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Google contraint d’autoriser l’oubli numérique en Europe

Google n’oublie rien, mais le droit européen consacre le droit à l’oubli des citoyens sur Internet. Une décision de la Cour de Justice est venue réaffirmer ce principe, obligeant Google à désindexer les contenus portant préjudice au plaignant.

Le 29 mai 2014 — Pour respecter la décision de justice de la Cour Européenne du 13 mai dernier, Google vient de mettre à disposition des Européens un formulaire sur son site, afin de faire une demande de suppression des résultats de recherche.

Il y a néanmoins de nombreuses contraintes pour que Google accède à votre demande, que Le Monde explique parfaitement dans cet article. L’histoire complète est à lire ci-dessous, dans notre article datant du 14 mai dernier.

Dans un communiqué envoyé à l’AFP, Google déclare que « l’arrêt implique pour Google de faire des arbitrages difficiles entre le droit à l’oubli d’un particulier et le droit à l’information du public » et que le moteur de recherche va mettre en place «  un comité consultatif » pour l’aider à fixer l’équilibre entre ces deux impératifs.

Le 14 mai 2014 — Mario Costeja est espagnol. Il a fait l’objet de deux articles dans La Vanguardia : pour régler ses dettes de sécurité sociale, une saisie judiciaire a été effectuée à son domicile. C’était en 1998. Mais par la suite, ces articles ont continué d’apparaître dans les recherches Google sur son nom (car Google n’oublie rien), ce qui portait préjudice à Mario Costeja.

En 2010, il saisit l’Agence de Protection des Données Espagnoles (L’AEPD, la CNIL espagnole), pour qu’elle demande soit à La Vanguardia de dépublier ces articles, soit à Google de supprimer l’indexation de ces deux articles de presse sur son nom : cette affaire d’ordre judiciaire étant soldée, il demande à ce qu’une recherche Google sur son nom ne la fasse pas systématiquement remonter à la surface.

L’AEDP rejette la demande concernant La Vanguardia, puisque le journal avait publié légalement ces informations, mais saisit la Cour de Justice de l’Union Européenne (la CJUE) de plusieurs questions portant sur l’application du droit européen concernant la seconde demande de Mario Costeja.

Une directive européenne garantit le droit à l’oubli des citoyens

Le droit à l’oubli est consacré au niveau européen : il est l’objet de la directive 95/46, qui « vise à protéger les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques (droit à la vie privée notamment) lors du traitement des données à caractère personnel tout en éliminant les obstacles à la libre circulation de ces données ».

Saisie de l’affaire Mario Costeja contre Google, la CJUE a estimé que le moteur de recherche était responsable de la manière dont les données étaient traitées : sans un moteur de recherche, la multitude des données concernant un individu ne pourraient pas être regroupées aussi rapidement et aussi facilement. C’est donc que Google n’est pas « neutre » et que si une information peut être légalement publiée (par le journal La Vanguardia dans ce cas), son indexation au nom de la personne par un moteur de recherche peut lui porter préjudice.

C’est ce que dit en l’essence le communiqué de la CJUE :

« Même un traitement initialement licite de données exactes peut devenir, avec le temps, incompatible avec cette directive lorsque, eu égard à l’ensemble des circonstances caractérisant le cas d’espèce, ces données apparaissent inadéquates, pas ou plus pertinentes ou excessives au regard des finalités pour lesquelles elles ont été traitées et du temps qui s’est écoulé. »

En conclusion, la CJUE rappelle que si des contenus rattachés à notre nom peuvent nous porter préjudice, chacun peut demander à Google la désindexation de ces contenus,

dès lors que l’on a « un droit à ce que les informations en question relatives à sa personne ne soient plus, au stade actuel, liées à son nom par une liste de résultats qui est affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir de son nom ».

Ils ne disparaissent pas de l’Internet, mais ils n’apparaissent plus sur une recherche Google à votre nom :

« La personne concernée peut adresser de telles demandes directement à l’exploitant du moteur de recherche qui doit alors dûment examiner le bien-fondé de celles-ci.

Lorsque le responsable du traitement ne donne pas suite à ces demandes, la personne concernée peut saisir l’autorité de contrôle ou l’autorité judiciaire pour que celles-ci effectuent les vérifications nécessaires et ordonnent à ce responsable des mesures précises en conséquence. »

Google « déçu » de cette décision

Les conclusions de la Cour ont surpris Google, dont la réaction est rapporté par ZDNet :

« Cet arrêt est décevant pour les moteurs de recherche et pour tous ceux qui publient du contenu en ligne. Nous sommes très surpris qu’il s’éloigne si profondément des conclusions de l’Avocat Général ainsi que des avertissements et des conséquences qu’il y formulait. Nous devons désormais prendre le temps d’analyser les implications de cet arrêt. »

En effet, « les implications » de cet arrêt sont susceptibles d’influencer considérablement les activités du moteur de recherche, dès lors que chacun peut s’adresser directement à lui pour obtenir la désindexation de contenus sur son nom.

Combien de courriers vont affluer dans les boîtes de Google, demandant la désindexation de résultats de concours ratés par exemple, histoire de ne pas laisser traîner sur le Net les traces de vos échecs passés ? Ce genre de contenus pourrait porter préjudice à une personne en recherche d’emploi.

En l’essence, la Cour de Justice de la Communauté Européenne demande à Google de respecter le droit à l’oubli des citoyens.

