Je suis actuellement au Festival du Cinéma américain de Deauville, qui prime chaque année des films dont le monde du cinéma se souviendra, et toi avec.
Parmi les longs-métrages sacrés ici, on compte notamment Les bêtes du sud sauvage, Whiplash, Take Shelter et autres Thunder Road, qui tous évoluent sur le fil tendu du drame social.
Cette année encore, la compétition a démarré fort, avec le puissant Skin, portrait d’un néo-nazi sur le chemin de la rédemption, dont tu peux retrouver ma critique sur l’IGTV de madmoiZelle.
Outre les films en compétition, le festival propose chaque soir des avant-premières, précédées d’un défilé de stars sur le tapis rouge.
Tout peut changer, et si les femmes comptaient à Hollywood ?, un documentaire édifiant
Mardi 11 septembre, c’est Geena Davis qui a été mise à l’honneur, alors qu’elle était venue présenter le documentaire Tout peut changer, et si les femmes comptaient à Hollywood ?, dont elle est la productrice exécutive.
Hier matin, j’ai donc découvert ce film édifiant de Tom Donahue, qui met en avant la sous-représentation des femmes dans l’industrie du cinéma, mais aussi leur hyper-sexualisation dès le plus jeune âge, leur réification, devant la caméra comme dans les coulisses.
Loin de n’être qu’un produit audiovisuel qui pointe des aberrations du doigt sans apporter de solutions, This changes everything, de son titre original, encourage l’action.
Dedans, des femmes illustres d’Hollywood, comme Geena Davis elle-même, Meryl Streep, Taraji P. Henson, Chloë Grace Moretz, Sandra Oh, Natalie Portman et Reese Witherspoon, racontent le sexisme qui gangrène leur industrie.
Geena Davis s’est déplacée jusqu’à Deauville pour y recevoir un hommage et surtout faire la promotion du film qu’elle produit, porteur de valeurs et de questionnements indispensables.
À cette occasion, j’ai eu le plaisir de la rencontrer, pour un entretien d’une quinzaine de minutes à l’hôtel Normandy, à deux pas de la mer.
Le constat alarmant sur le sexisme à Hollywood de Geena Davis
Geena est arrivée dans une robe blanche éclatante, le sourire aux lèvres et le dos bien droit.
Elle m’a raconté son engagement dans le film, le travail considérable mené par Tom Donahue, le réalisateur, et l’implication de membres actifs d’Hollywood :
« Je suis hyper heureuse que l’on ait réussi à avoir autant de personnalités du monde du cinéma. Tom m’a révélé qu’après #MeToo les gens ont bien davantage osé parler des inégalités.
Soudainement, la parole s’est libérée. »
Et il était temps ! Car tout au long de sa carrière, Geena s’est entendue dire qu’enfin les choses étaient en train de changer.
Après Thelma et Louise de Ridley Scott (Geena jouait Louise), un film où les femmes ont du pouvoir, assument leurs désirs, brisent les clichés, il était certain pour tout le monde que les lignes allaient bouger et que Hollywood se mettrait à plus d’inclusion.
Pourtant d’après Geena :
« Rien n’a jamais changé. Rien. Les femmes sont demeurées réifiées, invisibilisées, maltraitées par l’industrie.
Pourtant, quand j’ai commencé à jouer, au début des années 80, j’étais optimiste. Plusieurs femmes avaient eu à cette époque des rôles forts et inspirants comme Meryl Streep, Glenn Close, Jessica Lange, Sally Field par exemple.
Et je me disais : quelle belle époque pour les femmes au cinéma ! »
Geena a poursuivi :
« En vérité, je ne connaissais pas les réalités du box-office. Je voyais simplement ces femmes être nommées pour des récompenses prestigieuses.
Et puis moi-même, j’ai eu de beaux rôles, comme celui de Louise, et j’ai entendu tout le monde me dire : les temps changent. Il va y avoir encore plus de rôles pour les femmes.
Mais en fait, rien n’a changé, et ce depuis 1946. Dans l’esprit des gens, l’évolution était en marche. C’était une illusion… »
Comment lutter contre le sexisme du monde du cinéma ?
Mais alors, comment faire bouger les lignes ? Quelles sont les futures étapes vers une meilleure représentation des femmes, pas seulement au cinéma mais dans le monde ?
Je lui ai posé plusieurs questions auxquelles elle a répondu avec sérieux :
« Je me concentre actuellement sur les images que les spectateurs consomment.
Vous savez, on passe plus de temps devant des écrans qu’à dormir. Alors il faut changer la représentation des femmes à l’écran.
Parce qu’il n’y a pas assez de rôles forts pour les femmes. Des rôles où elles prennent les rênes. »
Et de continuer :
« On apprend au monde depuis longtemps que les femmes sont des citoyennes de seconde zone.
Si l’on change cette représentation à l’écran, il y aura un impact sur la vie réelle. La vie imitera la fiction. Donc il faut directement changer ce qui se passe à l’écran.
