Publié initialement le 13 juin 2014
En ce moment aux États-Unis, c’est la saison des bals de promo. Pour beaucoup d’élèves, c’est un événement attendu depuis des mois.
Pour certains, c’est une perspective angoissante parce qu’ils ont des problèmes avec leurs camarades et qu’ils ont peur de rejouer Carrie. Pour d’autres, c’est le risque de se voir rejeté-e-s parce qu’ils/elles n’ont pas la « bonne » identité de genre ou orientation sexuelle…
Les cavalières interdites de bal
Ces dernières années, plusieurs scandales ont éclaté parce que des lycées refusaient des couples homosexuels au bal de promo. Selon la loi américaine on ne peut pas empêcher un élève d’amener un-e cavalier-e de même sexe, mais cela n’empêche pas certains lycées de l’interdire, souvent pour « empêcher des troubles ».
Dans le cas de Constance McMillen, lycéenne du Missouri en 2010, les autorités ont préféré annuler l’événement que la laisser venir avec sa petite amie.
Mentalités des organisateurs du bal : niveau Healy
Selon son lycée, si les couples de même sexe étaient autorisés à venir ensemble au bal de promo, des paires d’ami-e-s pourraient en profiter pour prendre des tickets couples (moins chers) au lieu de tickets individuels.
Après avoir reçu une lettre de l’ACLU, un groupe de défense des droits civiques, les organisateurs du bal ont préféré l’annuler. À la place, des associations ont mis en place un bal de promo privé ouvert à tous, mais la plupart des élèves ne s’y sont pas rendus : ils étaient à un troisième événement, organisé par les parents, auquel Constance McMillen n’était pas invitée.
Le lycée de Constance a été condamné par la justice à lui verser 35 000 dollars et à adopter une clause de non-discrimination dans son règlement. Mais la jeune fille a dû changer d’établissement, harcelée par ses camarades qui l’accusaient d’avoir fait annuler le bal.
Un lycée de New York a également refusé d’accueillir un ancien élève, Nathan Baez, qui aurait dû venir avec sa petite amie de Terminale. Le problème c’est que Nathan est trans. Pour son établissement, c’est donc une fille ; or ils refusent les couples homosexuels ? le combo de l’intolérance.
No smoking à la place de la robe de bal de promo
L’autre demande de Constance McMillen était de porter un smoking plutôt qu’une robe de bal de promo. Elle n’est pas la seule à avoir posé ce « problème » : on trouve plusieurs cas de jeunes filles ayant demandé à porter le costume.
Les étudiants transgenre ont également des difficultés, puisqu’un jeune homme trans risque d’être considéré comme une fille (le genre qui lui a été attribué à la naissance) par son lycée, qui refusera donc qu’il porte un smoking, et inversement pour les jeunes filles trans.
Une affiche de Lambda Legal, une association pour les droits LGBT : « c’est votre choix, pas celui de votre école ».
Là aussi la loi est en faveur des élèves, puisqu’elle interdit les discriminations basées sur le sexe, mais beaucoup de lycées l’ignorent et imposent un dress code genré. En 2011 la lycéenne trans K.K. Logan s’est ainsi vue refuser l’entrée à son bal parce qu’elle portait une robe de bal de promo, alors qu’elle était administrativement un homme.
Attaqué en justice, le lycée a finalement changé son règlement pour protéger les élèves LGBT, et a également dû verser de l’argent à K.K. Logan.
Les règles impitoyables de la royauté
La tradition du roi et de la reine du bal de promo est typiquement américaine. Et là aussi les élèves transgenres sont parfois discriminés, par des établissements qui ne reconnaissent pas leur identité de genre.
Issak Oliver Wolfe, un jeune homme trans, a par exemple été déçu et humilié lorsque les organisateurs ont classé sa candidature parmi les filles, alors qu’il utilisait un nom et des pronoms masculins au lycée.
Issak a mené sa campagne pour être « prom king », mais le jour du vote ses amis n’ont pas trouvé son nom. Il était dans la liste des candidates pour être « prom queen ».
« Si j’avais su qu’ils feraient ça, je ne me serais pas inscrit », a-t-il déclaré. « Ce qui me dérange le plus est qu’ils ne m’aient rien dit. »
Heureusement tous les lycées ne sont pas aussi fermés et on compte de nombreux exemples de rois ou reines trans, chaudement soutenus par leurs camarades.
