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Drogue dans un verre au bar, piqûres en club… La soumission chimique, décryptée par une toxicologue

Piqûres, verres infectés… Dans les bars et les boîtes de nuit, diverses substances sont utilisées par des agresseurs pour soumettre chimiquement leurs victimes, parfois dans le but d’abuser d’elle. On vous dit tout sur un phénomène qui ne cesse d’inquiéter.

Avec son opération #SafeBar, Nous Toutes déclare la guerre à la soumission chimique. Depuis mars 2022, l’organisation féministe engagée contre les violences sexistes, sexuelles, économiques et psychologiques faites aux femmes, aux personnes LGBTQIA+ et aux enfants, a lancé une grande campagne de prévention contre les agressions en milieu festif dans toute la France.

Une suite concrète au mouvement #BalanceTonBar apparu dès novembre 2021, sur les réseaux sociaux. À l’origine, tout a démarré de l’autre côté de la frontière belge, où plusieurs cas d’agressions ont été reportés dans les bars d’un quartier étudiant de Bruxelles. Très vite, les récits abondent aussi en France mettant sur le devant de la scène le phénomène de la soumission chimique, encore trop peu connu dans l’hexagone.

Alors que les médias révèlent quotidiennement de nouveaux cas de personnes droguées à leur insu dans des bars, parfois même par des piqûres en boîte de nuit, ou encore dans la rue, le gouvernement d’Emmanuel Macron a décidé de lancer, le 15 février dernier, une campagne de sensibilisation contre le GHB, plus communément appelé « drogue du violeur ».

Des affiches et des dépliants diffusés dans les boîtes de nuit, ou encore les bars, à destination des professionnels du milieu mais aussi des clients, sont ornées d’un QR code permettant, une fois scanné, d’accéder à un tchat en ligne gratuit et ouvert 24h24 et 7j/7. D’après le ministère de l’Intérieur, relayé par France Info, 32 policiers et 33 gendarmes ont été spécialement formés sur le sujet et sont « exclusivement dédiés à la plateforme », arretonslesviolences.gouv.fr.

Depuis octobre 2003, l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), réalise une enquête nationale pour récolter toutes les cas de soumission chimique recensés en France : en 2019, 574 victimes de ce fléau ont été déclarées officiellement, soit 16,7% de plus par rapport à 2018.

Beaucoup d’idées reçues demeurent encore sur un phénomène qui n’est guère nouveau, et qui ne cesse de prendre de l’ampleur ces derniers mois grâce à la libération de la parole des victimes. Alors, reprenons depuis le début.

La soumission chimique, qu’est-ce que c’est ?

Soumission chimique, définition :

Selon l’ANSM la soumission chimique est « l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace. »

Elle diffère de la vulnérabilité chimique caractérisant l’état de fragilité d’une personne induit par la consommation volontaire de substances psychoactives qui peut la rendre plus vulnérable face à un acte délictuel ou criminel.

Apparition des premiers cas de soumission chimique

La soumission chimique est un phénomène qui existerait depuis « la nuit des temps », confirme à Madmoizelle Samira Djezzar, médecin praticienne hospitalière spécialisée en toxicologie, membre du Comité scientifique permanent « Psychotropes, stupéfiants et addictions » de l’ANSM.

« En France et à partir des années 80, on a commencé à avoir des suspicions sur certains cas souffrant d’amnésie. Souvent, on découvrait que la patiente avait subi des choses ou qu’elle avait fait des choses, dont elle n’était pas consciente. Et c’est à partir de là, qu’il y a eu tout doucement des cas médico-légaux qui sont apparus. Et ce sont des médecins qui étaient des experts médico-légaux auprès des tribunaux qui ont constaté cela et alerté sur la soumission chimique. »

La toxicologue se rappelle de premières plaintes déposées par des victimes de soumission chimique, mais le phénomène étant peu connu, aucune procédure judiciaire n’a abouti. Rapidement, l’ANSM a lancé un comité de réflexion sur la soumission chimique. Dès 1996, Samira Djezzar a reçu ses premiers patients, qui avaient été drogués à leur insu.

Quels sont les produits les plus utilisés actuellement lorsqu’on parle de soumission chimique ?

Le mythe du GHB

Contrairement aux idées reçues, le GHB n’est pas la principale substance responsable de soumission chimique en France. À l’origine, c’est le médecin français Henri Laborit qui synthétise en 1961 cette substance présente naturellement dans le corps humain. Par la suite, le GHB était utilisé comme anesthésiant lors d’interventions chirurgicales.

Dans les années 80, les premiers usages hors cadre thérapeutique sont apparus au sein des milieux sportifs, notamment chez les bodybuilders car le GHB stimule la libération de l’hormone de croissance. C’est au cours des années 80 que son usage récréatif se développe dans certains milieux festifs.

Mais à partir des années 2000, le GHB classé alors comme stupéfiant illicite se fait rare et est vite remplacé par le gamma butyrolactone (GBL). Le GBL ne fait l’objet d’aucun classement juridique car il est utilisé couramment dans l’industrie comme solvant à peinture ou encore pour nettoyer les jantes de voiture. Toutefois en 2011, l’État interdit la vente et la cession au public de ces produits.

Le GHB est principalement répandu aux États-Unis. Ce mythe autour de la « drogue du violeur » est entretenu notamment par les séries télévisées et les films américains dans lesquels il est souvent utilisé pour commettre des viols. Ce mode opératoire a très vite été repris par les séries télévisées et films français.

Selon le rapport de l’ANSM de 2017, sur les 462 cas de soumission chimique recensés en France, seulement trois était liés à une intoxication au GHB.

