Aujourd’hui je peux le clamer haut et fort : je suis hétérosexuelle.
Non, il ne m’a pas fallu un courage immense ni lutter contre de violentes oppressions pour affirmer cela aujourd’hui, à 26 ans. En revanche, c’est le fruit de longues années de réflexion !
Parce que oui, pendant des années, j’ai bien cru que j’étais une femme bisexuelle.
C’est en expérimentant ma sexualité et en comprenant que ce questionnement provenait plutôt des injonctions de la société que de moi que j’ai pu éclairer ma lanterne.
Laisse-moi tout t’expliquer.
Mon regard sur le corps des femmes, modelé par la société
Depuis aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours trouvé le corps des femmes beau. Voluptueux, sexuel, magnifique, et tout un tas d’autres adjectifs.
Je l’ai toujours perçu comme une entité à regarder, à apprécier, à contempler, contrairement aux corps des hommes que j’ai mis du temps à trouver désirables, érotiques et sexuels.
J’ai toujours trouvé beaucoup de mes copines belles, beaucoup de femmes de ma famille belles, cette appréciation physique « positive » allant avec son pendant « négatif » — à savoir que j’ai aussi trouvé beaucoup de femmes moches quand elles ne rentraient pas dans les stéréotypes de beauté.
Mon avis sur le corps des hommes, lui, a longtemps été très neutre : je ne jugeais pas tant les hommes sur leur plastique que sur leur visage, ce qu’ils dégageaient, la sympathie ou non qu’ils m’inspiraient ou au pire leur carrure globale vue de loin sous des pulls et des t-shirts.
Bien sûr, j’écris tout ceci aujourd’hui avec mon regard déconstruit qui met en lumière toute la violence de ce point de vue rempli de clichés sexistes, mais avant ma vingtaine, je n’avais aucune conscience que mon regard et mes choix étaient motivés par autre chose que mon identité propre !
J’ai donc passé mon enfance et mon adolescence le cerveau martelé par des pubs, des représentations à la télé et partout autour de moi de femmes sexuelles, belles et désirables et d’hommes fiers, puissants et charismatiques.
J’ai passé des années à contempler mes sœurs, mes amies et des inconnues, tout en sexualisant mon propre corps et ma propre identité.
Dans le même temps, j’ai découvert petit à petit les relations amoureuses et sexuelles avec des hommes par lesquels j’étais naturellement attirée, d’abord sans me poser trop de questions.
Mes premiers baisers, avec des hommes et des femmes
À 12 ans, j’ai fait mon premier bisou langoureux avec un garçon. Puis à 15 ou 16 ans, j’ai commencé à expérimenter mes premiers bisous avec des filles.
C’était l’âge de la drague maladroite, l’âge où les hormones de tout le monde sont en ébullition, l’âge des tests, des premières soirées alcoolisées, l’âge des groupes de potes.
Mais c’est surtout l’âge où j’ai commencé à comprendre, sans même avoir regardé de porno ou avoir vraiment pensé au sexe, qu’embrasser une femme, en tant que femme, était glamour et faisait de moi une femme indépendante, légère et attirante aux yeux des hommes.
Une femme libre, sexuelle et donc avec du pouvoir.
À vous, les femmes qui me lisent, n’avez-vous jamais embrassé vos copines et meilleures amies devant des garçons et d’autres filles pour rigoler ou épater la galerie ?
N’avez-vous jamais, lors de vos premières ivresses, embrassé vos sœurs de cœur pour voir comment ça faisait ?
Peut-être pas, bien sûr, car toutes les femmes n’ont pas la même expérience, mais dans mes cercles, c’était quelque chose de courant.
Au moment de ces expérimentations, aucune réflexion n’en avait découlé. Je testais mes limites (et ne les trouvais pas vraiment), j’embrassais mes amies (toujours en public), j’observais ce que ça créait dans l’assistance et je trouvais ça agréable.
Finalement, je ne prenais pas vraiment de plaisir dans l’acte en lui-même mais plutôt dans les réactions que ces baisers suscitaient. À cette époque-là, tout était toujours clair : mon truc dans la vie, ce sont les garçons.
Puis quelques temps plus tard, vers 17 ou 18 ans, j’ai rencontré le porno.
