Nous prônons généralement la liberté de choix (plus il y a de choix, mieux c’est, n’est-ce pas ?) pourtant nous avons tendance à ne jamais changer nos habitudes. Nous préférons garder les situations en l’état, et ce même quand nous ne sommes pas à l’origine des choix ou même s’il est dans notre intérêt de changer. Car nous adorons l’habitude et nous détestons le changement, source d’incertitude et donc de risque. C’est l’effet statu quo.
Vous avez probablement déjà haï tout professeur ayant décrété qu’il vous était interdit de changer de place durant l’année car cela lui permettrait de retenir vos prénoms plus rapidement. Pourtant, c’est ce que vous faites naturellement. Même si vous avez la possibilité de choisir librement votre place le jour de la rentrée, il y a de grandes chances pour que vous vous asseyiez ensuite à la MÊME place, TOUTE l’année.
Après un seul jour de classe, on ne peut pas dire qu’une routine soit installée, pourtant il est rassurant de choisir la même place le lendemain (sauf si vous aviez choisi la table bancale dans le courant d’air), a fortiori le surlendemain etc.
Jusque là c’est mignon : nous sommes des angoissé-e-s du changement. Les enjeux deviennent un peu plus sérieux quand les entreprises s’en mêlent.
Le changement c’est flippant (sauf pour cette dame)
Quand les entreprises exploitent l’effet statu quo
Comment les entreprises profitent-elles de notre tendance à l’inertie ? Elles peuvent mettre en place des renouvellements de service tacite. C’est le cas pour la plupart des forfaits téléphoniques. Même si nous trouvons un autre opérateur moins cher, nous sommes peu nombreux à prendre le risque du changement.
Un autre exemple encore plus manifeste est celui des magazines qui proposent quelques mois d’abonnement gratuit, abonnement qui devient payant par la suite (les fourbes !). Il est possible de résilier à tout moment mais certain-e-s d’entre nous semblent ne jamais s’y résoudre. Même s’ils/elles dépensent une fortune en magazines qui s’entassent inutilement sans être lus.
En informatique, l’effet statu quo est bien connu des concepteurs. L’immense majorité d’entre nous ne modifie jamais les paramètres prédéfinis et nous suivons l’installation d’un logiciel « par défaut ».
Les choix par défaut sont aussi là pour nous rendre la vie plus facile lorsque nous ne voulons pas vraiment faire l’effort de choisir. Pour toute décision à prendre, s’il existe une option « par défaut » qui ne nécessite aucun effort, il y a des chances pour que cette option soit davantage choisie que les autres.
On ne choisit pas la case « installation manuelle » à la légère.
Application au don d’organes : opt-in ou opt-out ?
Le choix de ce que contient l’option « par défaut » est donc crucial et les gouvernements s’y intéressent au moins tout autant que nos entreprises. Au-delà de nos petites histoires de logiciels le choix par défaut peut avoir un impact majeur sur la société. C’est le cas en ce qui concerne le don d’organes
.
Note pour la suite: on se limite au cas des organes prélevés sur des personnes en état de mort cérébrale. Il ne s’agit donc pas d’étudier les mesures visant à encourager le don d’organes des personnes de leur vivant (don d’un rein par exemple) mais de partir du principe que si tu es mort-e ET que tu n’étais pas opposé-e au don d’organes (pour raison religieuse ou autre), ne pas en faire profiter ceux dans le besoin c’est un peu du « gaspillage ».
Face à la question du don d’organes, tous les États fixent leur propre règles. On peut distinguer deux groupes :
- Les États dont la législation requiert un consentement explicite. L’individu doit être passé par un certain processus (par exemple être inscrit sur une liste des donneurs d’organes, avoir une carte de donneur) pour qu’un médecin soit autorisé à pratiquer un prélèvement d’organe. Ce type de fonctionnement est appelé « opt-in ». C’est-à-dire que le choix par défaut est « non-donneur ». L’individu doit sortir du statu quo pour être donneur.
- Les États dont la législation estime qu’il y a consentement présumé, c’est-à-dire que tout le monde est donneur par défaut. Il faut alors suivre un processus pour être retiré de la liste des donneurs. C’est la situation inverse, à savoir le fonctionnement « opt out ». L’individu doit sortir du statu quo pour être non donneur.
Les deux systèmes préservent la liberté des individus : qu’on soit dans un État « opt in » ou « opt out » on peut ou non faire don de ses organes. Il faut toutefois s’assurer qu’il ne soit pas excessivement contraignant de s’inscrire ou se désinscrire de la liste des donneurs (sinon c’est une liberté de façade).
Mais même en imaginant un processus qui ne nécessiterait qu’un clic sur une base de données en ligne, ou qu’une case à cocher, l’effet statu quo viendrait changer la donne, considérablement.
Ainsi une étude réalisée par Johnson et Goldstein en 2003 a montré l’importance du choix de l’option par défaut. Les participants à une enquête en ligne étaient arbitrairement divisés en trois groupes :
- Le premier groupe était dans un système opt-in : on demandait aux participants de choisir entre rester « non-donneur » (case cochée par défaut) ou devenir « donneur » (case à cocher).
- Le deuxième groupe était dans un système opt-out : on demandait aux participants de choisir entre rester « donneur » (case cochée par défaut) ou devenir «non-donneur » (case à cocher).
- Le troisième groupe était neutre : on demandait aux participants de choisir entre « donneur » ou « non-donneur » mais aucune case n’était cochée à l’avance.
Dans le premier groupe seulement 42% des participants ont choisi de cocher la case « donneur ». Dans le deuxième groupe 82% des participants étaient donneurs. En condition neutre (troisième groupe), 79% choisissaient la case « donneur ».
En passant d’un système opt-in à opt-out, le nombre de donneurs passe du simple au double !
Johnson et Goldstein ont également étudié ce qu’il en était dans la vie réelle. Ils ont comparé les situations de l’Allemagne et de l’Autriche qui sont deux pays à peu près similaires (on entend par là pas de grande différence culturelle, religieuse ou économique qui influencerait la volonté de faire don de ses organes).
La seule différence étant que l’Allemagne a un système « opt-in » (12% des citoyens sont des donneurs) tandis que l’Autriche a un système « opt-out » (99% des citoyens sont des donneurs) !
Et toi, pensais-tu que notre inertie à prendre des décisions pouvait engendrer de si grandes différences ?
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires