Cet article révèle l’intrigue de Dix pour cent, jusqu’à l’épisode 2 de la saison 4 (Frank).
Une série « profondément militante », voilà comment Camille Cottin décrivait Dix pour cent au festival Canneséries 2020. Il y a pourtant un sujet fort lié au militantisme qui se révèle quasi-absent de l’audacieuse création française : le racisme.
Dans la vraie vie, le Festival de Cannes a été marqué par la mobilisation des actrices noires, et les César par « La honte ! » d’Adèle Haenel quittant la salle lorsque Polanski est sacré meilleur réalisateur. Dans Dix pour cent, Sofia Leprince (Stéfi Celma), la seule actrice racisée, s’enfuit de cette cérémonie… lorsqu’elle n’obtient pas le César du meilleur espoir féminin — avant que deux hommes blancs ne saluent un autre homme blanc en récupérant leurs prix.
Dans la vraie vie, Ladj Ly, Kourtrajmé et Maïmouna Doucouré se battent pour montrer au cinéma leur réalité. Dans Dix pour cent, les galères de Frank Dubosc sur un tournage « de banlieue » se résolvent sans jamais aborder les différences de privilèges entre lui et son « rival », un jeune acteur racisé sacré nouvelle étoile du cinéma français.
Il est temps de se poser la question : pourquoi Dix pour cent, une série moderne et engagée, traite-t-elle si timidement du racisme ?
Quand Dix pour cent aborde le racisme
Nous avons interviewé à l’occasion de cet article trois personnes fort bien placées pour parler de Dix pour cent : son coproducteur Harold Valentin, la créatrice de la série et scénariste des trois premières saisons Fanny Herrero, et l’actrice Stéfi Celma qui incarne Sofia Leprince, la seule femme noire du programme.
Les trois évoquent la même occurrence du racisme dans Dix pour cent. L’épisode 4 de la saison 1 comporte une scène dans laquelle Gabriel, devenu l’agent de Sofia, se heurte à des refus parce qu’elle est soit « trop blanche », soit « trop noire » pour les directeurs et directrices de casting (Stéfi Celma est métisse).
Une séquence évoquant tout en subtilité la tendance du cinéma français à faire rentrer les acteurs et actrices racisées dans des cases, que la comédienne décrit en ces termes pour madmoiZelle :
« Beaucoup de femmes concernées par la problématique du métissage m’ont dit avoir adoré cette scène, parce qu’elle fait écho à ce qu’elles ont vécu, et à ce que moi j’ai vécu. Quand je débutais, on disait à mon agent “On ne cherche pas une métisse”, alors que la description disait simplement “Jeune femme de 25 ans”, ce que j’étais ! »
Fanny Herrero se remémore aussi une autre courte scène, cette fois-ci dans la saison 3, épisode 3 : Gérard.
« On a un Gérard Lanvin sur le déclin, face à un jeune comédien totalement autodidacte, qui est d’origine maghrébine. Celui-ci n’a pas les codes du métier, puisqu’il n’a pas de formation, alors il prend de l’espace, il gueule, il s’amuse. Et Gérard Lanvin se sent menacé par sa présence.
Quand il essaie, avec la complicité de Matthias Barneville, de faire évincer le jeune acteur, Camille (l’agent de ce dernier) est furieuse et s’exclame “Ah donc c’est comme à la guerre, on sacrifie les jeunes arabes en premier !”
Pour moi, cette séquence était une façon d’évoquer l’arrivée, dans le cinéma français, de toute une nouvelle génération de personnes issues de l’immigration, qui méritent totalement leur place au soleil… sauf que ça ne va pas forcément de soi pour les générations précédentes, représentées par Gérard Lanvin et Matthias Barneville. »
Ces deux moments où Dix pour cent évoque le racisme sont brefs, et immergés parmi d’autres arcs scénaristiques. Le sexisme, par comparaison, est mis en lumière dans deux épisodes dédiés : le final de la saison 2, dans lequel Juliette Binoche s’inflige une robe impossible pour le Festival de Cannes et affronte le harcèlement sexuel d’un puissant chef d’entreprise, ainsi que l’épisode 5 de la saison 3, articulé autour de Béatrice Dalle qu’un réalisateur tente de forcer à être filmée nue alors qu’elle n’en a pas envie.
La volonté d’aborder le racisme tout en subtilité dans Dix pour cent
Harold Valentin, coproducteur de la série et membre du
Collectif 50/50 qui œuvre pour la parité au cinéma, explique à madmoiZelle qu’il y a une réelle volonté de montrer dans Dix pour cent des personnages complexes et nuancés, sans en faire des monolithes représentant une seule problématique.
« Au début du projet “Dix pour cent”, les personnages étaient très différents : Andréa Martel [incarnée par Camille Cottin, ndlr] était déjà lesbienne mais n’était pas vraiment à l’aise avec son homosexualité, Sofia n’était vue que par le prisme de son identité de femme noire… Pour moi, c’était un peu cliché, je voulais plutôt aborder les problématiques sociétales avec subtilité, comme le fait très bien la télévision britannique qui m’inspire beaucoup.
Je ne voulais pas faire de ces personnages des emblèmes, en somme.
On peut se pencher sur Hicham Janowski [incarné par Assaâd Bouab, ndlr] : il est métis, originaire du Maroc et de Pologne. Son histoire est celle d’un businessman qui a beaucoup de succès. Il a toujours été maghrébin, dans nos têtes, mais on voulait qu’il représente une nouvelle génération, et pas juste « un arabe ». Assaâd Bouab, jusque là, ne se voyait offrir que des rôles de flic ou de voyou ; pour nous, c’est aussi ça de changer les choses, c’est offrir des opportunités différentes. »
Stéfi Celma (Sofia Leprince dans Dix pour cent) abonde :
« Ça me fait plaisir que ce soit le talent de Sofia qui caractérise sa progression dans “Dix pour cent”, et non sa couleur de peau. Je trouve ça intéressant d’aborder les choses de cette façon.
