Précédemment dans #62jours : Au taquet de l’effort, se trouve le seuil du progrès
J’ai toujours abusé du droit à l’erreur pour apprendre, c’est l’une des forces que je reconnais au système scolaire français : je trouve qu’il sur-focalise sur les erreurs — beaucoup d’exercices sont à barème dégressif : on perd des points à chaque faute, on n’en gagne pas à chaque réponse juste, par exemple.
Sans parler de tous les exercices qu’on réalise en classe ou au brouillon : on est là pour se tromper, comprendre où et pourquoi on fait des fautes, puis recommencer.
Plus le droit à l’erreur, je panique ?
C’était sans doute ma pire angoisse à la sortie de l’université, en arrivant dans mon premier job : j’avais perdu le droit à l’erreur.
Ça y est, je suis dans la cour des grands, il n’y a plus de brouillons et de contrôles, il y a directement des rapports à rendre au directeur, puis au PDG.
Mes erreurs ont des conséquences directes, pour moi et pour les autres, mes collègues, mes supérieur•es, etc.
J’ai développé une mauvaise technique pour réussir à désamorcer cette angoisse : j’ai le droit à l’erreur, mes chef•fes ne l’ont pas, je leur remets la responsabilité de trouver et rattraper mes fautes à temps.
Je m’engage juste à ne jamais les refaire. J’ai toujours le droit à l’erreur, mais une seule fois pour chaque erreur possible…
Pourquoi je dis que c’est une mauvaise technique ? Parce qu’elle ne m’enlève pas vraiment de pression, et parce que ce n’est pas une attitude responsable…
Le droit à l’erreur quand on écrit sur Internet
J’ai quitté ce job après un burn out et je suis arrivée chez madmoiZelle quelques mois plus tard. Rebelote, l’absence de droit à l’erreur me paralyse.
Quoi que j’écrive, il y a toujours un ou une spécialiste dans les commentaires, prêt•e à pointer la moindre virgule de trop, le mot de travers, l’imprécision regrettable.
Je change de stratégie et je cherche à blinder tous mes écrits, en couvrant absolument tous les cas de figure. Je mets alors 2 à 3 jours à écrire des articles de 12 pages, qui en sont réduits à 4 au fil des relectures croisées successives.
Une grosse perte de temps et d’énergie pour toutes les parties prenantes.
Je me rends compte au passage que cette stratégie ne me prémunit absolument pas contre l’erreur, et voilà comment je me retrouve à relayer une campagne de sensibilisation contre le syndrome de Down, qui se trouve en fait cofinancée par des anti-choix.
Le droit à l’erreur quand la vie des autres est en jeu
En 4 ans de rédaction d’articles, j’ai fini par faire la paix avec l’exigence que je me mets, qu’Internet me met, que madmoiZelle me met. J’avais pas résolu mon complexe du droit à l’erreur, mais j’arrivais à vivre avec.
Jusqu’à ce que j’aille me former à être guide de plongée et que je me retrouve à nouveau face à une limite non négociable : quand la vie des gens est en jeu, on ne peut pas se tromper.
Tu peux pas t’accorder un « droit à l’erreur » quand tu encadres des plongeurs débutants ou confirmés et que tu descends à 30 mètres de fond. C’est pas possible.
Mon instructrice me confiait la vie de 4 personnes en me demandant de les accompagner le temps d’une plongée. Et cette situation m’a complètement fait débloquer : si je n’ai pas le droit à l’erreur, je suis paralysée,
je ne fais plus rien, j’ai trop peur… de faire une erreur.
C’est là que j’ai compris un truc : j’avais le droit à l’erreur, un million de fois, AVANT qu’on entre dans l’eau.
J’ai le droit de me planter quand je vérifie le matériel, quand je le mets, quand les membres de ma palanquée s’équipent… J’ai le droit à l’erreur à toutes les étapes de la préparation.
Et puis, il y a les points de contrôle. C’est pas grave de trouver des erreurs à ces étapes là, elles servent d’ailleurs à ça.
Le dernier point de contrôle se fait juste avant la descente dans l’eau. Dernière occasion d’avoir fait une erreur et de la repérer.
Trouve ton droit à l’erreur et éprouve-le
Cette expérience m’a grandement fait relativiser mon besoin de faire des erreurs : si j’ai un droit à l’erreur quand la vie des gens est en jeu, je peux bien devenir rédactrice en chef de madmoiZelle. Dans un open space parisien, la pire faute que je puisse faire ne coûtera la vie de personne.
Cette relativisation n’a pas marché : pendant mes premières semaines, avant de cliquer sur le bouton « publier », j’avais le vertige.
Le même vertige que j’avais avant de me jeter à l’eau, quelques semaines plus tôt…
Là encore, je retrouvais cette sensation étouffante : celle de ne pas avoir le droit à l’erreur. Ma propre exigence, celle des lectrices, celle que j’estime due à madmoiZelle, cette combinaison me donnait le vertige.
J’en ai parlé à Fab, de cette frustration qui me bloquait, pour ne pas dire qui me paralysait, l’impression de ne pas avoir le droit à l’erreur. Sa réponse :
« Bien sûr que tu as le droit à l’erreur. Un million de fois, avant de cliquer sur publier ».
C’est comme ça que j’ai fini par comprendre. À l’école, j’avais un million de fois le droit à l’erreur avant de rendre ma copie du bac. En plongée, j’avais un million de fois le droit à l’erreur avant de me jeter à l’eau.
Sur madmoiZelle, j’ai un million de fois le droit à l’erreur avant de cliquer sur publier.
Maintenant j’ai compris. Quoi que je fasse dans la vie, il y aura toujours quelque part cette limite, au-delà de laquelle, effectivement, je n’ai plus le droit à l’erreur.
Mais il y a tout l’avant, tout le terrain de jeu et d’expérimentation, où les échecs ne sont que des leçons, jamais des drames. Il y a toutes les erreurs à faire, pour les comprendre et apprendre d’elles.
Depuis que j’ai compris ça, dans chaque nouveauté que j’explore, je cherche où se situe mon droit à l’erreur. Et je l’éprouve, j’en abuse là où il n’a d’autres conséquences que celles de me faire grandir, mûrir, progresser…
Exploiter sereinement ce droit à l’erreur, c’est ce qui me permet de devenir meilleure dans tout ce que je fais.
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