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Féminisme

Droguées à leur insu, elles témoignent pour que les futures victimes soient mieux prises en charge

Mardi 12 avril, l’émission Ça commence aujourd’hui a mis en lumière quatre femmes qui ont été droguées à leur insu puis agressées sexuellement. Pour toutes, le même leitmotiv : les manquements médico-judiciaires flagrants sur le sujet.

Se réapproprier son histoire et mettre fin à la culpabilité des victimes, deux priorités. Aujourd’hui, les victimes de la « drogue du violeur » (on pense souvent au GHB, mais d’autres substances amenant à une soumission chimique sont concernées) sont de plus en plus nombreuses à oser prendre la parole pour dénoncer un phénomène inquiétant qui ne cesse de gagner en ampleur au sein des bars et des discothèques. 

Des victimes de la « drogue du violeur » témoignent dans l’émission Ça commence aujourd’hui 

Pour de nombreuses femmes, le traumatisme est long à panser. Sur le plateau de Ça commence aujourd’hui, mardi 12 avril, Faustine Bollaert a reçu Margaux, Clémence, Clara, et Amandine. Des femmes aux âges et aux profils différents qui partagent toutes la même blessure : avoir été droguées à leur insu et abandonnées par la justice française. 

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Cliquez pour accéder au replay.

En novembre dernier, Margaux, 19 ans, accompagnée de sa meilleure amie, a croisé un garçon qu’elle connaissait déjà, lequel lui proposa d’aller en boîte de nuit. Son dernier souvenir fut le verre qu’il lui a servi à 1h15 du matin. Black-out. 

Elle s’est réveillée le lendemain aux urgences, sans papiers ni carte bancaire ni portable. Le personnel médical ne l’a pas testée pour le GHB ou autres substances conduisant à une soumission chimique, alors que tous soupçonnaient une prise de drogue. Margaux a même interpelé les soignants sur le sujet, en vain.

Sa plainte a été classée sans suite. 

« C’est moi qui ait réclamé aux soignants qu’ils me fassent un dépistage (…) Deux jours après, je reçois les résultats et je vois que j’ai été testée au cannabis, à l’ectasy, à la kétamine, mais ils n’ont pas recherché le GHB dans mon sang. Ils m’ont dit que c’était des analyses un peu compliquées, qui prennent du temps et qu’ils ne proposent donc pas. » 

Des drogues qui peuvent entraîner la mort

Le GHB, comme bien de ses dérivés, peut provoquer entre autres des malaises, des trous noirs et même conduire jusqu’à la mort s’il est administré en trop grande quantité, comme alerte Laurent Karila, psychiatre-addictologue, présent dans l’émission Ça commence aujourd’hui. 

« Le GHB est une molécule qui va agir sur les récepteurs de manière identique à l’alcool. Quand vous en prenez à petite dose, moins de 0,5 millilitre, vous êtes un peu désinhibé, comme quand vous buvez deux ou trois verres d’alcool. En fonction des gens et au fur à mesure qu’on augmente les dosages, entre 1 et 2 millilitres, on devient ivre, avec des envies sexuelles, des trous de mémoire… Au-delà de 2 millilitres, on peut faire des comas et même en mourir. » 

Disponible en général sous forme liquide, le GHB n’a aucune odeur ou goût marqué. Un piège idéal : il peut facilement être ajouté à une boisson, à l’insu des victimes, sans être détecté.

Mais attention, le GHB n’est pas la drogue la plus utilisée aujourd’hui pour soumettre chimiquement une victime. En 2017, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de Santé (ANSM) a recensé 462 cas de soumission chimique en France. Parmi eux, seules trois personnes ont été intoxiquées au GHB. Xanax, Lexomil, Valium ou encore Stilnox, accessibles sur ordonnance, sont plus utilisés par les prédateurs. Ces tranquillisants, associés à l’alcool, auraient des effets similaires à ceux du GHB. 

La drogue du violeur, ignorée depuis trop longtemps

Retour à l’émission. L’absence de considération médicale et judiciaire est exprimée par toutes les jeunes femmes. Les histoires se répètent, se ressemblent quelques fois, mais toutes présentent leurs particularités.

Il y a aussi Clémence, 26 ans, droguée lorsqu’elle avait 17 ans dans un bar, alors qu’elle célébrait sa réussite au baccalauréat. 

L’un des hommes rencontrés dans ce bar lui a préparé son verre. Au bout de quelques gorgées, c’était le trou noir. Mais ses amies lui ont rappelé qu’elles étaient allées en boite, que le videur avait cillé — sans toutefois agir — face à son comportement désinhibé. 

L’horreur, Clémence s’en est souvenue, après-coup, par flashs. L’homme qui lui a servi sa boisson l’a violée dans une voiture alors qu’elle était inconsciente, à moitié endormie.

