On parle aujourd’hui de l’extrême droite comme d’une « nébuleuse » composée de « groupuscules » divers (cf cette infographie sur Rue89). Si le Front National réfute toute parentalité vis-à-vis de ces groupuscules, tous partagent un point commun, à travers un langage et un discours clairement identifiés.
En effet, tous les groupes se revendiquant de la droite extrême ont recours à une rhétorique quasi-identique, qui s’articule autour de thèmes bien identifiés. Voici un tour d’horizon de ces thèmes ainsi que des éléments de langage qui leur sont associés.
Le peuple contre les élites
Le populisme est un type de discours politique qui vise à défendre le peuple contre une minorité supposément détentrice d’avantages (pouvoir, richesses, etc…), ce sont souvent « les élites », accusées de confisquer le pouvoir. Ce mouvement a connu son apogée avec Pierre Poujade, homme politique et syndicaliste défenseur des artisans et des commerçants, des « petites gens arnaquées et bernées » dans la France post-seconde Guerre Mondiale.
C’est d’ailleurs à Pierre Poujade que Jean-Marie Le Pen doit ses débuts en politique : c’est après l’avoir rencontré que ce dernier se retrouve tête de liste et élu aux élections législatives de 1956. Dès lors, il n’est pas surprenant de retrouver le populisme comme élement prégnant du discours du Front National et de l’extrême droite jusqu’à ce jour : Marine Le Pen serait la seule à vouloir dire la vérité aux Français, qui seraient « floués » par les autres formations politiques, et accuse « le système » de l’empêcher d’être candidate.
Voyez à ce sujet son intervention dans le journal de TF1, en 2012 : du point de vue du discours, c’est un cas d’école.
De même, on retrouve ce discours distillé par les groupuscules se réclamant du « Printemps Français » : l’idée que la République a été « confisquée » par les élites, que c’est au peuple de descendre dans la rue, de récupérer le pouvoir, par la force s’il le faut, l’idée selon laquelle « la République ne fonctionne plus, il faut être une minorité active pour se faire entendre ». On est dans le thème de la majorité opprimée par une minorité détentrice du pouvoir.
Exemple avec le discours du GUD Lyon (sur leur site) :
« Depuis de nombreux mois, les patriotes et nationalistes européens ne cessent de subir une répression de plus en plus accrue de la part du Système qui se traduit par des intimidations, des gardes à vue, des condamnations à des peines pouvant parfois mener à la prison… Cette répression, bien qu’elle entache la vie quotidienne de chaque militant politique actif, ne fait que renforcer notre détermination à reprendre le pouvoir. C’est pourquoi le GUD Lyon a décidé en ce matin d’hiver d’affirmer avec ténacité le fait que la répression qu’exerce nos gouvernements décadents n’arrêtera en rien nos profondes convictions que nous défendrons toujours. »
L’État fort
L’État fort, souverain, est un élément central de la rhétorique de l’extrême droite. L’État souverain est celui qui est totalement maître sur son territoire, d’où la nécessité impérieuse de contrôler ses frontières. Tout ce qui vient de l’extérieur est assimilé à une menace, un péril. On retrouve donc les idées sécuritaires au sein de ce thème.
Poussée à l’extrême, la nécessité d’assurer la sécurité de la communauté nationale va justifier la privation de certaines libertés, ce qui amène à penser des systèmes de gouvernement totalitaires, exerçant un contrôle absolu sur la population.
Pour ces groupes d’extrême droite, la diversité des opinions politiques est non seulement une menace à la cohésion nationale mais surtout à la force de l’État, qui se retrouverait attaqué par des ennemis intérieurs. L’extrême droite a d’ailleurs une expression pour désigner tous ces groupes qu’elle accuse de « trahir la nation » : l’Anti-France.
Dès lors, on comprend que les extrêmes soient si farouchement opposés à l’intégration européenne, accusée de déposséder la France de sa souveraineté. Ce point de vue occulte complètement le contexte international, où il serait impossible pour un « petit » État comme la France de pouvoir rivaliser avec des pays comme la Chine ou les États-Unis, au poids démographique et économique nettement supérieur. Qu’importe, puisque la cohérence de leur discours se comprend dans un contexte national uniquement.
