Réalisé par : Lars von Trier
Avec : Nicole Kidman, Paul Bettany, Chloë Sevigny…
Sorti en : mai 2003
Alors je préviens tout de suite que je risque de ne pas être bien objective dans cette revue-là. Et pour cause : j’ai vu Dogville il y a moins de vingt-quatre heures et j’en suis encore sous le choc. Si bien que je n’ai pas peur d’être ridicule quand je dis qu’aucun film ne m’a jamais mise dans cet état-là. C’était pourtant mal parti. J’étais crevée, de mauvais poil et j’ai failli rater le début, et puis, de toute façon, j’avais de Nicole Kidman l’image d’une actrice qui en fait trop. Bah ! Quelle erreur.
C’est sûr que le premier quart d’heure peut paraître long, essentiellement à cause du décor, ou plutôt, de l’absence de : à part les meubles et les démarcations des maisons déssinées à la craie, il n’y a rien. La lumière y est artificielle, soit trop sombre, soit trop lumineuse. Et puis on oublie tout, on s’habitue, et on plonge dans ce film-théâtralisé ; parce qu’au final, les acteurs se suffisent à eux-mêmes, comme mis à nus par la mise-en-scène épurée.
L’histoire de Dogville, c’est celle d’une petite ville des Rocheuses, trou (complètement) paumé, pendant les années 30, soit la grande crise. Ses habitants y sont pauvres et s’entraident un peu à la manière d’une famille. Ted Edison en fait parti. Lui, c’est un peu le cérébral, l’écrivain-philosophe raté, le porte-parole, celui qui veut faire bouger les choses et changer les mentalités, celui qui attend le cadeau pour la ville, qui bouleversera son destin.
Un soir, des coups de feux éclatent au loin. Et puis apparaît Grace, la belle fugitive, oh yeah. C’est vrai qu’elle est belle, Grace, elle est même captivante, un véritable aimant à lumière. Elle est poursuivie par qui, pour quoi, aucune idée, mais elle l’est, alors le reste, on s’en fout. Tom accepte de la cacher, et puis par la même occasion de tout faire pour l’intégrer dans la ville et le coeur des habitants. Le cadeau, pense-t-il, c’est elle.
En contrepartie de la protection et de l’amitié des Dogvilliens, elle se doit de les aider, en faisant toutes les petites corvées qui ne servent absolument à rien mais faisant le bonheur de chacun. Tout est bien, tout est beau. Là, j’ai même cru que le film traitait d’amitié et d’entraide entre les hommes, c’est dire si j’étais renseignée (en fait, c’est dire s’il faut attendre la fin pour comprendre à quel point c’était insidieux). Et puis, de fil en aiguille, à mesure que les habitants se rendent compte du danger qu’ils encourent en protégeant Grace, ça leur paraît logique d’être plus exigeants. C’est le charmant principe du donnant-donnant. C’est là que surviennent les premières cacahuètes dans la machine, si j’ose dire.
C’est l’engrenage, le rêve se transforme en cauchemar, l’amitié en cruauté, les menaces se font fréquentes et chaque jour est plus pesant pour l’héroïne, qui accuse le coup sans broncher. Toute la grâce de Grace, c’est de rester stoïque, douce et droite quoiqu’il advienne, aussi insoutenable que soit le harcèlement. Le film est tourné de façon à ce que l’on ressente chaque injustice avec la même force que l’esclave de Dogville. Si bien qu’au fur et à mesure que la question du j’aurais fait quoi, moi, à leur place ? vient à se poser, un malaise s’installe : l’effet dérangeant du film agit. On se sent analyser, scruter dans les moindres recoins de notre inconscient ; un peu concerné, complètement oppressé. C’est le genre de film qu’on adore détester. Lars Von Trier ne nous carresse pas dans le sens du poil, c’est le moins que l’on puisse dire. Il livre avec Dogville une vision des plus noires de l’esprit humain, un véritable concentré de cruauté et de non-sens, et ce sans aucune leçon de moral et sans blabla insipide. On est tenu en haleine durant toute la durée, avec un sentiment désagréable allant crescendo, jusqu’à la scène finale où l’on se sent tellement soulagé, tellement délivré que l’on se sent malsain.
Enfin, voilà. C’est le genre de coup de massue qu’on a plaisir à recevoir, êtres masos que nous sommes.
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