« Systématiquement, il y a une réponse qui est totalement inadaptée de la part de l’appareil judiciaire et des services de police. »

Marc Geiger, avocat pénaliste

C’était il y a 9 ans, et à l’époque, on n’osait pas toujours dire qu’on avait été victime d’un viol sous substances. On n’osait pas toujours se rendre à l’hôpital pour réclamer un dépistage de drogue. On n’ose toujours pas forcément en 2022, d’ailleurs.

Honteuse alors qu’elle n’avait rien à se reprocher, la jeune femme a mis quelque temps à en parler à ses proches. Et une nouvelle fois, sa plainte a été déboutée par manque de preuves

Des victimes lâchées par les forces de l’ordre 

Clara, 21 ans, a aussi déposé plainte suite à son agression, mais son agresseur n’a jamais été retrouvé. Alors qu’elle rentrait chez elle, un homme l’a surprise, lui a emprisonné le bras, et l’a piquée furtivement avec une seringue. Chaleur, nausée, rapidement elle a senti son corps partir… Et l’homme en a profité pour l’agresser sexuellement. La suite ? Un black-out, puis des bribes du viol qui sont revenues peu à peu la hanter. 

Enfin, il y a Amandine 22 ans, droguée lors d’une soirée étudiante. Elle s’est réveillée après six heures de trous noirs, alors qu’elle pensait avoir fermé les yeux deux secondes. Le lendemain de son agression, couverte de bleus, elle est testée positive au GHB

Elle a fait constater ses blessures au commissariat, mais une fois encore, sa plainte a été classée sans suite. Pourtant, Amandine a lancé un appel sur les réseaux sociaux afin de dénicher d’autres victimes présentes à la même soirée. Elle a été retweetée plus de 5000 fois, mais l’affaire n’a pas été réouverte par les forces de l’ordre.

Les difficultés à détecter le GHB 

Mais alors, pourquoi les victimes de GHB — ou autres substances permettant une soumission chimique — font-elles encore face à de telles carences judiciaires et médicales alors que le phénomène est de plus en plus dénoncé ? Pourquoi la détection du GHB ne se démocratise-t-elle pas ?

Laurent Karila expose les difficultés à détecter le GHB, qui n’est pas encore assez « routinier » selon lui aux urgences. 

« Le GHB, il faut vraiment se dépêcher de le tester. Il reste 6 à 12 heures au maximum dans le sang ou les urines. Maintenant, j’ose imaginer qu’avec tout le bruit qu’il y a, il y aura des dépistages un peu systématiques aux urgences… » 

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À noter que le GHB est détectable trois mois grâce à un test capillaire, peu proposé par les services de santé, car il est extrêmement cher. Marc Geiger, avocat pénaliste présent lors de l’émission, explique :

« C’est un coût exorbitant, ce qui fait que la plupart des médecins ne le prescrivent pas. Et c’est plus une analyse sur le plan judiciaire que médicale. Ils sont faits par des laboratoires de police scientifique. »

Amandine, elle, voulait absolument savoir ce qui lui était arrivé. Dès le lendemain de son agression, elle demande à son généraliste de lui prescrire une ordonnance et réalise un test capillaire à ses frais… Qui se révèle sans surprise positif.

Un geste qui a un prix élevé : de 150 euros via Internet à 4000 euros pour un test dans un laboratoire. 

Déposer plainte, un combat perdu d’avance ? 

Même après détection du GHB ou autre drogue, les agresseurs sexuels risquent peu d’être inquiétés. D’après Libération, on compte en France « 1,3 infraction de viol condamnée, pour 100 femmes se déclarant victimes ». Cela vaut-il vraiment le coup de déterrer ses démons et d’aller déposer plainte ? L’avocat pénaliste fulmine face à l’inaction judiciaire. 

« Systématiquement, il y a une réponse qui est totalement inadaptée de la part de l’appareil judiciaire et des services de police.

Ce n’est pas parce que vous n’avez pas d’éléments de preuve que vous ne pouvez pas déposer une plainte. Vous savez que le simple fait d’administrer à quelqu’un, à son insu, une substance toxique, c’est punissable. On risque 5 ans d’emprisonnement  et quelques dizaines de milliers d’euros d’amende. Surtout, c’est aujourd’hui inscrit dans la loi comme une circonstance aggravante en matière de crime sexuel. » 

Oser une action judiciaire lorsqu’on est victime de soumission chimique n’est souvent pas qu’un acte de justice pour soi, mais aussi pour les autres proies. Grâce au mouvement de libération de la parole autour de ce phénomène, même en possession de peu d’éléments, les services judiciaires commencent peu à peu à créer des recoupements et l’opinion publique aujourd’hui se mobilise contre ce fléau. 