Je n’ai aucun souvenir précis des premières images pornographiques que j’ai vues, mais je me souviens que, très rapidement, mon regard s’est porté sur les femmes dans les films X hétéro ou lesbiens.
Logique, me direz-vous, dans une société patriarcale où le porno mainstream est globalement fait par des hommes hétéro pour des hommes hétéro ! Mais à l’époque je n’avais pas, dans mes yeux, le filtre du féminisme sur les images que je visionnais.
J’ai donc commencé à mater des femmes dans des contextes sexuels, j’ai commencé à regarder leurs seins, les voir être pénétrées et jouir sans vraiment prêter attention aux hommes qui faisaient l’amour avec elles.
Et c’est à cet instant précis que la petite graine s’est immiscée dans mon esprit : suis-je vraiment hétérosexuelle, ou ai-je envie de sexe avec des femmes ?
Ma première relation sexuelle avec une femme
Dans la foulée, j’ai eu mon premier petit ami, un beau (pas si beau que ça avec le recul) maître nageur, gentil et attentionné, avec lequel j’ai fait ma première fois — dans une piscine municipale, pour l’anecdote !
Tout était clair, limpide : j’aimais les hommes, je savais qu’ils m’aimaient et je découvrais que le sexe pouvait être un plaisir, un moment de partage, une zone d’intimité et de forte complicité.
Je suis restée 1 an ½ avec ce garçon, puis j’ai eu ma première expérience sexuelle avec une femme, sans l’avoir prémédité.
À cette époque-là de ma vie, autour de mes 18 ans, je multipliais les rencontres sur Internet. Rencontrer des gens sur le Web me passionnait, je fréquentais plusieurs plateformes, forums, jeux en ligne munis de chats.
Sans forcément d’objectif sexuel, j’allais boire des verres en compagnie d’inconnus avec lesquels je partageais une tranche de vie.
Puis j’ai rencontré Marie, une femme rousse de quelques années mon aînée que je trouvais merveilleusement belle (sans pour autant avoir envie de sexe avec elle), et avec qui je parlais quasi quotidiennement.
Marie vivait près de chez moi, elle était très intéressante et c’était la 1ère fois que je nouais une relation à distance aussi suivie avec une femme. D’ordinaire, même si il n’y avait pas forcément d’acte sexuel, je communiquais surtout avec des garçons.
Les hommes me fascinaient (et me fascinent toujours) ; j’avais l’impression d’avoir le contrôle sur eux et de savoir exactement comment diriger nos conversations, ce qu’ils pensaient, ce qu’ils voulaient. Alors qu’avec les femmes, tous les codes que j’avais intégrés s’annulaient
.
Pourtant, avec Marie, ça a pris. J’étais dans une position que je ne connaissais pas vraiment, j’avais l’impression que c’était elle qui menait la danse, avec beaucoup de gentillesse et d’humour dans nos échanges.
Puis un jour, nous avons décidé de nous rencontrer et elle m’a invitée chez elle. Nous avons discuté, rigolé, regardé des films et à un moment où je ne m’y attendais pas du tout, elle m’a embrassée.
Comme je n’avais pas compris qu’elle était dans une démarche de drague avec moi, ne captant aucun de ses signaux, j’ai été quelque peu désarçonnée par ses avances. Mais j’étais curieuse, et ce qui se passait ne me déplaisait pas, à moi, jeune femme avide d’expériences.
J’ai alors laissé la chose filer en me laissant guider.
Nous nous sommes embrassées, nous sommes déshabillées, et Marie s’est occupée de moi sans que je ne sois vraiment active. Je n’ai pas réellement pris de plaisir mais n’ai pas détesté ça non plus, puis naturellement cette entrevue sexuelle s’est arrêtée, je suis rentrée chez moi, et je ne l’ai plus jamais revue.
Aimer coucher avec des femmes pour être une femme désirable
Après cet épisode que j’ai décortiqué dans ma tête pendant une longue période, je n’avais toujours pas de réponse à ma question : suis-je bisexuelle ?
J’avais apprécié ma première expérience avec une femme que je trouvais merveilleusement belle, qui avait été d’une douceur et d’une gentillesse inédite pour moi.
