L’un de mes péchés mignons sur TikTok est de suivre le hashtag #BlackWomenLuxury. À vrai dire, l’algorithme de l’application est si bon que j’ignore si j’ai vraiment choisi de consommer ce contenu ou si l’appli a elle-même décidé de m’en nourrir, que je le veuille ou non.
Vacances au soleil en plein hiver, sacs de luxe, chaussures de créateur, restaurants étoilés et voitures dernier cri : aucun détail n’échappe aux vidéos réunies sous ce hashtag, qui reproduisent la vie des héroïnes noires riches et sexy de nos séries préférées, comme Toni de Girlfriends ou Tiffany d’Insecure. Et ça, même jusqu’à la pointe de leurs cheveux qui sont presque toujours… lisses et brillants. La cause : le défrisage (un procédé chimique qui change agressivement la texture des cheveux afro), les lissages au fer ou brésilien (qui peuvent eux aussi abîmer les cheveux afro) ou les perruques (la plupart du temps très coûteuses).
Variées sont les raisons de porter ces cheveux ainsi quand on est une femme noire. La principale étant de gagner du temps, puisque les cheveux crépus nécessitent une attention particulière au coiffage. Sur TikTok, la tendance est tellement répandue que, comme moi, une tiktokeuse afro-américaine qui répond au pseudo @tylersimonexo a remarqué l’absence de cheveux naturels dans ce genre de vidéos ultra aspirationnelles. « You can still be feminine, luxurious and rock your crown », peut-on lire sous des images de l’internaute avec un afro qui comptabilisent plus de 200 000 vues. Avec cette simple phrase, @tylersimonexo met le doigt sur un mécanisme omniprésent dans la pop culture.
Une tendance entre esthétique et stéréotype
Dans les années 1990 et début 2000, toutes les superstars noires dignes de ce nom portaient des cheveux lisses. Les perruques et lace wigs (des perruques avec un tulle pour imiter le cuir chevelu) étaient sur toutes les têtes, de Lil Kim à Beyoncé en passant par Naomi Campbell ou Aaliyah. Tandis que les cheveux naturels, frisés et/ou crépus, étaient aussi rares qu’un merle blanc. Pourquoi ? Simplement car dans une industrie dominée par les blancs, elles doivent souvent répondre aux normes de beauté occidentales selon lesquelles la féminité se trouverait dans de longs cheveux raides.
A contrario, les cheveux afro sont perçus comme sauvages, sales, et masculins. Des stéréotypes racistes qui perdurent et parviennent malheureusement à être intégrés par celles qui en sont victimes. Dès 2010, ce diktat motive le natural hair movement aux États-Unis, puis le mouvement nappy (contraction de naturel et happy) en France. Il encourage les femmes noires à se réapproprier leur identité en prônant le retour aux cheveux naturels. Avec cet élan fleurissent sur le Web blogs et chaines YouTube de femmes noires dont le but est de partager des conseils pour mieux en prendre soin. Une entraide indispensable lorsque l’on sait à quel point les coiffeurs français n’y connaissent rien.
Les femmes noires populaires ont les cheveux lisses
Ces normes et stéréotypes se retrouvent aussi dans nos séries. Les personnages féminins noirs présentés comme riches et/ou populaires et sexy arborent très souvent des cheveux lisses. Qu’ils soient naturels ou non. Par exemple, dans Girlfriends, une série populaire des années 1990 avec en vedette Tracee Ellis Ross, on trouve l’inoubliable Toni (Jill Marie Jones), l’agent immobilier vaniteuse, matérialiste et prétentieuse. Au fil de l’intrigue, le spectateur apprend que sa façon d’être est le résultat de son enfance bercée par une mère alcoolique. On comprend alors qu’elle fait tout pour retrouver confiance en elle. Et cela passe aussi par intégrer les milieux huppés où les cheveux lisses sont de rigueur pour y être plus facilement acceptée.
Le sort de Coco (Antoinette Robertson) dans la série Dear White People est presque le même. Elevée au milieu de la violence des quartiers pauvres de Chicago, elle fait tout pour s’éloigner de son passé. Notamment en rejoignant un groupe d’étudiantes blanches plutôt que fréquenter son amie d’enfance, Samantha (Logan Browning), qui, elle, porte des locks.
Ce snobisme rappelle d’ailleurs celui de Tiffany (Amanda Seales) dans Insecure. Avec sa fausse chevelure blonde, elle affiche un statut bourgeois avec sa vie bien rangée. Un statut en contraste avec celui de son amie Issa Dee (Issa Rae), la débrouillarde fauchée qui cherche encore quoi faire de sa vie. Évidemment, celle-ci porte ses cheveux naturels. Une révolution télévisuelle, puisqu’elle est le personnage principal de la série.
