— Publié le 2 juin 2014
Il y a quelques jours, en traînant sur madmoiZelle, je suis tombée sur deux vidéos issues d’une future émission télé, Cam Clash : des acteurs recréent des situations de harcèlement en caméra cachée, et testent les réactions de témoins inconnus dans des lieux publics. Beaucoup de gens interviennent et remettent les agresseurs à leur place, protégeant les victimes.
J’en suis ressortie le pif rougi, les yeux gluants d’espoir et la narine coulante (oui, je suis une chouineuse invétérée) face au courage dont ont fait preuve certaines des personnes piégées. « ENFIN, les gens se bougent ! C’est BEAU », me suis-je dit.
« Si je n’avais pas mis de jupe, aussi… »
J’étais émue parce que, le harcèlement qu’on appelle aujourd’hui « de rue », en tant que fille, je le subis TOUS LES JOURS. Du « Eh, salope ! » classique et bref au plus pernicieux bruit de bouche approbateur quand je traverse la rue, mon quotidien est une succession de commentaires vaseux, machistes et sexuels proférés par de sombres inconnus, que j’aille chercher mes serviettes hygiéniques en legging/pull de l’amoureux, rejoindre mes amis pour un verre l’été en jupette taille haute et sandales de plage à paillettes ou que je sois assise sur un banc, un roman à la main, en jean et sac à dos.
Et pourtant. Pourtant j’ai, comme mes agresseurs, minimisé le problème trèèèèèès longtemps. Trop longtemps.
Il aura quand même fallu que j’ai 26 ans, et que des hommes aient posé la main sur moi trois fois en un an dans les transports, pour que je commence à me dire qu’il y avait un souci. Pas facile quand la première chose qu’on me demandait suite au récit de ces agressions, c’était : « Mais t’étais habillée comment ? ».
Voir tout le strip de Diglee : Stop Harcèlement de rue
Comme si la jupe était un appel au viol, comme si l’homme était une bête primitive incapable de se contrôler, et que je l’avais bien cherché. Longtemps j’ai donc cru que mes jupes, mes shorts, mon look excentrique, mes pompes, mon sourire béat de fille contente de vivre étaient les vrais problèmes. Et je ne me sentais pas franchement légitime de m’en plaindre.
Puis je me suis familiarisée avec des termes comme « culture du viol », « slut shaming » et « harcèlement de rue ». J’ai dû réaliser qu’il y avait un souci dans mon analyse de la situation : NON, ce n’était pas ma faute, et j’avais le droit de me faire respecter.
Petit à petit, je me suis ré-approprié ma ville, et j’ai essayé de trouver mes marques, de reprendre confiance. J’ai réussi grâce à divers articles lus à droite à gauche (notamment ici, sur madmoiZelle), et à des projets intelligents et nécessaires comme celui de Thomas Mathieu, le Projet Crocodiles, un Tumblr qui illustre des témoignages de harcèlement de rue et de sexisme ordinaire, et qui donne des solutions concrètes pour les combattre.
Voir toutes les stratégies de réaction au harcèlement de rue, par Projet Crocodiles
« Arrêtez de me fixer. Ça me met mal à l’aise. »
Un peu rassurée, j’ai arpenté les rues avec une confiance nouvelle. Il y a quelques semaines, j’ai pu commencer à mettre en pratique un de ces conseils pratiques et clairs.
Je suis entrée dans une rame de métro, et un jeune homme assis en face de moi m’a dévisagée pendant plusieurs secondes, ne se privant pas de lancer des commentaires. Il mangeait une endive (ne cherchez pas, moi non plus, je pige pas, mais là n’est pas la question). J’écoutais de la musique, je n’ai pas entendu ses mots, mais sa langue passant sur ses lèvres et ses mimiques obscènes ne laissaient pas vraiment de place au doute.
Il m’a alors interpellée, et demandé si je voulais « manger son endive ». J’ai posément et fermement répondu « Non, ça va aller ». Mais il a continué. Gonflée à bloc, et ayant bien appris par cœur mes petits conseils anti-harcèlement, j’ai enlevé mon casque, et l’ai interpellé à mon tour.
