Le 24 avril 2013, l’effondrement d’un bâtiment à Savar, près de Dacca au Bangladesh, a fait 1 138 morts et plus de 2 000 blessés. Ce terrible accident est devenu le symbole des conséquences de la fast-fashion, car l’immeuble appelé Rana Plaza abritait des usines de confection (des ateliers de misère, également surnommés « sweatshops ») de plusieurs marques occidentales d’habillement comme Mango, Benetton, Auchan, C&A ou encore Carrefour. Dix ans après, les personnes survivantes sont encore marquées dans leur santé physique et mentale. Certaines d’entre elles ont reçu une maigre compensation financière, qui suffit rarement à couvrir les frais médicaux et la perte de revenus suite à la fin de leur emploi.
Depuis l’effondrement du Rana Plaza, qu’est-ce qui a été mis en place au Bangladesh ?
En effet, d’après une étude d’ActionAid Bangladesh, la moitié des personnes survivantes n’ont pas retrouvé de travail, dix ans après l’accident. Toutes souhaitent obtenir une meilleure indemnisation. Or, les personnes qui détiennent ce type d’usines de confection occupent souvent des postes au Parlement et au gouvernement, entraînant un conflit d’intérêt dans la quête de justice, relève France 24.
Tandis que 38 personnes ont été inculpées pour meurtre sur place, les marques occidentales d’habillement liées au scandale ont signé une charte pour s’engager à améliorer et mieux surveiller les conditions de travail des ouvriers et ouvrières textiles dans le pays. Les 175 signataires de l’accord de Bangladesh ont contribué à mettre aux normes 1820 usines de confection (environ la moitié que compte le pays) et réalisent davantage d’inspection. Cette charte a inspiré d’autres pays dits du Sud comme le Pakistan.
On aurait pu croire que le scandale du Rana Plaza allait calmer le rythme de production du pays, mais c’est tout le contraire qui s’est produit : les exportations textiles bengladaises ont triplé et rapporté 45 milliards de dollars durant ces dix dernières années. Le pays reste le deuxième exportateur mondial de textile, juste derrière la Chine.
Notons aussi que de nombreuses marques internationales n’ont pas signé cet accord comme Walmart, Ikea, Amazon, Lev’is ou encore Auchan. Cette charte a beau être pleine de bonne volonté, sa mise en application dépend aussi de son conseil d’administration où siègent de plus en plus d’industriels et de moins en moins de syndicats de travailleurs.
Rappelons aussi que les chartes ne changent pas le système de l’industrie de la mode qui repose amplement sur des dynamiques d’exploitation de la main d’œuvre à moindre coût de pays du Sud par des pays du Nord qui profitent alors d’un différentiel de droits sociaux.
La France et l’Union européenne ont voté des lois pour juguler les dégâts de l’industrie de la mode
Tenter de changer ce système pourrait passer par des lois plus contraignantes, s’accompagnant de sanction. C’est ce que la France a tenté de faire en créant en mars 2017 la la loi sur le « devoir de vigilance » des entreprises qui engagent la responsabilité civile des sociétés pour les activités de leurs sous-traitants à l’étranger. Ainsi, si elles ne mettent pas en place un plan de vigilance rendu public, elles s’exposent à des poursuites.
Mais l’absence d’amende dissuasive ou autre sanction forte donne plutôt l’effet d’un coup d’épée dans l’eau. Aucune condamnation n’a eu lieu depuis l’adoption de cette loi qui va maintenant s’élargir à toute l’Europe, mais selon des conditions qui laissent passer entre les mailles du filet une grande part du marché (cela ne concerne que les entreprises de plus de 250 salariés et de plus de 40 millions de chiffre d’affaires), regrette Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France, auprès de France info.
Fast-fashion et ultra fast-fashion : un problème international, et non juste au Bangladesh
Et puis, un an avant l’effondrement du Rana Plaza, a emergé Shein dont les pratiques semblent bien pires que celles que l’on pouvait observer il y a dix ans au Bangladesh. D’autres marques du même style (boohoo, Pretty Little Thing…), c’est-à-dire de l’ultra fast-fashion, pullulent depuis. C’est pourquoi il importe tant de repenser l’industrie en profondeur, et de la réguler à l’échelle internationale, plutôt que de se focaliser sur un seul pays comme le Bangladesh.
Tout en prenant en compte les nombreux morts et l’insondable souffrance des survivants du Rana Plaza, on doit prendre conscience du fait qu’il s’agit d’un problème systémique qui concerne l’ensemble de l’industrie de la mode. Celle-ci repose sur la mondialisation pour en tirer le maximum de profit, au détriment, en particulier, des femmes racisées du Sud global qui en représentent l’essentiel de la main d’œuvre surexploitée. C’est ce que relève auprès du Figaro Danielle Auroi, ex-députée Europe Écologie-Les Verts et présidente du Collectif Éthique sur l’Étiquette :
« Malheureusement, le problème s’est déplacé en Afrique où des multinationales spécialisées dans le sportswear exploitent les femmes en Éthiopie dans des conditions d’indignité similaires à celles du Bangladesh avant 2013.
Dans le sillage du Rana Plaza, il faut aussi composer avec l’exploitation de la main-d’œuvre ouïgoure dans la production de coton en Chine (révélée en mars 2020 par l’Institut australien de stratégie politique). Ce sont d’ailleurs les mêmes multinationales qui continuent à pratiquer ce qui est tout bonnement de l’esclavage moderne… »
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Les Commentaires
C'est une industrie, son moteur est l'argent. Pas le bien être des travailleur.ses, pas l'environnement, pas le développement : l'argent. Le nôtre.
Si les prix cassés dans la fast fashion, c'est qu'il y a quelqu'un ou quelque chose qui est brisé en amont.
C'est désagréable à regarder dans les yeux mais c'est la réalité, sans notre argent ça ne marche pas.
C'est un enjeu sociétal, environnemental et féministe.