« Une part de la société française reste encore ignorée des médias ». Le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit du manque de diversité à la télévision française, mis en lumière par le rapport concernant l’année 2019, paru le 29 septembre 2020.
En se penchant sur plusieurs catégories formant « la diversité » — les femmes, les personnes non-blanches, les jeunes, les personnes âgées ou en situation de handicap, etc. — l’autorité de régulation montre, sans fard, que la télé française reste très masculine, blanche, valide, aisée, bien loin de la réalité du pays qu’elle entend représenter.
L’égalité femmes-hommes dans les médias français
La représentation des femmes à la télévision n’est toujours pas à la hauteur de leur place dans l’Hexagone : bien qu’elles représentent 52% de la population, elles ne forment que 39% des personnes intervenant à la télévision (le même taux que l’année précédente). Et ce chiffre varie selon les sujets, jusqu’à tomber à 15% lorsqu’on ne se penche que sur les émissions sportives…
Paradoxalement, il y a légèrement plus d’héroïnes que de héros dans les fictions, et le CSA estime qu’en règle générale, les femmes sont plus présentes dans des rôles positifs (32%) que négatifs (28%).
Le rapport va plus loin en pointant le manque d’intersectionnalité de la télévision française : les femmes sont déjà sous-représentées, mais cela s’aggrave lorsqu’elles « cumulent » plusieurs oppressions. Ainsi, les femmes précaires ou en situation de handicap sont encore plus absentes puisqu’elles représentent seulement 29% des personnes pauvres ou handicapées montrées à la télévision.
Les personnes racisées encore moins visibles à la télévision
En 2019, 15% des personnes vues à la télé étaient vues comme « non-blanches », un chiffre en baisse puisque le taux était de 17% l’année précédente. Le CSA précise :
[…] on peut constater une évolution : les personnes perçues comme « asiatiques » et celles perçues comme « arabes » sont plus représentées à l’antenne que les années précédentes (15% en 2019 contre 13% en 2018 pour les premières et 23% en 2019 contre 19% en 2018 pour les secondes), même si elles le restent largement moins que les personnes perçues comme « noires » (47%).
Ces personnes sont plus représentées dans le sport et dans les programmes de fiction que dans les émissions d’information ou de divertissement… mais même dans la fiction, elles sont moins présentes que l’année précédente (17% contre 20%). Et quand on prend en compte la récente fermeture de France Ô, « les personnes perçues comme « non-blanches » n’interviennent plus qu’à hauteur de 11% » dans les fictions.
La fin de cette chaîne signe aussi le glas de la représentation pour les Français et Françaises originaires des territoires d’Outre-Mer ; elles ne formaient que 10% des personnes représentées, un chiffre qui tombe à 0,4% si on exclut les programmes de France Ô…
Une amélioration néanmoins : les personnes non-blanches sont mieux représentées dans des rôles positifs et moins dans des rôles négatifs. En d’autres termes, on les voit jouer autre chose que des dealers, des criminels, des antagonistes. Mais elles représentent toujours 49% des personnes montrées en situation de précarité…
La précarité et les CSP selon la télévision française
Sans trop de surprise,
les catégories socio-professionnelles inférieures (CSP-) et les personnes inactives sont clairement sous-représentées à la télévision par rapport à leur poids réel dans la société française.
Les CSP+ sont surreprésentées dans tous les types de programmes, note le CSA, et ce sans distinction d’origine ethnique. L’autorité appuie sur la disparité entre la médiatisation de ces catégories socio-professionnelles et leur part dans la société :
[…] la représentation des cadres, professions libérales et chefs d’entreprise reste très importante au regard des chiffres réels puisqu’elle est de 61 % en 2019 alors que ce groupe ne représente que 10 % des emplois occupés en France.
Les personnes vivant au centre des grandes villes sont largement surreprésentées : elles forment 52% des gens visibles à la télé, alors que 32% de la population seulement habite en centre-ville. Conséquence logique, les Français et Françaises habitant en banlieue ou à la campagne sont sous-représentées.
Les jeunes et les personnes âgées à la télé
Le rapport se penche aussi sur les âges ; deux catégories, les jeunes (moins de 20 ans) et les personnes âgées (plus de 65 ans), qui ne sont pas toujours représentées à la hauteur de leur place dans la société.
Même si les taux varient selon les types d’émissions ou de fictions, l’âge moyen semble la norme pour la télé française :
[…] les 35-49 ans sont […] systématiquement surreprésentés dans tous les genres de programmes
Le handicap à la télévision française
Dernière catégorie de Français et Françaises étudiée par le CSA : les personnes en situation de handicap, quasi-invisibles dans le paysage médiatique alors qu’elles représenteraient 20% de la population selon l’INSEE… contre 0,7% des gens montrés à la télévision.