– Excusez-moi ? – Oui ? (lubrique, fier que je lui parle, comme si j’avais changé d’avis) – Est-ce que vous pourriez arrêter de me fixer comme ça s’il vous plaît ? Parce que ça me met vraiment très mal à l’aise. (À haute et intelligible voix, pour que les gens autour de moi m’entendent clairement.)
Ses yeux se sont écarquillés ; interloqué, et visiblement surpris, il a acquiescé et s’est excusé, n’osant plus regarder dans ma direction pendant les deux arrêts qui ont suivi. Coup de chance, me suis-je dit… mais quand même !
Énoncer clairement l’attitude de l’autre, le confronter droit dans les yeux, avec calme et fermeté, semblait déjà un bon début. Mais je vous l’accorde, encore faut-il avoir de la patience et du temps… Ce que je n’ai pas, par exemple, quand je descends de mon vélo pour un rendez-vous professionnel et qu’un homme de quarante ans me siffle et me demande de le refaire devant lui : en général, ça finit en gros doigt et cris de putois.
« Tu me donnes envie de te baiser, j’ai le droit de le dire, non ? »
Et puis il y a eu cette autre altercation, samedi dernier. Plus coriace.
Métro bondé, chaleur, énervement. Je me glisse dans la rame avant que les portes ne se ferment. Deux mecs d’environ mon âge me voient arriver. Ils sont à côté de moi, l’un assis, l’autre debout. Salve de commentaires bariolés que je devine malgré mon casque. Je coupe la musique, pour entendre ce qui se dit. Ça commente ma jupe, mon corps… ma vertu. Fatiguée, je n’ai pas le courage de répondre. Je leur laisse un arrêt pour m’oublier, se calmer.
Ça pouffe, ça rigole, ça me désigne du menton. Je bous intérieurement. Je soutiens le regard de l’un d’eux, et enlève mon casque, signe que j’ai compris qu’ils parlent de moi. Ça ne suffit pas.
Un autre arrêt passe. Les deux s’assoient finalement, et continuent leurs commérages en ma direction, fiers que je me soumette, que je les observe me rabaisser sans rien dire. C’en est trop. Je m’approche du premier, le feu aux joues, et lui parle droit dans les yeux (avec un peu moins d’assurance que la première fois, puisque je suis seule face à deux gars) :
– Excuse-moi ? Il y a un souci ? Ça fait dix minutes que tu te me fixes, tu peux peut-être passer à autre chose maintenant ? – …Tu parles à moi, là ? – Oui, « je parle à toi », puisque tu te fous de ma gueule depuis presque dix minutes. Je te vois et je t’entends, ça va, fais pas semblant. Donc si tu pouvais arrêter de me fixer avec insistance, ce serait gentil.
(Là j’ai l’air calme et sûre de moi, mais en vrai chaque mot venait avec un effort SURHUMAIN et ma voix avoisinait plus celle de la chèvre en mue que celle de la jeune fille en fleurs.)
– OH, t’as qu’à pas t’habiller comme ça aussi. Tu me donnes envie de te baiser, j’ai le droit de le dire, non ?
À partir de là, ça a été LA GUERRE.
J’ai clamé que, jusqu’à preuve du contraire, j’étais dans un pays libre, et que j’avais le droit de porter une jupe. Quoi, il n’avait jamais vu de jambes ? Quand il m’insultait, j’essayais de ne pas surenchérir, juste de répéter ses mots, d’abord et surtout pour que la rame comprenne ce qui était en train de se passer.
« Ah, je porte une jupe DONC je suis une pute ? Tu te rends compte de ce que tu dis ? »
Ce charmant jeune homme m’a alors accusée d’être « une chienne », « une sale rate », d’avoir « chaud au cul », et m’a sommée d’aller me « laver la chatte », entre autres commentaires fleuris. Classique. Puis son camarade, le voyant à court d’arguments, a finalement menacé de me cogner (aaah, ben ça changeait au moins !).
