Joueur_1 est sorti il y a quelques semaines au Diable Vauvert. Les romans de Douglas Coupland sont souvent des succès : il faut dire que le monsieur sait particulièrement bien mener sa plume. Qu’en est-il de son dernier opus ?
Douglas Coupland a une fâcheuse habitude concernant ses bouquins : une fois sur deux, un de ses romans n’est pas très bon et s’enfonce dans les poncifs de la génération perdue. En d’autres termes, il jongle sans cesse suivant les textes avec l’émotion et le sentiment de perdition total et le nihilisme mou. Pas facile de suivre son oeuvre de A à Z. J’avais éperdument aimé l’un de ses derniers livres, Eleanor Rigby, qui racontait l’histoire d’une femme seule, à l’image des « lonely people » de la chanson des Beatles. Dans ce récit on trouvait tout aussi bien des réflexions intelligentes sur le besoin de communication de l’être humain que des scènes émouvantes aux larmes. Avec Joueur_1, c’est vrai, j’en attendais beaucoup : du vrai Coupland qui fait frétiller la paupière.
Joueur_1 nous raconte l’histoire d’une poignée heures dans la vie de quelques personnes : dans un bar d’hôtel d’aéroport (vous vous doutez bien que le lieu n’est pas choisi par hasard), les destins se croisent de manière très rapide. Nous suivons la trajectoire de Rick (le serveur), Karen venu attendre un rencard, Rachel qui cherche un père pour son enfant, un pasteur ayant volé l’argent de sa communauté et quelques personnages qui viennent se greffer au noyau initial. Les personnages se jaugent, s’inspectent, et le narration change de point de vue régulièrement, passant en boucle les mêmes événements. Pendant ce temps, ce qui vient chambouler le monde, c’est la fin des gisements de pétrole
: le prix du baril explose, tout est bloqué et en quelques minutes l’Histoire change : pillages, explosions toxiques et vent de panique.
Joueur_1 est l’un des narrateurs : c’est en réalité la vision « sans limites » de Rachel, une version planquée sur le net. Rachel est, de manière assez paradoxale, le personnage le plus attachant du roman. En effet, cette jeune femme ne se considère pas comme « humaine » : ses émotions sont bloquées, quasi inexistantes, et elle ne sait pas interagir avec autrui. Dans un contexte de fin du monde, c’est finalement elle qui s’en sortira le mieux : sans céder à la peur ou autre, elle dévoile au lecteur les vraies motivations de l’humanité, ainsi que la nécessité des émotions. Rachel, dans l’ultime fin, s’ouvre enfin aux autres.
Néanmoins, ce roman a quelques travers gênants : le discours apocalyptique chez Coupland a malheureusement tendance à se répéter. De plus, le contexte de cette apocalypse là à un peu de mal à se comprendre : la fin du pétrole, oui, mais quid du reste ? Des nuages toxiques se propagent un peu sans raison, un tueur fou se cache sous un discours pseudo-religieux… Parfois, ça part un peu en cacahuète et c’est bien dommage. De plus, le rythme de lecture est un peu difficile à prendre, en raison du changement permanent de point de vue. Au final, ce livre nous laisse sur notre faim : c’est bien écrit, le discours est intéressant, mais c’est un peu trop fouillis et le tout donne un goût d’inachevé. Joueur_1 est donc un roman un peu compliqué pour celles qui n’ont pas l’habitude du style de Coupland, et qui ne sera sans doute pas apprécié par celles qui aiment les histoires bien ficelées. Plutôt monté comme une pièce de théâtre, c’est paradoxalement un livre presque visuel, dont il faut suivre la trame d’un œil averti. Plutôt mitigée, je le conseille donc à celles qui aiment l’auteur, ou veulent un regard différent sur le sentiment de crise chez l’être humain.
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