Et ça, ça peut se faire très vite ! »
J’ai expliqué à Geena que malheureusement, beaucoup nient la réalité qu’elle dépeint.
À Noël dernier par exemple, j’ai passé tout un dîner à entendre de la part d’un cousin que le féminisme ne servait à rien, que les inégalités avaient diminué depuis longtemps, surtout au cinéma.
Et qu’aujourd’hui les femmes avaient des rôles de pouvoir.
Il m’a cité Wonder Woman
et Captain Marvel, comme si ces deux rôles étaient suffisants, ou qu’ils étaient la preuve irréfutable de l’amoindrissement des inégalités.
Geena m’a à son tour expliqué :
« C’est là qu’interviennent les chiffres. C’est pour cela que je me concentre sur les données, et que j’ai créé mon institut. Pour que l’on ait des preuves et que l’on puisse faire changer les choses de manière efficace.
Vous avez dû être tellement énervée à Noël…»
Un institut pour recenser les disparités
Pour prouver que les inégalités sont toujours vivaces et aberrantes, il faut donc, selon l’actrice, productrice et tireuse à l’arc, se baser sur davantage que l’intuition.
Il faut se focaliser sur les chiffres pour rendre compte précisément des disparités.
La star de cinéma a du coup créé en 2004 le Geena Institute on Gender in Media, un organisme de recherche à but non lucratif qui étudie la représentation des hommes et les femmes dans les médias.
Le documentaire This changes everything reprend donc des données précises, fournies notamment par l’institut.
Quel est le pourcentage d’hommes blancs d’âge moyen recrutés pour des rôles forts comparés à des hommes non blancs, à des femmes, à des femmes non blanches ?
Toutes les réponses chiffrées sont dans le film.
Et ils sont consternants…
Toutefois, l’espoir d’un monde et d’un cinéma plus égalitaire subsiste, grâce notamment au travail de personnalités comme Geena. Une femme si inspirante qu’il me fallait savoir d’où et surtout de qui elle tirait son inspiration.
« Vous savez qui est mon plus grand role model ? Susan Sarandon, avec qui j’ai partagé l’affiche dans Thelma et Louise.
J’ai tellement appris en travaillant à son contact ! Je ne connaissais pas, avant, des femmes comme elles qui disent simplement ce qu’elles pensent.
Elle ne s’excuse pas en permanence, et se contente simplement de dire : et si on faisait ça comme ça ? »
Et de poursuivre :
« C’est fou, mais je n’avais jamais été amenée à rencontrer des femmes qui agissaient comme cela. Ma famille s’est toujours comportée de manière ultra-polie, pour ne jamais risquer de froisser qui que ce soit.
Alors Susan a été mon modèle. »
J’en ai conclu qu’on devrait toutes avoir une Susan Sarandon dans la vie.
Une figure inspirante qui encourage à libérer la parole, qui ne s’excuse pas d’exister et ose prendre les commandes de sa vie sans se soucier de l’avis des autres et surtout de l’avis des hommes.
L’action est nécessaire, en France aussi
This changes everything est d’ailleurs un documentaire inspirant en cela qu’il appelle à passer à l’action, à faire prendre conscience au monde qu’il y a encore du pain sur la planche.
Heureusement, l’évolution est en marche.
Le collectif français 5050 en 2020 par exemple, s’engage solidairement dans une réflexion et un combat pour l’égalité et la diversité dans l’industrie du cinéma.
D’ailleurs, dans une ère post Weinstein, de belles actions ont déjà été menées en France. Je pense notamment à un évènement qui a secoué le Festival de Cannes l’année dernière.
Le 12 samedi 12 mai 2018, en fin d’après-midi, Cate Blanchett ainsi qu’Agnès Varda et Marion Cotillard, ont monté les marches avec 79 autres femmes engagées.
Cate Blanchett, présidente du jury a déclamé avec émotion :
« Il est temps que toutes les marches de notre industrie nous soient accessibles. Alors allons-y ! ».
Un message puissant, partagé par toutes les autres personnalités du cinéma alors présentes sur les marches.
Elles étaient 82, et ça n’était pas un chiffre anodin.
Il s’agissait du nombre de réalisatrices qui ont monté les marches depuis la création du festival. Contre 1688 hommes. Un constat désolant.
Le but de cette démonstration, au-delà de secouer l’assemblée et leur mettre sous le nez l’évidence de la sous-représentation des femmes dans l’industrie du cinéma, était de réclamer une égalité salariale entre les hommes et les femmes.
Sur l’air du Carnaval des animaux, et avant la projection du film Les filles du soleil d’Eva Hussonelles, elles ont avancé, pour ensemble casser le plafond de verre.
Un moment puissant, qui restera gravé dans l’histoire du cinéma, et dans l’Histoire tout court.
Alors certes, il reste du chemin à parcourir, mais l’impulsion a été donnée.
Pour donner encore plus d’ampleur aux changements actuels, je te conseille de foncer au cinéma le 8 janvier 2020 découvrir Tout peut changer, et si les femmes comptaient à Hollywood ?
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