Portée par la colère, je ne me suis pas démontée. Je n’ai rien lâché. Je voulais tenir au moins jusqu’à ma sortie du métro. Ne pas me faire rabaisser. Ne plus m’écraser. Pour toutes ces fois où j’avais baissé la tête et feint de ne rien entendre, par peur, épuisement ou résignation.
« Ferme ta bouche, abruti ! »
J’ai donc de nouveau répété à très haute et intelligible voix ses propos en incluant la foule qui commençait à suivre la scène avec curiosité :
– Ah, alors en plus de m’insulter et de me rabaisser, tu vas ME TAPER ?! Là, tout de suite, devant TOUS CES GENS (je les ai désignés du doigt) qui sont en train de te regarder ?
À ma grande surprise, une femme au loin a applaudi. Une autre a lancé « Ferme ta gueule, abruti, rentre chez toi ! ». D’autres ont suivi, chacune y allant de son commentaire outré.
Je me suis sentie soutenue dans mon combat pour la première fois de ma vie. Puisque les deux gentlemen commençaient à manquer d’arguments question « pute en jupe » , leur nouvelle tactique a été de déclarer :
– Mais t’es même pas bonne en plus !
Ce à quoi j’ai répondu que je n’en avais strictement rien à foutre d’être bonne, que je m’habillais pour moi et pas pour leur plaire. Notre arrêt était arrivé : ils sont sortis les premiers, sous les huées des femmes du wagon, grommelant dans leur barbe, me traitant de thon, de pute et de chienne, mais de loin, pas trop fort. Et en marchant bien vite.
Excusez-moi les gars, votre mère ne vous a pas appris que ce n’est pas une façon très polie d’attirer l’attention d’une demoiselle ?
Je me suis retrouvée dans un flot de bras et de corps féminins inconnus qui m’interpellaient et m’attrapaient par la main ou me tapaient dans le dos pour me remercier et me féliciter. Première vague d’émotion à haut risque lacrymal.
Quand une petite mamie s’est glissée à mes côtés dans l’escalator, tendre et rassurante, pour me dire que j’avais «
bien eu raison de ne pas me laisser faire ! », j’ai tout lâché. À ce moment-là, j’ai pleuré.
Que tirer de cet évènement ?
Cette agression m’a prouvé plusieurs choses.
Évidemment, on ne peut pas changer les gens : un homme qui considère la femme comme un objet ne va pas changer d’avis en un scène de métro un peu houleuse. Mais les hommes peuvent parfois ne pas se rendre compte de ce qu’est le harcèlement de rue, et de manière plus générale, le sexisme ordinaire (voir les boulettes phénoménales de Guillaume Pley par exemple). Tout simplement parce que, n’étant pas la cible de ce phénomène, ils n’en mesurent pas l’impact réel.
C’est aussi à nous, femmes, de nommer le problème, et de le faire exister en témoignant au maximum. Beaucoup de mes amis me demandent encore « mais ça arrive vraiment aussi souvent ? », l’air incrédule. Leur dire que oui, à quelle dose, comment, et expliquer en quoi ce n’est pas normal, sans être agressive mais en expliquant surtout la souffrance que cela génère, c’est un bon début. Informer, informer, informer.
« Voir le harcèlement de rue comme une banalité, même dans ses aspects les plus modérés, ça veut dire que les autres formes de violence genrée, de violence sexuée, sont aussi acceptées. »
Les gens sont capables d’intervenir. C’est difficile, mais ça arrive : avec la bonne attitude, on peut se sortir de certaines situations angoissantes ! Il faut quand même mesurer le risque : si vous êtes seule, sans témoins, je conseille vivement la sécurité avant l’orgueil. Mais c’est rassurant de savoir qu’une femme qui dit non n’est pas perçue comme une hystérique.
Encore faut-il que la scène soit bien comprise par les témoins. Se renseigner sur les attitudes à adopter peut être un vrai réconfort, et quand on voit que ça marche, ça réchauffe le coeur. Alors… on continue, et on ne baisse pas les bras !
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