Interview de Lisa Dayan, autrice de l’essai Couper la douleur
Madmoizelle. Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Lisa Dayan. Lors d’un événement avec mon association Safe Place, j’ai échangé sur l’endométriose avec des intervenantes et j’en suis venue à parler de mes douleurs. J’ai commencé à bégayer, à trembler, et je me suis rendu compte que je n’étais pas complètement guérie, que je n’avais pas encore évacué ma colère. Tout ce que je dis dans le livre, je n’en ai jamais parlé avant, même pas à une psy, c’était un moyen de faire une sorte de thérapie. Je me suis rendu compte pendant l’écriture que je n’avais plus de douleurs, certes, mais je n’avais toujours pas compris d’où elles venaient et pourquoi ces douleurs s’étaient installées aussi longtemps dans mon corps. Quand j’ai commencé à écrire, il n’existait aucun livre sur le sujet, malgré pas mal de comptes sur Insta qui faisaient déjà de la pédagogie. En faisant mes recherches et interviews, je me suis rendu compte de la véritable utilité du projet.
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Tu as une manière à la fois sensorielle et poétique de décrire la douleur, tu parles de goût, de couleur, de sensations, pourquoi ce choix ?
D’abord, je suis quelqu’un qui fait de la synesthésie, c’est-à-dire que j’associe les choses, les gens, les sensations ou les chiffres a des aspects, des couleurs, je fonctionne comme ça. J’avais fait un exercice à Londres avec ma traumathérapeute qui me demandait de donner une forme, une texture et une couleur à ma douleur, pour essayer de l’évacuer. C’est un bon exercice, tu peux faire ça avec tout type de douleur. La douleur, c’est hyper subjectif, chacun ressent les choses différemment dans sa chair, et on juge beaucoup les gens quand ils ont mal. Décrire de manière précise était ma manière d’être la plus juste possible, en invoquant l’imaginaire. Quand on te demande de jauger ta douleur de un à dix, c’est dur de dire dix, tu ne veux pas passer pour la personne qui a super mal, d’où l’importance de nommer la douleur autrement.
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Loin d’être seulement des douleurs physiques anodines, les dyspareunies (ensemble des douleurs dans la zone de la vulve) impactent également le rapport à la sexualité, à l’amour, à l’estime de soi… Pourquoi ces douleurs prennent-elles une place aussi importante dans la vie de quelqu’un ?
Dans notre époque, il y a une certaine injonction au plaisir, à l’épanouissement sexuel. Quand tu as mal à cet endroit intime de ton corps, tu as l’impression d’être amoindrie, pas désirable, vu que tu n’es pas capable de ressentir du plaisir. Tu n’es pas cette espèce de déesse sexuelle, forte, indépendante, working girl. En ayant mal à cet endroit, on se sent super seule parce que personne n’en parle. Ça t’enferme dans la douleur et tu perds confiance en toi dans l’aspect intime, ce qui impacte ton estime de toi dans toutes les sphères de ta vie, même au boulot. Tu rentres dans un rapport avec toi-même ou tu as tout le temps besoin de prouver quelque chose. Et surtout : la douleur aliène complètement. Je pouvais passer du rire à la colère, je ne supportais personne et en même temps, je ne voulais pas être seule, j’avais l’impression d’être à côté de la plaque en permanence.
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Kiné, botox dans le vagin, crème anesthésiante, ablation du vestibule (tissus d’entrée du vagin)… Que démontre ton parcours médical personnel pour stopper les douleurs quant aux traitements de ces questions dans notre société actuelle ?
Il y a un vrai problème dans notre médecine où le patient n’est pas intégré dans sa guérison. On ne m’a jamais demandé comment je me sentais, de quoi j’avais envie réellement. On t’enlève la possibilité de guérir par toi-même, car avec ce genre de douleurs, tu as besoin de clés, d’outils de la part du corps médical pour guérir. Les médecins ont un discours de toute puissance, on les écoute, on boit leur parole, on ne les remet jamais en question, ils disent quoi faire et on exécute, sans comprendre pourquoi, ni ce que cela va faire. Il manque aussi beaucoup de ponts entre chaque pratique. Si on avait des médecins qui travaillaient plus en réseaux, sans avoir à répéter constamment ce que tu as déjà testé, ce qui marche ou pas sur toi, on perdrait moins de temps.
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Parmi les pistes de diagnostic et guérison, tu évoques l’aspect crucial d’être accompagné sur le plan psychologique, pourquoi ?
Moi, je ne l’ai pas fait, c’est arrivé avec le livre. Je pense que c’est super important parce que les douleurs chroniques sont beaucoup liées à l’aspect psychologique. Peu importe le praticien, sexologue, psychologue, traumathérapeute… il faut pouvoir comprendre quel est son rapport au corps, à la sexualité, à ses partenaires, au plaisir, à la puberté, par exemple, pour comprendre d’où les douleurs viennent.
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Les Commentaires
Puis j'ai écouté il y a peu un podcast sur les douleurs à la pénétration et j'ai eu un déclic violent. J'ai pleuré parce que j'ai réalisé que les médecins m'ont abandonnée à mon sort. Même ceux que j'estimais beaucoup. J'ai pensé : "Vraiment, le corps médical, une crème donnée à la dégoûtée pour des problèmes persistants depuis 20 ans. Sérieusement ?!"
J'avais rendez-vous très bientôt avec ma sage femme, et j'en ai parlé d'emblée. Elle m'a dit qu'il serait temps de voir un sexologue (conseil qu'elle m'a probablement donné l'an dernier mais qui n'a pas fait écho car pas suivi d'effet, pas de courrier pour m'adresser, aucun conseil sur comment le choisir...). J'ai dit que je n'en pouvais plus et que c'était urgent mais qu'il fallait m'aiguiller et elle m'a donné un nom. Une sage-femme sexologue.
J'ai eu le rendez vous hier. Bilan d'une heure. Des problèmes psychiques alimentés depuis 20 ans par des échecs réguliers et de la douleur, et un problème physiologique suspecté.
Mes glandes de Skene sont peut-être inflammatoires. Je me suis bouffé 10 ans d'infections urinaires à répétition et 15 ans de troubles urinaires et c'est peut être juste ces satanées glandes. Personne n'a eu l'idée de jeter un œil. J'ai pourtant tous les signes d'un syndrome urétral.
J'ai aussi une suspicion d'endométriose et une IRM à faire. Ça peut aussi provoquer des douleurs sexuelles.
Affaire à suivre. On va commencer par la lidocaine pour calmer la douleur neuropathique et du sensate focus pour la partie psychique.
Vraiment, si j'ai un conseil à donner, ne restez pas avec ça, faites-vous aider, mais forcez les pros à vous accompagner si nécessaire. Ils ne sont pas franchement volontaires.
A noter que les consultations de sexologie sont pas prises en charge à 100%. J'ai 50€ de reste à charge. Mais ça vaut vraiment le coup.