Publié le 10 février 2018 Mis à jour le 6 mars 2018
Sexe sans consentement.
En voilà un titre qui dit son nom, en évitant soigneusement le mot qui brusque, le mot qui fâche. Comme pour ne pas effrayer le spectateur ou la spectatrice au premier abord. Comme pour laisser à chacun·e le soin d’y poser son regard.
Sexe sans consentement, le documentaire diffusé sur France 2
Sexe sans consentement est un film documentaire écrit par Blandine Grosjean et Delphine Dhilly, diffusé sur France 2 dans l’émission Infrarouge, le mardi 6 mars. Il est également disponible sur YouTube, le voici dans sa version intégrale.
https://youtu.be/8Lqye0w4MH8
Si ce documentaire a pu voir le jour, c’est parce que des femmes courageuses ont accepté d’y témoigner.
Je tiens à insister sur cette dernière note, parce que récolter des témoignages, c’est mon travail. Mais le média que j’utilise permet facilement l’anonymat.
Et lorsqu’on parle de sujets tels que le consentement, les personnes préfèrent généralement éviter d’être reconnues pour toutes sortes de raisons qui leur sont propres, et qu’elles sont légitimes à invoquer.
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Alors pour dévoiler ce qui s’est passé, face caméra, en sachant que ce film sera diffusé dans une émission dont le public n’est pas forcément sensibilisé et réceptif sur ce type de sujet : il en faut du courage.
Un premier extrait du documentaire diffusé sur la chaîne de Mediapart.
Consentement et « zone grise » : confronter les points de vue
Sexe sans consentement explore, plus précisément, ce que l’on peut appeler la « zone grise ». Cet espace où il semble qu’il y ait malentendu.
Où une femme et un homme finissent par avoir une relation sexuelle, parce que le « non », certes petit et timide parfois, n’a pas été écouté. Où les signaux d’alerte n’ont pas été pris en compte.
Le film mets en place un dialogue subtilement orchestré. D’une part, des jeunes hommes abordant ce que sont le consentement et leur idée de la séduction et de l’autre ces jeunes femmes dont le consentement a été outrepassé.
Au travers de ces points de vue savamment confrontés, Sexe sans consentement affirme sans ambiguïté que la fameuse zone grise n’existe visiblement que pour ceux qui ont franchi les limites.
Car de l’autre côté de l’histoire, les femmes qui témoignent savent que ce qui s’est passé n’avait pas lieu d’être.
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Si certaines ont mis un peu de temps à assimiler l’idée, à mettre le mot « viol » sur ce qui s’était passé, si certaines même le prononcent encore du bout des lèvres : c’est pourtant souvent ce dont il s’agit.
Une femme témoignant dans Sexe sans consentement explique qu’en discuter avec sa cousine lui a ôté un vrai poids :
« Elle m’a dit « Non mais il n’avait pas le droit. » Le fait qu’elle me dise qu’il n’avait pas le droit ça m’a soulagée.
Je me suis dit « Quand même, je suis pas folle, ce qui m’est arrivé c’était pas normal, il était pas censé continuer, et c’est normal que je me sente pas bien ». Parce que là je me disais « c’est moi qui fabule ». »
Les violeurs ne sont pas tous des psychopathes agissant dans une ruelle sombre
Le point fort de ce film documentaire est sa narration. Les témoignages s’entremêlent, se suivent.
Et sans vraiment se répéter, on comprend en filigrane que leurs histoires sont très similaires.
Toutes mettent à mal le stéréotype du violeur qui agit dans une ruelle sombre par temps de pluie, et laisse sa victime pour morte. Toutes témoignent de situation où il s’agissait d’un ami très proche, d’un pote de pote, d’un camarade de promo, d’un crush, de celui qui serait plus tard leur mari.
Des gens bien propre sur eux, des gens que personne ne soupçonnerait d’être des violeurs.
Des gens qui souvent, n’ont eux-même pas conscience d’avoir violé quelqu’un cette nuit-là.
« En fait pour lui, juste il avait fait le connard dans le sens où il avait tiré son coup et il était parti. Il y avait plus ce côté-là et il m’a dit « Ouais je suis désolée, à ce moment-là j’étais con et tout… ».
Je lui ai dit « Non mais c’est pas ça ». Je lui ai dit « Non mais je voulais pas ».
Il est vraiment vraiment tombé des nues. Il est devenu blanc, il s’est excusé, mais j’en sais rien… On a dû rester 1/4 d’heure à discuter, il a dû s’excuser une cinquantaine de fois. »
Un second extrait du documentaire
Le consentement, une histoire d’éducation ?
On pourrait se demander comment est-ce possible, de violer sans même s’en apercevoir.
Mais dans un monde où les films nous apprennent qu’une femme qui dit non veut dire oui, dans un monde où ce qui est féminin est perçu comme petit et fragile et où le masculin doit être viril, dans un monde où les cours d’éducation sexuelle se limitent souvent à une démonstration d’enfilage de préservatif (et encore), dans un monde où l’imaginaire commun considère qu’une victime de viol ne peut que s’être débattue et avoir appelé au secours…
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Comment s’en étonner sincèrement ?
On nous apprend les risques liés aux MST, le fonctionnement du système reproductif et du cycle menstruel.
Mais personne ne nous a rappelé qu’un « non », même le plus petit qui soit, doit être non seulement entendu mais écouté.