Et tous les handicaps ne sont pas présents à la même hauteur : plus de la moitié des personnes concernées visibles à la télé sont en situation de handicap moteur, un chiffre en forte hausse (26% seulement l’année précédente) qui ne reflète pas la réalité, puisque « selon les chiffres officiels, parmi les Français handicapés, 9,6 millions auraient un handicap invisible […] et 850 000 auraient une mobilité réduite ».
Enfin, ces personnes en situation de handicap sont en écrasante majorité des hommes (71%) perçus comme blancs (89%).
De l’importance de la diversité à la télévision
Le CSA conclut ainsi :
[…] l’actualité le prouve, il apparaît, aujourd’hui, plus que nécessaire de montrer le pays dans toutes ses diversités pour lutter contre l’ignorance et toutes formes de préjugés ou de discriminations.
Les médias audiovisuels, et particulièrement la télévision, jouent un rôle important dans le processus d’intégration des individus dans la société. C’est pourquoi, le Conseil supérieur de l’audiovisuel entend les soutenir et les encourager à développer et à amplifier les initiatives en faveur de la promotion de la diversité nationale.
En dix ans d’études sur la diversité dans les médias, le CSA note certaines améliorations (les rôles confiés aux personnes racisées, la place des femmes…) mais ne se voile pas la face sur le fait qu’il reste encore du chemin à parcourir.
Au moment où la jeune Imane, interviewée par BFM TV pour parler de son compte Instagram dédié aux recettes pour étudiants, était harcelée à cause de son voile, Hanan Zahouani expliquait à madmoiZelle :
Mettre en avant des femmes voilées dans plein de domaines différentes, ça les montre comme Françaises à part entière. Il ne faut pas les inviter seulement pour parler religion et discrimination. Il faut mettre en avant leurs compétences, plutôt que leur appartenance religieuse !
Plus il y aura de médias grands publics qui incluent des femmes voilées sur leurs plateaux, plus on considèrera leur expertise, leur personnalité, leur pertinence plutôt que leurs croyances.
Une logique qui s’applique aux femmes voilées, mais aussi à toutes les personnes considérées comme des « minorités » par la société : les plus jeunes, les plus âgées, celles en situation de handicap, les Français et Françaises racisées… Plus elles seront visibles, à la hauteur de leur place réelle dans le pays, plus les médias reflèteront la vraie France.
Pas seulement celle des mecs quadragénaires, blancs et valides qui sont cadre sup’ en centre-ville.
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Les Commentaires
Mais j'avoue que je ne peux pas m'empêcher d'être un peu dubitative vis-à-vis du côté schématique que ça implique, quand on dit par exemple qu'une femme et/ou une personne racisée aura franchi plus d'obstacles dans sa vie pour en arriver au même point qu'un homme blanc.
On parle ici de caractéristiques de personnes a priori très visibles (genre, ethnie), alors qu'un autre déterminisme extrêmement frappant au niveau statistique est le déterminisme social.
Je sais qu'on parle de tendances systémiques mais pour illustrer ce que j'essaye de dire, je vais prendre mon exemple. Je suis une femme racisée, mais je viens d'un milieu social aisé. Je n'ai jamais été boursière, et mes parents ont tout payé pour moi le temps de mes études. J'ai déjà eu des profs particuliers, je ne me suis jamais posé la question du coût des études supérieures (logements, frais d'inscription, loisirs etc.)
Selon ma perception, même si ça m'est arrivé plusieurs fois de subir du sexisme ou du racisme moral, je suis une privilégiée. Dans mes recherches de logement, j'ai tristement constaté que les proprios étaient un peu gênés au téléphone quand je leur donnais mon nom, mais changeaient très rapidement de ton en voyant la fiche de paie de mes parents. Tout ça pour dire que je pense sincèrement qu'un homme blanc qui a eu des parents ouvriers et qui a grandi dans des quartiers défavorisés ou dans des coins de campagne avec peu d'accès à la ville, s'il est au même point que moi, aura connu plus d'obstacles. (En revanche, s'il connaîtra une forme de violence symbolique à cause de son milieu social, il ne connaîtra évidemment pas : la peur de se faire violer, la peur de se faire battre par son conjoint, la réification sexuelle, les insultes racistes, etc.)
Bref, il ne faudrait pas oublier, selon moi, quand on veut discriminer positivement, qu'on peut exposer les discriminations faites aux femmes ou aux racisé·es, mais seulement quand on les compare à des personnes issues de la même classe sociale.
Qu'on ne se méprenne pas, je suis loin de faire une hiérarchisation des discriminations ou de nier le racisme/le sexisme/l'homophobie/le validisme dans l'accès à l'emploi ou au logement, même s'il est vrai qu'en France j'ai l'impression qu'il y a par exemple plus de députées femmes et député·e racisé·es que de député·e ouvrier·e.
Je finis enfin ce pavé ! ce débat m'a interrogée, ça m'intéresserait beaucoup d'avoir vos avis.