Je nous avais imaginées de l’extérieur pendant nos ébats et j’avais trouvé ça très excitant… mais de l’intérieur, je n’avais pas ressenti grand-chose.
Je n’avais alors qu’une idée en tête : reproduire l’expérience avec une autre femme, en étant consciemment dans la drague cette fois-ci, pour tenter de mettre des mots clairs sur mon orientation sexuelle.
Pendant les années suivantes, j’ai continué à explorer ma sexualité et ma vie amoureuse avec des hommes. J’aimais l’affirmer avec beaucoup de panache à mes petits copains : j’ai très envie d’essayer un plan à trois avec une autre femme.
C’était vrai, même si avec le recul je sais qu’à cette époque je n’étais pas prête à l’expérimenter… Mais surtout, j’adorais dans quelle « case de copine » cette affirmation me mettait.
La copine ouverte d’esprit, ouverte aux ébats avec d’autres filles. La meuf pas jalouse qui veut bien que son mec couche avec une autre fille devant ses yeux. La copine parfaite à mes yeux, quoi.
Je n’en avais encore une fois pas conscience, mais je jouais le jeu du patriarcat, de l’hypersexualisation des femmes et des relations sexuelles entre femmes.
J’avais intégré depuis des années qu’une femme attirante et désirable était ouverte, aimait embrasser et coucher avec d’autres filles, et en plus de ça l’idée d’intégrer une meuf dans mon intimité de couple m’excitait réellement.
Mais n’ayant pas de recul et n’ayant fait aucun travail de déconstruction, toutes mes vraies envies, mêlées avec les injonctions et l’influence de la société devenaient un gros tas de flou dans lequel je me perdais un peu plus de jour en jour.
Suis-je vraiment bisexuelle ou est-ce que je reproduis les schémas du porno que j’ai vus et revus ?
Suis-je vraiment bisexuelle ou ai-je la sensation inconsciente que pour être la plus désirable et la meilleure des copines, je DOIS être ouverte aux relations sexuelle avec d’autres femmes ?
Ma révélation sur mon hétérosexualité
Pendant des années (environ 6 ou 7 ans), je n’ai jamais recouché avec une femme — ni seule, ni avec un de mes copains. Et le doute m’habitait toujours, sans pour autant me rendre malade.
Jusqu’au jour où, à 24 ans, j’ai rencontré ce couple hétérosexuel avec qui j’ai formé un trio amoureux et sexuel incroyable. Ce couple qui m’a permis de mettre des mots sur ma sexualité et les doutes qui m’habitaient depuis des années.
En septembre 2018, je te racontais déjà ce que j’avais vécu grâce à ce duo incroyable. Si tu veux lire l’histoire en détails, rendez-vous dans l’article J’ai couché avec un couple, et ça m’a fait TELLEMENT de bien.
Pendant les trois mois où j’ai fréquenté ce couple, nous avons beaucoup fait l’amour, noué une amitié précieuse, et j’ai eu le temps, dans tous nos ébats, dans ce contexte bienveillant de m’observer, comprendre par quoi j’étais réellement excitée.
Tout à coup, j’ai eu comme une illumination salvatrice qui expliquait absolument tous les questionnements que j’avais eus depuis mon adolescence.
Pendant toute mon histoire avec Joy et Alex, je faisais l’amour avec Joy, je faisais l’amour avec Alex. Je faisais des cunnis à Joy, je faisais des fellations à Alex. Je regardais aussi Joy et Alex faire l’amour, et petit à petit j’ai compris.
Même si j’aimais faire plaisir à Joy et partager des moments intimes avec elle, je remarquais que systématiquement, dès que nous étions toutes les deux dans un contact intime, ma perception changeait totalement de point de vue.
Je ne vivais plus le plaisir en tant qu’actrice ou participante : je prenais le point de vue d’Alex, présent dans la pièce, qui nous regardait et nous sexualisait. C’est ÇA qui m’excitait.
Quand Alex me touchait ou me pénétrait, je vivais l’ébat sexuel de l’intérieur en tant que femme qui prenait du plaisir, mais je prenais aussi souvent de la hauteur pour adopter le point de vue d’Alex qui couchait avec moi et qui me sexualisait.