Plus récemment encore, on retrouve un personnage similaire dans Harlem, la série d’Amazon Prime, avec l’actrice Grace Gealy dans le rôle de Quinn, styliste propriétaire d’un somptueux appartement payé par ses parents. Elle héberge Angie (Shoniqua Shondai, qui porte un afro), car elle n’a pas assez d’argent pour s’offrir un logement.
Frisés ou tressés, les cheveux afro toujours discriminés
L’apparence physique a toujours permis d’identifier notre appartenance à un statut social, en plus d’être un facteur d’intégration. Déjà dans les années 1960, où porter une perruque était synonyme d’emploi pour les femmes noires, car elles ne pouvaient pas toujours exécuter les chignons requis par leur employeur, comme l’explique l’historienne Afiya Mbilishaka dans un article publié par le féminin InStyle. Depuis, le prix des perruques a augmenté pour un minimum de 200 euros environ. Autant dire que ce n’est pas tout le monde qui peut se l’offrir.
D’ailleurs, on remarque que les personnages noirs aux cheveux lisses précédemment cités ont tous des carrières professionnelles réussies ou une vie confortable. En France, les femmes noires dépensent plus que les femmes blanches avec un budget moyen de 80 euros par mois, selon une étude de l’agence de communication AK-A relayée dans cet article du média Maddyness. C’est aussi parce que leur apparence est constamment passée au crible…
Pensez à notre chère Olivia Pope, la séduisante experte en relations publiques de Scandal, interprétée par Kerry Washington. Celle qui évolue dans le monde politique aurait été un tout autre personnage si elle portait ses cheveux naturels. Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à voir l’expérience de la représentante états-unienne Ayanna Pressley, cataloguée militante en raison de ses twists, une coiffure torsadée populaire… qui a ensuite dévoilé son alopécie dans une vidéo émouvante. Une remarque à laquelle Michelle Obama a pu échapper grâce à ses cheveux lisses.
Même chose pour Annalise Keating, incarnée par l’excellente Viola Davis dans Murder. Car, en se fondant dans la masse, ils représentent la respectabilité, le professionnalisme, et le pouvoir, puisqu’ils ressemblent aux cheveux des dominants. Comme si les cheveux lisses étaient autant un uniforme que le power suit des femmes d’affaires.
Les cheveux afro, pas « professionnels » ?
Pour le comprendre, l’algorithme de Google nous aide. Le moteur de recherche a rangé dans les images illustrant la « coiffure non professionnelle » les femmes noires aux cheveux afro. C’est pourquoi, en ce moment même outre-Atlantique, le Sénat étudie le Crown Act (acronyme de Creating a Respectful and Open World for Naturel Hair). Une loi, déjà effective en Californie, qui interdit la discrimination raciste des cheveux afro. En 2020, une étude de la Duke University révélait que les femmes noires avec des cheveux naturels, des locks ou des tresses, étaient moins susceptibles de décrocher un entretien d’embauche que celles avec des cheveux lisses.
Alors oui, ces personnages de séries sont cool. Seulement, la représentation qu’ils affichent perpétue l’idée selon laquelle les cheveux afro ne seraient ni sexy, ni professionnels. Pire, qu’ils auraient une apparence négligée. C’est ce qu’on peut notamment voir dans la série Murder de Shonda Rhimes où l’héroïne, une avocate alcoolique aux nombreux traumas, porte une perruque lisse quand tout va bien, pour ne dévoiler à l’écran ses cheveux naturels que lorsqu’elle encaisse un coup dur.
Même chose du côté d’Insecure, où l’on voit pour la première fois les cheveux texturisés de Tiffany uniquement le jour où elle montre des signes de dépression post-partum. Heureusement, on peut compter sur Issa Rae, la créatrice d’Insecure, pour bousculer ces clichés. Dans la dernière saison de son show, Molly (Yvonne Orji), une autre avocate riche et sexy, décide de faire un big chop et d’exhiber ses boucles, juste au moment où elle reprend sa vie en main pour mieux se concentrer sur elle-même.
L’air de rien, la meilleure amie d’Issa Dee rejoint une nouvelle vague de personnages féminins noirs qui ne sont pas riches aux cheveux lisses, mais plutôt intellos et nappy, avec en cheffe de file Maggie Pierce (Kelly McCreary) de Grey’s Anatomy, Sondi (Corbin Reid) de Run The World ou encore Yaz (Nana Mensah) de The Directors. Sur les tapis rouges, des stars afro-américaines n’hésitent plus à prendre la pose avec des cheveux afro. En 2021, l’actrice Lupita Nyong’o montait les marches du Met Gala avec des extensions texturisées. La même année, la réalisatrice Michaela Coel recevait son Emmy Awards avec ses cheveux courts. Tandis qu’Issa Rae avait préféré un chignon tressé. Le changement s’opère à Hollywood !
À lire aussi : En 2021, Miss France continue à massacrer les cheveux afro sans aucune honte
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires
Insecure est sur ma liste de série a voir et ça m'encourage davantage de commencer !