À l’aube de l’année 1789, le Roi perd pied, les Parlements gueulent et la population souffre. Afin de rétablir un semblant d’ordre, une solution apparait être la meilleure : il s’agit de convoquer les États Généraux.
Le Roi (ou ce qu’il en reste) demande à la population de rédiger des cahiers de Doléances afin que les États Généraux puissent connaître les demandes du peuple.
Les cahiers de Doléances, un privilège masculin
Seuls les hommes majeurs ont le droit de dire ce qui va et ce qui ne va pas (une femme n’a pas d’avis, ou alors pas le bon, donc on ne le lui demande pas).
Les mecs se plaignent des impôts : Y EN A TRO C PLU POSSIBL. Extrait d’un cahier de doléances :
« Après mûre délibération, nous avons arrêté unanimement que Sa Majesté sera suppliée :
- que la communauté soit libérée des droits de queste à cause qu’elle est exorbitante et que les droits de feux nous seront supprimés
- mec, y’a trop d’impôts, trop d’impôts, trop d’impôts là. »
De temps en temps on peut voir quelques cahiers qui parlent de l’organisation politique (« On a un Roi ou pas ? ») : les mecs sont nombreux à vouloir élire eux-mêmes les membres des juridictions, par exemple. On retrouve quelques traces de l’influence des Lumières et de la future Déclaration des Droits de l’Homme.
Finalement, ils sont peu soucieux de l’avenir du royaume, d’avoir une constitution écrite ou d’être libres et égaux en droit : ce qui compte c’est le fric ! (C’est chic.)
Les femmes n’avaient donc pas leur mot à dire (d’ailleurs, savent-elles au moins parler ? Je pose la question), elles ne sont pas invitées à dire ce qui va et ce qui ne va pas au sein du royaume. Mais c’est sans compter sur un petit nombre de Toulousaines…
À la fin du XVIIIème siècle, Toulouse était en forme de cœur.
Doléances des femmes de Toulouse aux États Généraux (Douléenços de las fennos de Toulouso as Estats Generals)
Les meufs râlent car elles sont exclues des affaires politiques et « lour hounou, lour bertut s’en trouban ouffencas » (leur honneur, leur vertu s’en trouvent offensés).
Certaines Doléances sont fantaisistes et écrites en vers. Genre les Toulousaines veulent être égales aux hommes (haha, vraiment n’importe quoi), elles proposent même de faire le service militaire. En gros, elles veulent voter et être libres.
Libres d’être les seules à coucher avec leur mari, par exemple :
« Prégan nostré bon Rey de cassa de la Billos ou mettré à l’hespital tout le sexé abilit. A fila de coutou, las rendré un pouc utillos, ellos soulos toujours débaujon le marit »
Ici, elles demandent au Roi de bien vouloir chasser les putes de la ville. De leur faire filer du coton, ce qui les rendrait un peu utiles : elles sont toujours là, à débaucher le mari !
Enfin, elles proposent aussi de créer un impôt sur les vêtements de luxe qu’elles fabriquent mais ne peuvent pas porter. Histoire de rétablir la balance plus que déficitaire du Trésor Royal.
Elles se permettent un peu d’ironie, et ça, j’aime bien. Mais au sein de toutes ces drôleries apparaît soudain… le témoignage des femmes de service.
Douléenços de la Fillas de Serbice de la Billo de Toulouso
Ici, les Doléances sont rédigées en prose. C’est sérieux. On ne parle pas de putes — enfin, pas vraiment.
Les femmes regrettent de ne pas pouvoir présenter au Roi de véritables Doléances, légales, et de ne pas pouvoir voter. Surtout, elles rendent compte de la façon dont sont traitées les domestiques, dont elles sont traitées au quotidien.
Les Toulousaines dénoncent leurs conditions de travail : elles n’ont pas de temps libre, sont sans cesse épiées par leurs maîtres et on les traite comme des animaux.
« Prenoun ou toun imperious, nous parlon d’ambé mesprix, ambé arrougenço » (« Ils prennent un ton impérieux, ils nous parlent avec mépris et avec arrogance »)
Les maîtres les maltraitent psychologiquement, mais aussi physiquement, et abusent parfois d’elles en les prenant pour des « fillos de méchanto bido », de mauvaise vie. On parle donc des prostituées, ce pour quoi leurs maîtres les prennent parfois.
Lorsqu’elles sont malades, elles n’ont pas le droit d’arrêter de travailler. Elles ne sont pas soignées, ou mal. Elles peuvent être virées sans raison, ni préavis. A contrario, elles ne peuvent quitter leurs maîtres sans délai.
Enfin, les patrons peuvent aussi les faire arrêter, juger, et souvent même, exécuter. Entre 1761 et 1767, le Parlement de Toulouse a fait pendre onze servantes. Dont une de 20 ans, pour avoir volé un mouchoir. Peut être les autres avaient-elles osé voler une pomme ?
Sur quelques lignes, les Toulousaines font état de leurs gages et aimeraient une augmentation pour nourrir leur famille. Plus généralement, l’avenir du Royaume ne fait pas partie de leurs intérêts : elles se foutent d’avoir une monarchie ou une assemblée démocratique.
Oui, elles aimeraient pouvoir voter et participer à la vie politique, mais elles n’ont pas le temps, elles ont des maîtres sur le dos, des draps à repasser et des enfants à nourrir. Les Toulousaines aspirent à autre chose :
« Nou boulen pas qué nous appelen Goujos, més Dousmasellos… »
« Nous voulons qu’on ne nous appelle plus goujates, mais Demoiselles… »
Un peu comme nous, non ?
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