en 1992 “Révolution intérieure, renforcer l’estime de soi”, réédité récemment dans une nouvelle traduction française par les éditions Harper Collins.
Le livre est devenu l’un des incontournables de la littérature féministe et le concept de « backlash » a depuis été largement diffusé, permettant d’alerter sur une réalité : non, les avancées sociales quelles qu’elles soient ne sont pas linéaires, loin de là, et les droits des femmes et des minorités peuvent être, à tout moment, menacés.
Une bonne façon de répondre à ceux et celles qui estiment que « les progrès se font avec le temps« .
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