L’autre jour, en plein coup de mou de recherche d’emploi, j’ai eu une idée brillante : TIENS, et si je cherchais des trucs sur les facteurs de discrimination à l’embauche (je sais me remonter le moral, hein) ? Si cela ne vous dérange pas, j’aimerais partager mes trouvailles de boute-en-train avec vous (à la fin de cet article, nous pourrons tou-te-s aller nous ressourcer avec les trouvailles d’Elise ou les vidéos d’animaux de Jack).
J’ai commencé par lire un exemple de toute beauté : le monde universitaire favoriserait le recrutement des hommes (au détriment des femmes, donc). Dans Cerveau & Psycho, Sébastien Bohler revient sur l’étude (à paraître) de C. Moss-Racusum (et al.). Des chercheurs-ses ont envoyé à 127 membres d’une faculté de sciences des CV de candidat-e-s à un poste de chef de laboratoire. Les CV sont rigoureusement identiques, mais 63 membres reçoivent celui d’un homme (John) et 64 obtiennent celui d’une femme (Jennifer). Le résultat n’est pas glorieux…
- Lorsqu’on leur demande d’évaluer leur intention d’embauche à propos des CV qu’ils viennent de recevoir, Jennifer obtient une intention d’embauche de 3 sur une échelle de 5, alors que celle de John atteindrait 4 sur 5.
- Dans la même veine, lorsqu’on leur demande d’évaluer la rémunération qu’ils attribueraient aux candidat-e-s, celle de Jennifer tournerait autour des 25 000$ annuels… lorsque John gagnerait plutôt 30 000$ annuels.
- Et puis tant qu’on y est, Jennifer serait aussi perçue comme « moins compétente ».
VOILÀ.
Vous êtes un peu abattu-e-s ? Continuons sur notre lancée – pas par pur sadisme, mais plutôt pour connaître et comprendre ce type de mécanismes (et si vous souhaitez vous filer un peu plus le bourdon, l’Observatoire des discriminations vous propose de mesurer vos propres préjugés ici).
Enquête : des chercheurs-ses envoient des candidatures fictives à 258 offres d’emploi
Pour l’Observatoire des discriminations, le sociologue Jean-François Amadieu a mené une étude centrée sur les discriminations à l’embauche. L’équipe du chercheur a envoyé des candidatures fictives à 258 offres d’emploi. Pour chaque offre, 7 candidatures étaient envoyées – toutes avec des profils professionnels similaires : l’une était une candidature standard (un homme blanc, de 28 ans, avec un nom français et résidant à Paris) et les 6 autres présentaient le même profil, avec une variable modifiée (il y avait ainsi la candidature d’une femme, d’un homme « senior », d’un homme portant un nom maghrébin, un homme dont l’adresse était celle d’une banlieue stigmatisée, un homme handicapé et une personne « au visage disgracieux »).
Sans surprise, le jackpot est pour l’homme « standard » : 29% de ses candidatures aboutissent à une convocation à un entretien d’embauche. Notez que la candidature présentant une femme recueille quant à elle 26% de réponses positives… Pour les autres personnes, les chiffres dégringolent : le taux de réussite du candidat handicapé atteint 1,9% (le taux le plus faible – alors même qu’aucune mention de la nature du handicap n’est faite), celui du candidat maghrébin atteint les 5%, celui du candidat âgé monte à un peu moins de 8% et celui de l’homme au visage disgracieux tire vers les 13%. Autant dire que pour celles et ceux qui cumulent les stigmates, l’accès à l’emploi risque d’être encore plus difficile !
Souhaitant entendre leurs arguments, l’équipe de chercheurs-ses a joint les employeurs-ses par téléphone en se faisant passer pour les candidats : les employeurs-ses ont menti ou fait appel à des justifications bien capillotractées (de type « Votre diplôme ne convient pas » – alors que tou-te-s les fau-x-sses candidat-e-s avaient justement le même diplôme). Pire : lorsque la femme candidate téléphone afin de refuser le poste, le directeur d’agence affirme que le poste n’est pas encore pourvu. Lorsque, quelques instants plus tard, le candidat maghrébin téléphone au même employeur, celui-ci lui indique le poste est pourvu… Et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d’alu ?!
Pour finir sur cette enquête, Amadieu souligne que parmi les 258 offres d’emploi auxquelles a répondu son équipe, bon nombre indiquait des critères illégaux : si on trouve rarement des critères de sexe ou d’origine, un critère d’âge est fréquemment utilisé (« jeune
», « moins de X ans ») alors que c’est pénalement répréhensible (en plus d’être complètement arbitraire et délirant, je veux dire).
Les mécanismes de discrimination : pourquoi, comment ?