Les benzodiazépines, principales substances utilisées

Pour la toxicologue Samira Djezzar, en France, il suffit d’ouvrir son « armoire à pharmacie » si on veut soumettre chimiquement une personne :

« Les substances les plus fréquentes sont les benzodiazépines, ce qu’on appelle plus communément les anxiolytiques comme le Xanax, le Valium ou encore le Lexomil par exemple. »

Les benzodiazépines ont des propriétés anxiolytiques, hypnotiques ou encore de somnolence. Certaines peuvent même déclencher une perte de mémoire. C’est également très facile de s’en procurer car elles sont beaucoup prescrites par les médecins : les agresseurs en profitent donc pour en détourner l’usage à des fins criminelles. D’après l’ANSM, les benzodiazépines représentent 41% des substances utilisées dans les cas de soumission chimique en 2017.

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© Isabella Mendes – Pexels

Quels sont les symptômes ressentis lorsqu’on a été soumis chimiquement ?

Les effets les plus courants

Les symptômes peuvent être divers suivant la substance et la quantité ingérée. Toutefois, d’après l’étude scientifique La soumission chimique : un problème de santé publique ? réalisée en 2010, sous la direction du professeur Jean-Pierre Goullé, et relayée par l’Académie Nationale de Médecine, les substances utilisées présentent des effets bien ciblés tels que la sédation, l’hypnose, la désinhibition, des amnésies rétrogrades voire aussi des hallucinations conduisant à la perte de repères spatio-temporels :

« La substance « idéale » pour l’agresseur doit avoir une action rapide, de telle sorte que le délai entre l’administration dissimulée et le crime ou le délit soit le plus court possible, inférieur à trente minutes. L’action doit être brève pour ne pas éveiller les doutes de la victime, une « absence » de quelques heures étant plus facilement admise par cette dernière. »

La dépendance est-elle possible ?

Peut-on développer une dépendance à certains produits, lorsqu’on a été droguée une fois à son insu ? La doctoresse Samira Djezzar est catégorique : « Non, mais le seul risque dépend de la quantité qui est administrée à la victime ainsi que l’association avec l’alcool. »

L’alcool aurait en effet tendance à accentuer les effets des benzodiazépines : un mélange trop important peut déclencher des malaises, mais aussi un risque de tomber dans le coma.

Les difficultés à identifier les substances lors d’un dépistage

À noter que la soumission chimique, via du GHB ou des benzodiazépines, est obtenue grâce à une faible posologie. L’élimination rapide de la substance par l’organisme sont également des caractéristiques recherchées par l’agresseur afin de rendre plus difficile l’identification de la substance.

Son absorption est très rapide : dans la plupart des cas, les substances chimiques sont incolores et inodores et peuvent être ajoutées discrètement dans la boisson des victimes, sous forme de gouttes ou de comprimés broyés. Aussi, les effets sont très rapides à apparaître, entre quinze et trente minutes. Leur élimination s’effectue exclusivement sous forme de gaz carbonique dans l’air expiré, comme le confirme le rapport du Professeur Goullé :

« Moins de 5 % de la dose ingérée sont retrouvés dans les urines. Le produit a complètement disparu du sang en cinq heures et des urines en dix heures. La demi-vie des substances est courte, qui vont donc présenter une fenêtre de détection étroite et augmenter le risque de faux négatif. Le retard de prise en charge et du dépôt de plainte majore ce risque. De plus, un certain nombre de molécules subissent une dégradation après les prélèvements en raison d’une instabilité in vitro. »

Dans les urines, le GHB est détectable entre dix à douze heures, et jusqu’à dix jours en ce qui concerne les benzodiazépines. Passé ce délai, une autre méthode peut être utilisée entre six et huit semaines après les faits : l’analyse séquentielle des cheveux.

Une procédure précise pour que la soumission chimique soit recevable par la justice

Afin d’éviter aux victimes les difficultés inhérentes au dépôt de plainte en commissariat – la première étape « officielle » pour prouver qu’on a été soumis chimiquement – le CHRU de Nancy a décidé de lancer un protocole rapide pour venir en aide aux personnes droguées à leur insu, a rapporté France Bleu Sud Lorraine, le 16 mai. Désormais, une personne pensant avoir été soumise chimiquement peut se rendre directement aux urgences de Nancy.

Le médecin urgentiste peut alors lui proposer d’effectuer les prélèvements avant même le dépôt de plainte. Si la soumission chimique est prouvée, la victime aura cinq jours de réflexion pour se décider à engager ou non des poursuites judiciaires. Une fois le délai écoulé, si la victime n’a pas déposé plainte, les prélèvements seront détruits. Dans le cas contraire, les prélèvements pourront être réquisitionnés par la justice. Les médecins du CHRU de Nancy pourront également appuyer le dépôt de plainte de la victime en contactant la police.

Espérons que ce protocole accéléré se répande partout en France car actuellement, les victimes de soumission chimique sont encore mal prises en charge par le système de santé français. Aujourd’hui, si on pense avoir été droguée ou piquée à son insu, il faut commencer par porter plainte, et non déposer une main courante, dans le commissariat le plus proche de chez soi. Ce n’est qu’après cette démarche que les forces de l’ordre oriente les victimes vers une unité médico-légale apte à réaliser les tests de dépistage. Un parcours finalement à contre-courant du traumatisme vécu par les victimes.

Pour tout savoir sur comment réagir face à une situation de soumission chimique, retrouvez notre mode d’emploi.

À lire aussi : Droguées à leur insu, elles témoignent pour que les futures victimes soient mieux prises en charge

Image en Une : © Darya Sannikova – Pexels


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