Après une petite éternité, voici enfin la suite de Quand Disney adapte des bouquins, et vous n’êtes pas au bout de vos surprises !
La Belle et le Clochard (1955)
La Belle et le Clochard n’est pas à proprement parler adapté d’un livre. C’est en effet le cocker espagnol du scénariste et dessinateur Joe Grant qui inspira le personnage de Lady, ainsi qu’un premier storyboard la mettant en vedette. Mais l’ami Walt n’approuva pas ce premier jet, qui tomba aux oubliettes pendant quelques temps. C’était en 1937, avant la sortie de Blanche Neige et les Sept nains : c’est dire si la gestation du projet fut longue !
En 1943, Disney tomba sur une nouvelle, Happy Dan the Whistling Dog, publiée dans le Cosmopolitan Magazine et rédigée par Ward Greene. Le personnage de Dan, qui allait ensuite passer par différents noms dont Bozo et Homer avant de devenir Le Clochard (La Belle et Bozo, ça le faisait moins, c’est sûr) attira l’attention de l’oncle Walt et il acquit les droits de la nouvelle afin de pouvoir l’inclure dans son film.
Il engagea même Ward Greene pour rédiger une adaptation du film en roman, qui parut en 1953 : Disney craignait que le public ne boude sa production car elle n’était pas basée sur une histoire connue !
Je n’ai évidemment pas mis la main sur le Cosmopolitan Magazine où avait été publié Happy Dan the Whistling Dog, et comme le roman de Ward Greene est adapté de La Belle et le Clochard et non l’inverse, je ne me le suis pas procuré non plus. Reste que ce film né d’inspirations diverses garde tout de même une trame très (trop) classique à mon goût… Les amours canins ne m’ont jamais passionnée, voyez-vous.
Les 101 dalmatiens (1961)
Les 101 dalmatiens marque une rupture avec les productions précédentes de Disney. L’ami Walt, en fin de vie (il meurt en 1966), délaissait déjà son métier d’animateur pour se consacrer à l’empire (parc à thème et petit écran), et les studios venaient d’essuyer le gouffre financier que représentait La Belle au Bois Dormant, probablement l’une des plus grandes réussites esthétiques de Disney, mais un échec commercial et critique à l’époque.
Bref, Les 101 dalmatiens est moins coûteux, adopte le style crayonné qui va durer jusqu’à Oliver et Compagnie (1988), comporte moins de chansons, et, malgré son succès, inaugure la période sombre de Disney, qui prendra fin avec Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et La Petite Sirène.
Si vous souhaitez en savoir plus sur l’histoire des studios, je ne peux que vous conseiller le documentaire Waking Sleeping Beauty. Bon, c’est un film par Disney, sur Disney, donc ce n’est pas franchement objectif, mais ça reste passionnant !
Revenons à nos dalmatiens. Disney fit l’acquisition des droits du roman de Dodie Smith dès sa sortie (1956), et la trame du film est plutôt fidèle à celle du livre même si évidemment, l’intrigue est simplifiée et que quelques choix d’adaptation ont été faits.
Des choix pratiques d’abord : on fait des économies de personnages. Il y a deux Nanny dans le bouquin et plus qu’une dans le film ; on a également fusionné deux personnages ! Dans le livre, Perdita n’est pas la mère des quinze premiers chiots mais une chienne abandonnée (d’où son nom : Perdita, une petite fille abandonnée dans Le Conte d’Hiver de Shakespeare), recueillie pour aider Missis, la vraie mère des chiots, à nourrir sa portée.
D’autres choix ont été faits pour rendre les personnages plus sympathiques : Mr Dearly est un homme d’affaires dans le livre ; il devient musicien et gagne un prénom, Roger, dans le film.
Et enfin, on a des choix d’adaptation… plus conservateurs. Honnêtement, après avoir constaté les adaptations effectuées en ce qui concernait certaines œuvres dont nous parlerons plus loin, je m’attendais vraiment à ce que l’ami Walt ait lobotomisé nos dalmatiens pour aboutir au schéma d’équilibre genré du foyer de Pongo et Perdita. Eh bien, après ma lecture édifiante de Dodie Smith, je dois dire que le livre est presque plus sexiste que le film à ce niveau là !
Prenons la méchante Cruella d’Enfer : dans le Disney, elle est célibataire, conduit une voiture, fume comme un pompier et violente deux hommes, Jasper et Horace. Dans le bouquin, elle a en plus un mari (un « petit homme triste ») dont elle a refusé de prendre le nom de famille. Quelle hideuse dominatrice !
Missis (l’équivalent donc de la Perdita du film) est à l’origine une grosse idiote, qui a pour seul avantage d’être jolie (ce qui rend son Pongo décrit, lui, comme très intelligent super fier).
Illustrons mes dires avec une joyeuse citation :
[…] l’épagneul qui connaissait bien le chemin du Suffolk donna de précieux conseils à Pongo. Il dit « à droite » puis « à gauche », et Missis ne comprit pas un mot. En voyant son air ahuri, l’épagneul la taquina :
— Voyons un peu… quelle est votre patte de droite ? — L’une de mes pattes de devant, répondit sans réfléchir Missis.
Après quoi, Pongo et l’épagneul éclatèrent d’un rire typiquement masculin.
Haha, ces femelles, dites ! Elles sont jolies, mais que feraient-elles sans les mââââles ?
Bien évidemment, comme Missis est une chienne, elle a des yeux « veloutés », alors que Pongo a un regard « vif ». Perso, j’ai jamais réussi à distinguer le sexe des animaux à part en leur zieutant le cucul, donc bon, je trouve ça moyennement réaliste. Mais notons qu’une femelle échappe, toujours dans le livre, à ces épuisants poncifs : le lieutenant Tibbs (alias Pussy Willow), la chatte qui aide les dalmatiens à s’échapper, plutôt badass dans son genre. Et dans le Disney, Tibbs devient… un mâle !
Allez, petite anecdote pour finir : apparemment, le roman de Dodie Smith a une suite, et il y serait question d’un mystérieux chien… extraterrestre. Boudiou.
Merlin l’enchanteur (1963)
Ce Disney est l’un de mes préférés (artistiquement c’est franchement pas la réussite du siècle, mais il est tellement drôle !), ce qui ne va pas m’empêcher de cracher un peu dessus : qui aime bien châtie bien.
Ce film est basé sur le livre de T.H. White, The Sword in the Stone, sorti en 1938 ; c’est donc un précurseur du Seigneur des Anneaux
et un livre intéressant pour tout fan de fantasy qui se respecte. The Sword in the Stone a eu trois suites qui continuent le cycle Arthurien. Pour l’anecdote, J.K. Rowling herself dit de T.H. White qu’il est l’ancêtre spirituel d’Harry Potter, et il est vrai que les deux séries ont énormément en commun — à commencer par un style simple mais efficace et précis et un certain goût pour les références littéraires multiples. T.H. White avait une foutue culture et parvient dans son récit à être didactique et distrayant. Ce n’est pas le roman du siècle, mais il a énormément de charme !
Voyons quelques différences majeures niveau adaptation !
- Dans le livre, Arthur n’est pas transformé en écureuil ni en moineau, mais en faucon, en serpent, en hibou (il rencontre Athéna elle-même à cette occasion) et en blaireau
- Il y a de nombreuses scènes basées sur des sources historiques, comme une chasse au sanglier
- Les voyages dans le temps de Merlin sont mieux expliqués : il devient un genre de Seigneur du Temps assez tragique, et le personnage est plus ambigu
- Arthur rencontre Robin des Bois et Belle Marianne, qui est une sacrée badass
- Il y a une espèce de tribu de cannibales dans la forêt
- Madame Mime est une sorcière sexy qui apparaît assez peu, et Merlin la tue carrément en se transformant en microbe
- Il tue également son petit ami, un affreux ogre (qui a dit glauque ?)
- Pelinore est une espèce de chevalier sauce Monty Python qui cherche la Bête Glatissante (l’humour du livre est beaucoup plus anglais que celui du film)
- Arthur est orphelin mais Sir Hector le considère vraiment comme son fils
- Keu a environ le même âge qu’Arthur et est bien moins demeuré que dans le Disney
Je vais m’arrêter là, c’est déjà pas mal !
Vous l’aurez compris, malgré toute l’affection que j’ai pour le dessin animé, il n’a pas capté le tiers du quart de la moitié du dixième de ce qui fait la qualité et le charme du roman. Mais en tant que film, il demeure follement poilant !
Le Livre de la Jungle (1967)
Le recueil de nouvelles de Rudyard Kipling a été clairement aseptisé par la machine Disney, qui n’a adapté que trois des sept récits que compte le premier Livre de la Jungle (récits qui nous promènent de l’Inde Coloniale jusqu’à… la banquise). Autant dire que si on ne connaît que le film d’animation, on ne connaît pas vraiment Le Livre de la Jungle ! Mise à part l’histoire de Mowgli, le livre nous présente Toomai, un petit Cornac, l’adorable mangouste Rikki-Tikki-Tavi, Kotick le grand phoque…
Et la vision que donne Disney de Bagheera, Shere-Khan (qui a un sidekick chacal dans le bouquin), colonel Hathi, Baloo, Kaa, les loups et les singes (le peuple Bandar Log) est beaucoup plus sympathique et gentillette que celle de Kipling. Kaa, en particulier, est complètement ridiculisé par Disney alors que son pouvoir d’hypnose est glaçant et fascinant dans les nouvelles !
Niveau style, ça se lit facilement : Kipling a un vrai don de conteur et caractérise ses animaux de façon très poétique. Ce n’est absolument pas réaliste, mais ça plonge dans un univers très dépaysant avec la loi de la jungle, les codes sociaux à adopter, les différentes langues…
Petit hors sujet, mais je tiens à le demander : est-ce que j’étais la seule à faire de Bagheera une femelle à la voix très grave dans le Disney ? Merci de me rassurer (ou non) dans les commentaires.
Robin des Bois (1973)
Robin des Bois a beau faire partie du folklore anglo-saxon, c’est bien Adam de la Halle, un trouvère en langue picarde, qui est représenté sous la forme d’un coq au début du film. Il est en effet l’auteur du Jeu de Robin et Marion (1284). Il s’agit d’une pastourelle, genre qui met en scène une bergère draguée par un chevalier relou qui soit arrive à ses fins gentiment, soit… la viole. C’est potache, dites donc ! Le jeu de Robin et Marion associait pour la première fois un certain Robin avec une Marion/Marian. Et ce Robin fut assimilé à Robin La Capuche/Robin Hood.Néanmoins, le Robin qu’on connaît est loin de se limiter à cette pastourelle, et fut le sujet de nombreuses ballades et comptines anglo-saxonnes. Tour à tour sanglant ou héroïque, décapitant parfois de braves hommes d’églises ou bernant une autorité abusive, il agit dans le comté de York avant d’être fixé à Nottingham. C’est surtout Walter Scott qui popularisa ce personnage et en fixa l’image dans le roman Ivanhoé.
Le Disney est aussi inspiré d’une autre oeuvre bien de chez nous, Le Roman de Renart, où l’on voit souvent Renart le goupil ridiculiser les puissants (et faire quelques blagues à base de viol : potache, on vous dit).
Évidemment, le Robin de Disney n’est pas aussi sournois, perfide et cruel que le Renart des récits, mais l’essence du personnage est plutôt respectée, et je trouve l’assimilation de Renart et Robin des Bois plutôt bien pensée ! En tous cas, ça donne un des personnages les plus charismatiques et attachants de l’univers Disney, dans un film aux dialogues extraordinaires, malgré une animation… paresseuse.
Les Aventures de Winnie l’Ourson (1977)
Les aventures de Winnie l’Ourson est un film composé de trois moyens-métrages (sortis successivement en 1966, 1968 et 1974) adaptés de la série de livres jeunesse de l’auteur britannique Alan Alexander Milne illustrée par Ernest Howard Shepard. Au passage, les deux larrons ont aussi bossé sur Le Vent dans les Saules dont j’ai parlé dans l’article précédent !La série Winnie l’Ourson était un classique au Royaume-Uni, beaucoup moins connue aux États-Unis, où Disney la popularisa.
Les livres (le premier date de 1926) ont beaucoup de charme mais restent très enfantins : on n’éprouve pas le même plaisir en les lisant qu’avec par exemple Le Vent dans les Saules qui a une toute autre dimension. Néanmoins, c’est un univers vraiment agréable et chaleureux inspiré des lieux familiers à l’auteur qui s’est notamment basé sur son fils pour le personnage de Christopher (Jean-Christophe en VF si je ne m’abuse) et s’est inspiré des jouets de ce dernier pour créer Winnie et ses amis. Notons que le nom Winnie vient d’un ours du zoo de Londres, baptisé ainsi à cause de la ville de Winnipeg.
L’adaptation Disney reprend les personnages avec une certaine fidélité, bien qu’elle en « américanise » un peu certains (surtout Tigrou, le boute-en-train énergique assez éloigné de la vision de Milne). On a ajouté quelques personnages, enrichi et précisé l’univers, mais on reste fidèle à la base du récit.
Les aventures de Bernard et Bianca (1977)
J’utilise beaucoup le mot « charme » dans mes descriptions des livres que Disney a adaptés… mais là, je dois dire que c’est LE terme parfait pour qualifier la série The Rescuers (1959) de l’auteur britannique Margery Sharp, sur laquelle sont basées Les Aventures de Bernard et Bianca et Bernard et Bianca au pays des kangourous. Je n’ai lu que le premier livre de la série, et il est tout à fait… charmant !Les personnages de Disney sont plutôt fidèles à ceux de Margery Sharp, mais pour plus d’équilibre, quelques caractéristiques ont été inversées entre les deux souris. Dans les romans, Bernard a l’esprit pratique, de l’empathie et fait preuve d’une extrême gentillesse et d’une totale dévotion qui compense son manque d’éducation, alors que Bianca est une vraie lady : fine, distinguée, belle et intelligente mais un peu trop gâtée. Elle commence le livre complètement ignorante du monde qui l’entoure (elle ne sait pas que les chats veulent manger les souris) et passe son temps à s’évanouir. Dans le film, Bianca semble plus aventureuse que Bernard qui traîne un peu les pieds, et je dois avouer que je préfère le couple version Disney. Un point pour toi, l’ami Walt !
Certains personnages ont été supprimés dans le Disney : dans le livre, Bianca appartient au jeune fils de l’ambassadeur et se fait aider par une souris norvégienne du nom de Nils. D’autres ont été modifiés : c’est une femelle souris, qui a une foi inébranlable en son sexe et demande à ce qu’on fasse appel à miss Bianca, qui dirige la SOS Société (Prisoner’s Aid Society), et c’est un poète emprisonné par les communistes que Bianca, Bernard (et Nils) doivent sauver, non une petite fille. Il était hors de question que Disney brise sa « neutralité » en faisant allusion à une situation politique précise, et une petite fille suscitait plus d’empathie, d’où ce choix.
Détail amusant : dans le Disney, la méchante devait au départ être Cruella d’Enfer qui aurait fait son come-back. Finalement, c’est Madame Médusa qui l’a remplacée !
Voilà, comme dirait la Voix, c’est tout… pour le moment ! Je vous laisse, j’ai de la lecture qui m’attend. Le prochain article devrait aller jusqu’au Roi Lion !
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Les Commentaires
Je connais et adore L'Enchanteur! Enfin, de manière générale les romans de Barjavel sont géniaux!