C’est cette subtilité qui m’a séduite dans l’écriture de Fanny Herrero : mon rôle n’est pas un cliché. Le sujet est traité subtilement, tout en restant assez présent pour que les gens se rendent compte du problème que représente le racisme. Et je reçois beaucoup de retours de jeunes femmes qui me ressemblent, qui sont contentes de me voir à l’écran, heureuses de voir que je ne suis pas définie juste par mes cheveux afro ou ma couleur de peau. »
Il aurait pourtant été possible d’intégrer dans Dix pour cent un reflet de la réalité : celle du Festival de Cannes 2018, marqué par la mobilisation Noire n’est pas mon métier, menée par 16 femmes réclamant le droit légitime à ne pas être résumée à leur couleur de peau.
Cette actualité si puissante n’aurait-elle pas pu servir de support à un arc scénaristique dans Dix pour cent ? N’aurait-on pas pu voir une Aïssa Maïga, par exemple, défendre bec et ongles sa légitimité dans un épisode dédié ?
Quand nous lui posons cette question, Harold Valentin répond avec sincérité : « Probablement que si, on aurait pu », et s’interroge sur le fait que son équipe de scénaristes n’est peut-être « pas assez proche de ces sujets » — d’où l’importance de faire bosser aussi des auteurs et autrices racisées, afin d’éviter les angles morts.
Le racisme, un sujet manqué dans Dix pour cent ?
Dix pour cent touche probablement à sa fin. Cette quatrième saison sera la dernière, même si diverses rumeurs envisagent une porte ouverte à une suite — peut-être sous une autre forme, qui sait ?
En tout cas, il est clair pour nos trois interlocuteurs et interlocutrices que le racisme ne sera pas abordé dans cette fin de saison 4, et restera donc une problématique quasi-absente de la série. Fanny Herrero prend du recul sur ses choix d’écriture, tout en les replaçant dans leur époque :
« Je ne prétends pas que “Dix pour cent” est une série militante antiraciste. Ce serait mentir.
Je me dis par exemple qu’au final, ne jamais parler du métissage d’Hicham, c’est peut-être une facilité : on a un personnage issu de la diversité, mais on n’en “fait” rien, on n’évoque pas son vécu particulier. C’est vrai aussi qu’on aurait pu avoir chez ASK [l’agence fictive qui sert de théâtre à “Dix pour cent”, ndlr] un agent noir, maghrébin, asiatique, sans trop perdre en réalisme…
Je me retrouve face au reflet de mon chemin personnel, de mon éveil à ces problématiques, à la fois dans ma vie privée et dans mon travail d’autrice.
C’est par le féminisme, notamment, que je me suis sensibilisée aux questions d’intersectionnalité et que ma conscience s’est éveillée à des sujets comme celui du racisme. Il ne faut pas oublier que les œuvres suivent leur époque ; dans la série sur laquelle je travaille actuellement, la diversité est un sujet beaucoup plus présent ! »
Stéfi Celma, pour sa part, ne regrette pas vraiment le traitement choisi par la production et les scénaristes. Elle explique à madmoiZelle :
« Je trouve que les choix de la série, concernant Sofia mais aussi Andréa par exemple, sont brillants. Nous sommes montrées comme de vraies personnes, pas comme des stéréotypes ! C’est ce qui rend nos personnages forts, attachants, réels, vivants. C’est ce qui permet d’entrer en empathie avec elles.
Sofia, pour moi, c’est la vraie vie. C’est le rêve, l’envie, les échecs, les déceptions, les victoires, les désillusions. C’est un parcours ancré dans la réalité, c’est l’envers du décor, qu’on voit rarement et qui n’est pas toujours très joli. »
Quand nous demandons à Harold Valentin, Fanny Herrero et Stéfi Celma ce que le monde du cinéma et des séries françaises pourrait faire pour aller vers plus de diversité, la réponse est collégiale : « C’est déjà en train d’arriver ». Laissons le mot de la fin à celle qui incarne Sofia Leprince :
« Une nouvelle génération s’exprime : Ladj Ly (“Les Misérables”), Maïmouna Doucouré (“Mignonnes”), Ruben Alves (“Miss”), Benjamin Rocher (“Antigang”)…
J’ai l’impression que pour ces réalisateurs et réalisatrices, pour notre génération, au final, la diversité n’est plus un sujet ou un arc scénaristique, elle est là, c’est tout. Je me suis retrouvée à passer des castings avec des actrices de tous styles, de toutes origines, pour le même rôle ! Et je sais que si je passe un jour à la réalisation, il y aura aussi de la diversité dans ce que je crée.
C’est le cycle de la vie : pour notre génération, la diversité est une évidence. Et s’il y a de vieux briscards qui tiennent à “leur” vision, tant pis pour eux : ils finiront par laisser leur place aux nouveaux. C’est le cycle de la vie. »
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Les Commentaires
Ça n'a pas beaucoup de rapport, mais j'ai vu il y'a peu une interview de Dominique Besnehard, le producteur de la série et ancien agent de profession (beaucoup d'éléments de la série sont d'ailleurs tirés de son vécu), expliquer que la série, malgré sa com' basée sur "on montre l'envers du décor", était une version encore très édulcorée de la réalité : il parle notamment des problèmes de drogue et d'alcool, complètement absents dans la série. Je pense que "dix pour cent" a avant tout vocation à nous montrer l'énorme machine et industrie qu'est le monde du cinéma, et le côté très concret des choses.