C’est par exemple le cas d’Andii Viveros, première reine du lycée trans en Floride, qui témoignait en 2011 pour le projet It Gets Better contre le suicide des jeunes LGBT :
Elle raconte qu’elle a dû surmonter beaucoup d’obstacles dans sa vie à cause de son identité, qui l’ont menée à devenir présidente de l’association gay de son lycée. « It gets better », la phrase-clef du projet, promet aux jeunes déprimés et/ou rejetés par les autres que leur situation va s’améliorer. Andii en est aujourd’hui la preuve vivante, puisqu’elle a été élue reine par les autres élèves de son lycée !
Slut-shaming et pères pervers
Pour couronner le tout, les filles risquent aussi d’être victimes de sexisme pendant les bals de promo. L’histoire de Clare a récemment fait le tour d’Internet : elle a été renvoyée de son bal, vraisemblablement parce que les hommes adultes qui la surveillaient la trouvaient trop sexy.
Elle a raconté sa mésaventure sur le blog de sa soeur, dans un billet éloquemment nommé « Fuck the patriarchy ». Elle a accepté que nous reprenions son histoire et que nous en traduisions des extraits.
Clare a 17 ans, elle est en Terminale et scolarisée à la maison. Au printemps, elle s’est rendue au bal de promo organisé par une association de « homeschoolers » comme elle.
Le thème était « Crépuscule à Paris » et le dress code pour les filles comprenait une seule condition : que leurs robes de bal de promo soient « fingerlength », donc qu’elle leur arrive au moins au bout des doigts lorsqu’elles tiennent leurs bras le long du corps. C’est une règle assez courante aux États-Unis.
Clare choisit donc sa tenue avec soin, elle est ravie, elle vérifie bien que la robe est assez longue (c’est le cas) et se rend au bal. Mais lorsqu’elle arrive, une des organisatrices ne veut pas la faire entrer. La jeune fille proteste, montre que la robe respecte le dresscode du bal de promo, explique que comme elle est grande et toute en jambes, tout paraît plus court sur elle… Bon gré mal gré, l’adulte finit par la laisser rentrer.
La fameuse robe
Mais en entrant dans la salle, Clare est bientôt confrontée à un autre problème : sur un balcon au-dessus d’elles, un groupe de pères chargés de les surveiller leur jettent des regards lubriques et font des commentaires entre eux.
« Nous n’étions pas en train de danser, mais de nous balancer sur la musique en parlant et en nous amusant, quand Mrs D. [l’organisatrice] s’est approchée de moi à nouveau et m’a fait signe de m’éloigner de la piste de danse. Elle m’a emmené dans un coin du hall avec une autre femme (qui je suppose était une mère/une chaperonne) et m’a dit que certains des pères qui nous surveillaient s’étaient plaint de ma danse trop provocante, et avaient dit que j’allais susciter des pensées impures chez les jeunes hommes du bal. »
L’organisatrice insiste à nouveau sur le fait que sa robe de bal de promo est trop courte. Malgré ses protestations, la lycéenne est renvoyée du bal et demande des remboursements pour elle et ses amis, qui doivent partir avec elle puisqu’ils sont venus ensemble en voiture.
« Ce qui s’est passé la nuit dernière était injuste pour plein de raisons différentes :
- On m’a dit que la manière dont je m’habillais et bougeais mon corps entraînait les hommes à penser des choses inappropriées à mon propos, impliquant que contrôler les pensées et actions des autres est ma responsabilité.
- On m’a parlé de façon irrespectueuse, les responsables se sont ligués contre moi et m’ont traitée comme si je n’étais même pas une personne, et quand j’ai demandé à l’une de mes camarades présentes de témoigner de ce qui s’était dit pendant cette « discussion » on m’a refusé ce droit et on a menacé mes amis parce qu’ils restaient à mes côtés.
- On nous a verbalement promis un remboursement total pour notre groupe et nous n’avons reçu que le remboursement du mien. Ils doivent nous rembourser cinq autres tickets pour notre groupe.
- Je me suis sentie salie par le nombre de pères qui étaient chargés de ne rien faire d’autre pendant cinq heures que regarder des filles en robes courtes et talons danser sur une musique entraînante. Je trouve ça écœurant et injuste qu’on les ait chargé de s’asseoir au-dessus de nous sur un balcon, de nous regarder de haut et de nous stigmatiser pour nos vêtements ou la manière dont nous dansions.
- Je n’ai jamais signé aucun document acceptant un dresscode, j’ai respecté à la lettre le dresscode qui nous avait été communiqué verbalement, et j’ai pourtant été renvoyée.