Selon le Haut Conseil à l’Intégration, la discrimination pourrait se définir comme « toute action ou attitude qui conduit, à situation de départ identique, à un traitement défavorable de personnes du fait de leur nationalité, origine, couleur de peau ou religion, qu’une intention discriminante soit, ou non, à l’origine de cette situation ».
Pour l’Observatoire des discriminations (qui propose ici une grosse revue des théories, concepts et notions gravitant autour de la discrimination), les pratiques discriminatoires pourraient notamment s’appuyer sur nos croyances, qui elles-mêmes s’organiseraient autour de 3 principes : la catégorisation, les rapports de force et la peur de la différence.
La première chose, c’est donc la catégorisation : pour simplifier le monde qui nous entoure, nous organiserions le monde en catégories – la catégorisation est un processus cognitif de mise à distance. Il y aurait ainsi « notre » catégorie (que l’on appellera aussi « endogroupe » : c’est notre « groupe d’appartenance », auquel notre identité sociale est rattachée) et la catégorie « des autres » (« l’exogroupe »). Nous aurions tendance à penser, pas forcément de façon consciente, que cet exogroupe est homogène, que ses membres se ressemblent… En bref, nous généralisons : dans ce groupe, ce sont « tous les mêmes » – parfois, nous associerons à certaines catégories des représentations stigmatisantes, des stéréotypes.
Par exemple, lors d’une réunion entre copines, si vous bavassez à propos du type qui a brisé le cœur de l’une d’entre vous et que vous balancez que les hommes, « ces coureurs de jupons », sont « tous les mêmes », c’est ce que vous faites. Et lorsqu’un employeur discrimine une candidate parce que « les femmes sont moins compétentes », c’est un peu le même mécanisme de simplification, de catégorisation qui s’opère – et c’est le début d’une discrimination.
L’Observatoire des discriminations l’explique parfaitement : le problème, ce n’est pas la différence, mais le statut que l’on donne à la différence. Pour le sociologue A. Alaoui, la peur de la différence trouverait ses origines dans la Révolution française, qui a donné naissance à l’idée d’une nation où l’égalité dépasse la prise en compte de la différence. En théorie, donc, nous sommes tou-te-s éga-ux-les ; mais en pratique, les phénomènes discriminatoires existent et heurtent cette égalité théorique. Certain-e-s citoyen-ne-s oscillent alors entre identité de droit (je suis un-e citoyen-ne français-e, donc j’ai les mêmes droits que tou-te-s les autres citoyen-ne-s français-es) et inégalité formelle (j’ai un handicap, une adresse qui ne séduit pas, un patronyme à consonance étrangère… donc je fais face à certains obstacles). Ce contexte stigmatisant pourra par ailleurs avoir un effet délétère sur l’estime de soi, sur les performances, sur la confiance des discriminé-e-s : comment vit-on la discrimination (si vous souhaitez aller plus loin au sujet du vécu de la discrimination à l’embauche, un chouette article est ici) ?
En situation d’embauche, il y a à la base une asymétrie de pouvoir : l’employeur-se a une position dominante, tandis que le-la candidat-e a une position dominée (je sais… on peut aussi le voir différemment : un-e candidat-e a des choses à offrir, à apporter). Si en plus le facteur « mon groupe d’appartenance est plus fort que le tien » s’ajoute, vous imaginez le danger ? En fait, c’est bien cette existence de rapports de force et de représentations qui donne la légitimité ou l’illégitimité des discriminations.
La discrimination repose donc sur une différenciation doublée d’une infériorisation et permet à un groupe dominant de satisfaire, maintenir et protéger ses intérêts. Lorsqu’un groupe majoritaire domine un autre groupe sans que personne ne s’en émeuve vraiment, la discrimination peut être légitimée ; l’Observatoire des discriminations cite les propos de G. Dussault concernant le « pourquoi » de la discrimination de genre : « parce que les employeurs savent qu’ils peuvent le faire ».
Peut-être que si on sait qu’on le fait, on peut mieux lutter ?
Pour aller plus loin :
- L’étude menée par J.F. Amadieu pour l’Observatoire des discriminations , résumée par Sciences Humaines ici.
- Nous avions par ailleurs déjà parlé sur madmoiZelle de discrimination à l’embauche et du vécu de la discrimination.
- Deux études sur la discrimination à l’embauche des personnes « seniors » et des personnes obèses, réalisées par l’Observatoire des inégalités.
- Quelques articles consacrés à l’expérience de la discrimination
- Un document de l’INSEE à propos du « testing » dans les méthodes de recherche sur la discrimination à l’embauche.
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Les Commentaires
Bon moi, je suis noire, femme et en surpoids. JE CUMULE LES HANDICAPS. Remarque nan, je suis plus en banlieue stigmatisée, ni musulmane, et j'ai pas un nom très typé.
En fait, je m'en sors plutôt pas mal dans l'échelle du " qui est le plus discriminé "