« Le droit à l’oubli, c’est la volonté de supprimer une information sur laquelle on a changé »

En France, la Loi informatique et libertés protège le citoyen contre les utilisations de ses informations personnelles pouvant lui porter préjudice. Chacun a le droit de demander la suppression de contenus portant atteinte à sa dignité : propos injurieux, photos intimes mises en lignes par des tiers, mais aussi des informations concernant l’état de santé d’une personne publiées sur Internet.

Le droit à l’oubli est déjà garanti par la CNIL, ce qu’expliquait sa présidente, Isabelle Falque-Pierrotin, au micro de France Info en 2013 :

« Le droit à l’oubli sur Internet c’est la volonté et la possibilité pour chacun d’entre nous de maîtriser ses traces numériques et sa vie privée et publique en ligne.

Concrètement, dans la vie de tous les jours, on oublie naturellement, ce qui nous donne la possibilité de changer, d’évoluer ou de mûrir.

Sur Internet au contraire, une information mise en ligne reste figée dans le temps. Elle peut rester diffusée plusieurs années après sa publication, comme si elle était gravée dans le marbre. Et c’est assez facile de retrouver une information sur une personne en interrogeant un moteur de recherche, à partir de son nom et de son prénom.

Le droit à l’oubli, c’est la volonté de supprimer une information sur laquelle on a changé. »

Écoutez les réponses d’Isabelle Falquier-Pierrotin sur France Info (émission de 2013) :

Sur environ 6 000 plaintes reçues en 2012, la CNIL en enregistré un millier portant sur le droit à l’oubli.

Où s’arrêt le droit à l’oubli et où commence la censure ?

Prenons un exemple concret : dans ma prime jeunesse, je participais à des concours de poèmes, pour lesquels je signais à chaque fois des autorisations de publication (les premiers prix étant bien souvent une publication dans un journal).

L’autorisation de publication ne précisait pas de support en particulier, ni de durée de publication. C’était aux débuts d’Internet (oui, je suis vieille). Certains de mes poèmes ont été publiés sur les sites organisateurs des concours. Enfin, par « site », comprenez une page HTML avec un fond de couleur saumon avarié (souvenez-vous du graphisme des années 90).

Plusieurs années plus tard, Internet est partout dans le monde. Et il n’a pas fallu bien longtemps à un petit camarade de Sciences Po pour déterrer une de mes oeuvres. C’était fait en toute bienveillance (car j’ai le sens de l’humour !) mais tout de même : j’avais l’ambition de me lancer en politique, et si mes archives de poésie adolescente sont accessibles à tous en quelques clics, ma crédibilité risquait d’en souffrir. La question ne se pose plus aujourd’hui, ces pages ont disparu, enfouies dans les limbes des premiers sites Internet français.

Ces poèmes portaient-ils atteinte à ma réputation ? C’est à moi d’en juger, non ? Si je n’assume plus ces textes, je peux légitimement demander à ce qu’ils soient retirés. Mais j’ai donné une autorisation de publication, qui ne comportait pas la mention « jusqu’à ce que je cesse d’assumer ces contenus ».

Est-ce que ce ne serait pas plus simple de considérer que nous changeons, nous évoluons, que tout ce qui est posté sur Internet à notre sujet (par nous-mêmes ou par des tiers) ne nous définit pas ? Ne sommes-nous pas une génération pour laquelle avoir un vieux Skyblog, avoir un dossier photos de soirées, avoir expérimenté Facebook sans retenue sont justement des marqueurs communs ? Quelle pertinence et crédibilité accordons-nous aux « dossiers » numériques des autres, dès lors que nous en avons tous un ?

Le règne du « old » n’est-il pas déjà une réponse à mon épineux problème de poèmes sur la paix dans monde (oui oui…), de photo de soirées déguisées en zèbre (…si), de commentaires nuls laissés dans des groupes Facebook ouverts à tous ?

Je ne sais pas. D’un côté, la loi informatique et libertés, la directive 95/46 me donnent les outils juridiques nécessaires pour demander la suppression de contenus qui me porteraient atteinte. D’un autre, j’utilise un pseudonyme pour publier chez madmoiZelle, parce que je sais qu’une fois que Google aura associé mon vrai nom à ces articles (bien que j’en assume chaque mot), ce lien sera impossible à défaire. C’est bien qu’au fond de moi, j’ai peur de ne pas pouvoir me faire oublier de Google.

Même si « Don’t be evil » (« ne soyons pas malfaisants ») figure toujours dans le code de conduite de l’entreprise, je reste mal à l’aise avec l’idée que Google connecte sans arrêt tout ce que je fais sur la Toile, entre archiviste, détective privé et biographe sans mandat. Comme si quelqu’un fouillait mes ordures et les triait pour retracer ma consommation, mon évolution, ma vie.

Et toi, que penses-tu de cette décision ? Y a-t-il des contenus indexés sur ton nom dont tu aimerais te défaire ? Ou au contraire, est-ce que cette mémoire permanente fait « partie du jeu » sur Internet ?

Pour aller plus loin :


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

11
Avatar de Zgu
2 juin 2014 à 21h06
Zgu
Je me suis aperçue en me googlant (googlelisant?) qu'il y avait mon adresse et mon téléphone sur un site d'annuaire, c'est normal ça ? Je ne suis pas sur liste rouge (ça existe toujours ?) mais bon j'ai pas envie d'être aussi "visible" en un clic. Je serais tentée de remplir le formulaire pour ça, mais j'ai entendu qu'il fallait envoyer un justificatif comme le scan de notre carte d'identité. Ça me fait un peu tiquer, pas envie de leur donner plus d'info non plus, ça va.
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