Et quand ils parlent de « racines européennes », il faut bien sûr entendre et comprendre « racines chrétiennes ». Chrétiennes-catholiques. Dans le Petit Reportage de Laystary sur Civitas
, on pouvait d’ailleurs lire que l’Institut « explique militer pour une nouvelle souveraineté nationale qui s’oppose à l’intégration européenne, [citant] Pie XII (discours du 21 juin 1955) pour soutenir son propos : « L’État doit posséder l’autorité nécessaire à sa charge, c’est la souveraineté. » CQFD.
L’identité nationale
Ce thème est central à l’idéologie d’extrême droite. L’identité est définie par l’appartenance à la Nation, mais également par exclusion de celle-ci, donc par la xénophobie. Cette vision exclusive de l’appartenance à la Nation se retrouve déclinée dans les programmes politiques des partis constitués ou dans la propagande des groupuscules.
C’est de là que vient la « préférence Nationale », qui voudrait que l’on pratique une différence de traitement systématique entre les nationaux et les autres.
Si ces expressions vous semblent familières, c’est que vous les avez entendues à plusieurs reprises ces dernières années. Nicolas Sarkozy comptait parmi ses plus proches conseillers un dénommé Patrick Buisson, théoricien proche de l’extrême droite. Le Ministère de l’identité nationale, c’est lui. C’est sous sa plume que le discours sarkozien s’est mis à flirter avec ces thèmes auparavant chasse gardée des extrêmes.
Lors du discours de Villepinte par exemple, le candidat UMP avait de façon surprenante remis en cause l’intégration européenne (en insistant sur les décisions « unilatérales » qu’il comptait prendre une fois réélu) ; de façon beaucoup plus directe, au soir du premier tour, il en appelait à « ceux qui placent l’amour de la Patrie au dessus des considérations partisanes » (ou plus prosaïquement, aux électeurs du FN).
Il faut espérer que ces incursions du langage de l’extrême droite au sein de la droite « classique » ou « modéreé » ne soient qu’une stratégie électoraliste et non pas une adhésion à l’idéologie. Il reste heureusement suffisamment de responsables prêts à sans cesse réaffirmer leur différence et leur opposition aux discours extrémistes.
Les mots changent, les idées restent
On a beaucoup parlé lors de la campagne présidentielle 2012 du « changement de look » du FN.
On disait que Marine Le Pen passait bien, elle n’avait pas le discours extrémiste de son père. Or en y portant attention, on constate que le discours est toujours le même. Si le vocabulaire a évolué, on reste toujours scrupuleusement dans les thèmes évoqués précédemment.
Marine Le Pen parle davantage de « République » que de « Nation », parce que le nationalisme a aujourd’hui une connotation négative. Mais elle appelle à une République forte, libérée du joug de Bruxelles : on est toujours dans la rhétorique de l’État fort.
Mme Le Pen défend la laïcité, mais n’y voyez pas une volonté de s’affranchir de la branche identitaire-catholique : elle parle de laïcité pour dénoncer la place de l’Islam en France. Le catholicisme n’est pas concerné, il est rangé au rang des valeurs traditionnelles de la France, et non d’une religion.
Par cette pirouette, la chef de file du FN fait d’une pierre deux coups : elle réaffirme l’importance des valeurs traditionnelles dans l’identité nationale française, tout en dénonçant tout ce qui relève de l’Islam en France, excluant de facto de la communauté nationale telle qu’elle la conçoit ceux qui ne puisent pas leurs racines dans le catholicisme européen.
L’emballage change, le produit est toujours le même. La banalisation des idées d’extrême droite passe par la modulation du discours, l’évolution du langage vers un champ lexical davantage en phase avec les préoccupations actuelles.
On parle de République et de laïcité, de défense de la famille et de « la nature », mais dès qu’on analyse de plus près les discours, on retrouve les mêmes thèmes. Sous la forme d’un collectif supposé « défendre la famille », on insulte la mémoire d’un jeune.
Sous couvert de « nouveau féminisme », on prône un retour aux valeurs traditionnelles, une société et une famille dans laquelle les femmes sont avant tout « filles, épouses, mères ». Les groupuscules d’extrême droite se cherchent des tribunes, mais leur discours est toujours le même. À l’extrême droite, rien de nouveau.
Pour aller plus loin…
- Lyon, capitale de l’extrême droite la plus radicale
- Les partis d’extrême droite et leur discours en Europe
- Émission du 3 mai 2013 sur France Inter, avec Caroline Fourest
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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