Outils et associations pour lutter contre le GHB 

Ces derniers mois, du fait de l’explosion du sujet sur les réseaux sociaux, le gouvernement a mis en place des campagnes d’affichages dans toutes les boites de nuit. Un QR code présent sur les affiches permet d’entrer en contact avec des conseillers 24/24h et 7/7j, qui peuvent vous aiguiller.

De nombreux accessoires sont également disponibles pour aider à détecter la présence de GHB dans sa boisson : des capotes de verres, du vernis à ongles ou encore des pailles qui changent de couleurs au contact de la substance. 

Des associations montent également au créneau pour lutter contre ce phénomène, comme Consentis, qui promeut une culture du consentement et qui se bat contre les violences sexistes et sexuelles dans les milieux festifs. 

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© Consentis

L’association explique recevoir de nombreux témoignages de personnes qui ont été victimes du GHB depuis le mouvement Balance ton bar / MetooGHB apparu en novembre 2021. Clémentine Roul, chargée de la prévention et des formations chez Consentis, explique à Madmoizelle :

« Nous accueillons leur première parole, les redirigeons vers des associations d’aides aux victimes qui pourront assurer un suivi psychologique, aider dans la prise de rendez-vous médicaux au besoin. »

L’association fait de la prévention et de la sensibilisation à destinations des organisateurs d’évènements sur les problématiques des violences sexuelles qui peuvent avoir lieu au sein des établissement. Clémentine Raoul ajoute qu’elle alerte aussi sur les « risques liées à la consommation de produits psychoactifs et la nécessité de prendre en charge une personne qui est intoxiquée et qui, dans un état de détresse, vient voir le personnel. » 

Vous pensez avoir été droguée à votre insu : que faire ? 

Quel est le premier réflexe à avoir si vous suspectez d’avoir été droguée à votre insu ? Selon Clémentine Roul, il faut commencer par :

« En parler à quelqu’un — une amie à vos côtés ou encore une personne de l’établissement — pour avoir une personne au courant de votre situation et qui pourra vous aider à vous rassurer au besoins, car la crise de panique peut aggraver certains effets de la substance, vous donner un verre d’eau le temps de voir si les effets empirent ou non. » 

Dans un second temps, si votre état se dégrade, si vous souffrez de perte de connaissance, de tremblements ou encore de détresse respiratoire, vous devez absolument appeler les secours : un médecin vous aiguillera sur les gestes à adopter. Vous pouvez également vous rendre directement aux urgences, exposer votre situation afin de suivre des examens complémentaires pour savoir si vous ne risquez rien. 

N’oubliez surtout pas que vous n’êtes peut-être pas la seule victime présente sur les lieux, comme le rappelle la chargée de prévention de l’association Consentis. 

« Si l’on s’en sent capable, on peut se diriger directement vers du personnel de service pour demander de l’aide, mais aussi pour signaler l’incident et créer une vigilance des personnes en service sur sa clientèle »

Enfin, vous pouvez aussi déposer plainte auprès de votre commissariats. Les forces de l’ordre sont obligées d’enregistrer votre déposition : si elles refusent, vous pouvez porter plainte par courrier au procureur rédigé par un ou une avocate. Si besoin, de nombreux collectifs féministes peuvent vous rediriger vers une aide juridique — #NousToutesEn avant toute(s), pour ne citer qu’eux.

Pour que la honte change de camp

« Je voudrais alléger votre culpabilité à toutes », conclut Marc Geiger à la fin de l’émission. Et d’ajouter :

« N’oubliez pas que les gens qui vous ont ciblées sont de vrais prédateurs. Ils sont partis chasser. Tout a été fait de leurs côtés, pour que vous tombiez dans le panneau, pour vous ne vous doutiez de rien, surtout pour qu’ils arrivent à leur fin. »

On ne le dira jamais assez, il y a urgence : la honte doit définitivement changer de camp. 

Quelques ressources en cas de violences sexuelles

À lire aussi : Violences sexuelles, GHB… Comment les bars et boîtes préparent une réouverture plus safe

Image en Une : Capture d’écran – Ça commence Aujourd’hui


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Les Commentaires

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Avatar de Morgana Talbot
14 avril 2022 à 12h04
Morgana Talbot
@Marie Chéreau MERCI !!!
Enfin un article sur Madmoizelle qui parle de GHB avec la rigueur de mise,en parlant aussi des autres moyen d'altérer notre état. Je sais pas si c'est à force d'avoir râlé sous vos articles en rapport (pardon, cette thématique m'intéresse donc je suis exigeante) mais je trouve en tout cas cet article très bien : informatif, explicatif, plutôt exhaustif.
Une fois sa lecture achevée, on a de vraies mises en gardes et conseils utiles, sans reproduire à tout prix ce mythe répandu du GHB = drogue du viol. Et je plussoie @Lune0103 pour l'alcool, la drogue la plus commune des abuseurs qu'on ingurgite hélas parfois de nous-même plus que de raison.
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