- Plusieurs amis qui sont restés au bal m’ont dit qu’il y avait eu des danses vraiment chaudes, plusieurs couples s’embrassant et se pelotant sur la piste, et pourtant sur 500 personnes, une seule (moi) a été jetée dehors pour « danse inappropriée ».
Cette situation m’a fait me sentir salie, écartée et ostracisée. Mon groupe de cinq personnes a dû quitter le bal parce que j’ai de longues jambes et que je portais une robe qui brille. Je ne ressemblais pas à la plupart des filles de 13 à 15 ans qui étaient là, je ressemblais à une femme. Et bon Dieu je suis fatiguée des gens qui abusent de leur pouvoir pour faire se sentir une femme sale et honteuse parce qu’elle a des fesses, des seins ou de longues jambes. »
Clare sur le chemin du bal
« Ceci est un message pour les femmes qui savent que, parfois, peu importe à quel point vous fermez une robe on verra toujours votre décolleté quand vous vous penchez. Un message pour les filles comme moi qui ont du mal à trouver des pantalons parce que leurs fesses sont trop grosses ! Pour les filles aux longues jambes, qui sont obligées de prouver qu’elles respectent le dress code juste parce que leurs jambes se voient davantage.
Voici ce que je veux dire. Vous êtes belle, quelle que soit la façon dont vous êtes faite, quelle que soit la manière dont vous choisissez de vous habiller ou de danser, ou les mots que vous dites dans la fureur du moment. [Clare raconte que ses amis se sont énervés et ont insulté les agents de sécurité, et qu’ils n’auraient pas dû le faire.]
Et plus important encore que de savoir que votre apparence, votre corps et vos vêtements ne définissent pas votre beauté, vous devez savoir que les gens sont responsables de leurs propres pensées, désirs et actions, peu importe si vous vous déhanchez sur la musique, si vous vous frottez à votre ami-e ou si vous ne dansez même pas.
Vous êtes une personne, avec une âme, un potentiel et un but, et la manière dont les autres vous traitent ne devrait jamais être basée sur comment vous dansez, parlez ou vous habillez. Vous êtes une personne, je suis une personne, est ce que c’est vraiment trop de demander d’être traité-e-s comme tel-le-s ? Être traité comme un-e égal-e ? Comme des adultes responsables qui peuvent eux aussi avoir des opinions et des goûts ?
Pourquoi mon apparence et mes vêtements influencent-ils le degré de respect que vous me témoignez ? Pourquoi refusez-vous de me rembourser quand je l’ai demandé, alors que quand mon ami masculin l’a demandé vous avez accepté de rembourser son ticket ? Je n’ai que 17 ans mais je peux voir qu’il y a un problème. S’il vous plaît, s’il vous plaît, dites-moi que je ne suis pas la seule à penser que quelque soit la manière dont les gens sont habillés ou comment ils bougent leurs corps, nous devrions toujours les traiter avec respect.
Et assez de ce slut-shaming. Je vous en prie. Bon sang je ne suis pas responsable d’un père de 45 ans pervers qui me désire parce que j’ai une robe qui brille et un gros cul pour une adolescente. Et si vous pensez que je le suis, peut-être que vous faites partie du problème. »
Amen, Clare, amen.
La discrimination, une spécialité américaine ?
Bal, « prom king » et « prom queen »… ces traditions sont très américaines ? en France certaines écoles s’en inspirent, mais elles sont rarement aussi codifiées.
Pourtant, les discriminations sont-elles différentes ici ? Dans l’enquête récente du MAG Jeunes LGBT, on découvrait que 27% des collégiens et lycéens étaient encore « mal à l’aise » ou « dégoûtés » par les homosexuel-le-s.
Et la transidentité passe encore plus mal (« les homos c’est ok, mais les trans je peux pas »). Quant au sexisme et au slut-shaming, la société française n’est pas en reste.
Dans les événements scolaires, avez-vous remarqué des discriminations ou au contraire de la tolérance ?
- Dans vos soirées étudiantes, les couples de même sexe osent-ils se montrer ?
- Si vous êtes ou que vous connaissez des élèves transgenres, l’équipe éducative accepte-t-elle d’utiliser le bon prénom et les bons pronoms ?
- Avez-vous déjà eu des problèmes avec les dresscodes (robes de bal de promo etc.) au lycée ?
À vous de nous le dire.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
attends de passer le cap des 25 ans et de devoir payer tes billets de cinéma pleins pots, fini le deuxième big mac à 1 euros ...