J’ai tout à coup réalisé que dans toutes mes expériences sexuelles, j’avais besoin du regard et de la perception d’un homme pour être excitée et prendre du plaisir. Que la femme en tant que telle, isolée, ne m’excitait pas réellement.
J’ai compris que c’était l’homme qui m’attirait : ce qu’il pouvait ressentir, ce qu’il pouvait penser, moi qui touchais son corps, lui touchant mon corps ou celui d’une autre femme.
Bref, c’est bel et bien l’homme qui pendant tout ce temps m’attirait. Sans sa présence dans les parages, physique ou mentale dans mon imagination, je n’étais pas excitée.
Finalement, dans mon expérience avec Marie quelques années plus tôt, c’est uniquement quand j’avais projeté l’image de nous en train de s’embrasser avec le point de vue d’un homme que j’ai ressenti quelques papillons dans le ventre.
L’impact du sexisme et du patriarcat sur ma sexualité
Après avoir eu cette révélation, je me suis réellement sentie libérée d’un poids.
Comme si tout à coup je me comprenais mieux, j’analysais toute ma vie avec un œil critique qui me permettrait de mieux appréhender mes prochaines relations amoureuses et sexuelles.
Tout à coup j’en étais persuadée : je suis hétérosexuelle, pas bisexuelle, et ne pas être excitée par les femmes en tant que telles n’était pas grave, ça ne faisait pas de moi une meuf moins désirable ou moins « ouverte ». C’était juste comme ça.
Après que ma relation avec Joy et Alex s’est finie, j’ai passé beaucoup de temps à m’observer dans mes relations avec d’autres hommes, et je me suis rendue compte de la puissance de cette histoire de point de vue pendant l’amour.
J’ai pu voir à quel point mon plaisir passait par la projection du plaisir des hommes avec qui j’étais, ou des hommes que j’imaginais quand je me masturbais, et ça m’a beaucoup perturbée.
Que dit de moi le fait qu’imaginer que je suis un homme qui pénètre une femme m’excite plus que de m’imaginer moi en tant que femme être pénétrée par un homme ?
Suis-je à ce point sous le joug du patriarcat que je suis obligée d’adopter un point de vue masculin sur mon corps pour ressentir de l’excitation ?
Tu l’auras compris, la résolution de mes questionnements en a amené de nouveaux, mais il n’empêche que j’ai été immensément soulagée et heureuse d’enfin mieux comprendre mon orientation sexuelle.
J’ai été soulagée mais aussi complètement déstabilisée de voir à quel point le sexisme systémique s’était immiscé dans les interstices les plus intimes de ma vie, et qu’il allait être difficile de m’en dépêtrer.
Si les femmes n’étaient pas autant sexualisées, si la sexualité lesbienne n’était pas aussi fétichisée, si on ne vivait pas dans un monde où les seules représentations qui forgent notre image du sexe sont le porno, aurais-je eu tous ces questionnements ?
Observer ma vie sexuelle pour mieux en jouir
Aujourd’hui j’ai 26 ans, je suis sûre que je suis hétérosexuelle, mais mes questionnements sur l’impact du sexisme et de la société patriarcale sur mes attirances sexuelles sont encore présents.
Cependant, je suis heureuse de voir que décortiquer mes automatismes et observer ma sexualité me permet de mieux me connaître et d’avoir une vie sexuelle beaucoup plus épanouie.
Je suis en couple depuis un peu plus d’un an avec un homme grâce auquel je prends un peu plus mon pied chaque jour, avec lequel je communique beaucoup, sans tabou et sans jugement.
Encore aujourd’hui, l’idée de regarder mon amoureux avoir des relations sexuelles avec une autre femme m’excite énormément. L’idée d’avoir une relation sexuelle avec une autre femme devant mon amoureux m’excite tout autant.
C’est un fantasme très présent dans notre couple et peut-être qu’un jour, si nous sommes prêts, nous tenterons l’expérience. Qui sait ? Peut-être que cela me donnera encore plus d’indices sur qui je suis et comment je fonctionne.
Et si cela se produit, je me ferai un plaisir d’envoyer un témoignage à madmoiZelle !
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