Personne ne nous a conseillé de s’assurer que la personne qui partage notre lit a bien envie d’aller plus loin, en précisant quel type de discussion avoir, quelles questions poser.
Personne ne nous a expliqué à l’école qu’un·e partenaire qui ne réagit pas, qui ne parle pas, qui refuse d’embrasser, qui fait l’étoile de mer… C’est potentiellement quelqu’un qui est en état de sidération, dont le cerveau a enclenché le mode de protection « immobile » en attendant que ça passe.
Que cette paralysie est un phénomène qui ne se contrôle pas.
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Que même si la personne n’a pas verbalisé le « non », ces derniers signaux doivent donc mettre la puce à l’oreille.
« Il aurait pu remarquer que je gisais sur le lit telle une épave passive, il se serait rendu compte qu’il y avait un problème. Mais on lui a jamais appris à se poser des questions là-dessus aussi. »
La culture du viol et les stéréotypes genrés en faute
Outre l’éducation sexuelle, les sources de ces ««« malentendus »»» récurrents sont peut être aussi à chercher dans les stéréotypes de genre.
Ces hommes à qui l’on apprend qu’il faut « bander fort, bander dur », à qui l’on apprend qu’un « non » cache peut-être un oui, que si l’on n’a pas obtenu satisfaction sur le moment, ça vaut le coup d’insister, qu’il faut savoir prendre les choses en main…
Nombre d’entre eux vont en effet chercher à confirmer cette identité, cette masculinité, quitte à ce qu’elle devienne toxique au point qu’elle les empêche de percevoir le mal qu’ils sont entrain de faire.
Et ces femmes à qui l’on a appris toutes leur vie à être souriantes, gentilles, polies. À s’occuper des autres avant de prendre en compte leurs propres besoins.
Combien d’entre elles ont cédé, ce qui n’est pas consentir, pour ne pas que l’autre soit triste, que l’autre soit frustré ?
Combien d’entre elles ont fini par se dire qu’il valait mieux accepté et attendre que ça passe plutôt que de risquer quoi que ce soit ?
« Il y a aussi cette question de rester polie. […] Même avec des gens que je ne connais pas et avec qui il ne s’est rien passé, j’aime pas être… pas gentille quoi. »
Ce thème était évoqué dans Cat Person, une nouvelle devenue virale qui avait généré un vaste débat sur le consentement et la séduction.
L’héroïne avait envie d’interrompre un rapport sexuel, mais le faire comprendre à son partenaire sans trop le vexer lui semblait si compliqué qu’elle s’est forcée à continuer…
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S’affirmer librement dans ses relations sexuelles
Aujourd’hui, toutes ces filles qui témoignent savent où sont leurs limites et refusent qu’elles ne soient pas respectées. Triste société dans laquelle il faut avoir subi pour enfin s’affirmer ?
Pour enfin oser dire que le simple fait de ne pas avoir envie est une raison suffisante pour ne pas avoir de rapport sexuel. Qu’il n’y a pas besoin d’invoquer quoi que ce soit d’autre.
Et si dire non était plus facile, lorsqu’on s’autorise aussi à dire oui plus haut, plus fort ?
Si l’on n’était pas catégorisée « chaudasse », « salope », dès lors que l’on ose dire qu’on a du désir, que l’on a une vie sexuelle, et qu’on y est épanouie ?
Si l’on redistribuait les rôles genrés de la séduction, en tentant d’en faire quelque chose de plus égalitaire, on résoudrait potentiellement une partie du problème.
Pouvoir draguer et prendre des initiatives sans être un homme et être dragué et passif sans être une femme permettrait des relations moins inégales, permettrait à chacun de se vivre comme il en a envie, de vivre sans la pression constante à correspondre aux attentes sociales.
« Si en tant que fille on avait déjà plus de facilité à dire oui, à exprimer qu’on a envie, je pense que le jour où on doit dire non ce serait moins compliqué.
Dans les faits on dit rarement « oui d’accord allons-y ». C’est super pas naturel. Et je pense que le jour où ce sera plus naturel les gens comprendront que par défaut si elle a pas dit oui, c’est non. »
Des femmes courageuses qui refusent le seul statut de victime
J’ai discuté, lors de l’avant première du documentaire, avec une partie des filles ayant témoigné.
Et l’important pour elle, dans le fait de livrer cette parole, était de sensibiliser sans être perçues comme des victimes à jamais.
Ce qu’elles ne sont pas. Elles sont multiples, diverses, elles ont des sensibilités et des perceptions variables, elles ont une tonne de facettes.
Et s’il y a une chose qui les réunit, c’est bien leur courage, auquel je vous invite à rendre hommage en regardant Sexe sans consentement, un film d’utilité publique diffusé sur France 2, dans Infrarouge, en mars 2018.
À mettre devant toutes les paires d’yeux, y compris en cours d’éducation sexuelle ou à la maison.
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Les Commentaires
A titre personnel, il a conforté le regard que je porte sur mes mauvaises expériences passées, où comme pour les jeunes femmes qui témoignent, la prise de conscience a été longue et douloureuse, mais bénéfique.
Or, c'est pourtant en sensibilisant la jeunesse qu'on pourrait remédier aux violences sexuelles et sexistes, faire en sorte que ça n'arrive plus, mais le chemin à parcourir pour l'évolution des mentalités est encore très long.