Il y a un peu plus d’un an, j’ai par hasard découvert Diane, DJ et productrice de 28 ans, alors qu’elle assurait la première partie de The Hacker au club le Terminal. Mettre en bouche le public avant un des pionniers en matière de techno n’est pas une mince affaire, mais le pari a été plus que réussi pour la jeune Lyonnaise. Interview d’une musicienne au parcours insolite, qui l’a menée de la musique classique aux platines.
Diane, du violoncelle aux platines
Bonjour Diane, tu es venue pour nous parler un petit peu de ton parcours musical. Donc qui es-tu, d’où viens-tu, que fais-tu ?
Je suis née à Lyon. Mon père est musicien à la base, corniste professionnel, et ma mère était son imprésario donc ils voyageaient pas mal ensemble quand il faisait ses tournées. J’ai baigné très tôt dans la musique classique. J’ai pris des cours de musique au conservatoire dès l’âge de 6 ans : j’ai fait du violoncelle et du piano jusqu’à mes 14 ans.
Mais très vite, je me suis intéressée à un nouveau type de musique, parallèlement au classique, parce que je voulais faire sonner mon violoncelle un peu comme je le voulais, que ce soit au niveau du son, de la rythmique, ou même juste du solfège. Pendant ma crise d’adolescence (je ne sais pas si c’est lié) je voulais sortir de ce côté académique. Très vite j’ai voulu rentrer dans un autre style.
À l’époque, j’avais un groupe de rock donc j’ai fait de la basse. Puis j’ai commencé à faire du sport à haut niveau aussi, ce qui a un peu fait criser mes parents, mais je voulais montrer que je voulais découvrir un autre monde. Et surtout, j’ai toujours aimé danser en fait.
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Ressentir la musique plutôt que toujours être dans le contrôle du temps, dans un côté mathématique, ça m’a plu. J’ai découvert la musique électronique comme ça, en club, par hasard. Et aussi grâce à mes voisins qui me parlaient déjà, quand j’étais petite, de Laurent Garnier, Saint Germain, des Daft Punk, de tous les premiers gros DJ. On écoutait des vinyles entiers, on dansait là-dessus, puis on est allé•e•s en club quand on avait l’âge.
Et voilà, je me suis aperçue que j’aimais beaucoup ce lâcher-prise, cette espèce de transe dans laquelle on rentre dans la musique techno, et cette façon de ressentir les choses, sans barrières.
En t’intéressant à cette culture, y a-t-il eu un•e artiste, ou une nuit passée en club qui a été déterminante, une sorte de « révélation » ?
En fait je sortais quand j’avais 18-20 ans, puis j’ai fait une pause parce que j’étais concentrée sur mes études. Je suis sortie de nouveau autour de l’âge de 23 ans.
La première fois que j’ai été frappée c’était au DV1 [un club lyonnais, NDLR]. Le son qui passait là-bas, l’atmosphère du club, son univers… tout ça m’a un peu hypnotisée. J’ai compris que je voulais faire ça, que je voulais faire de la musique électronique. Revenir à la musique, mais d’une autre manière. Je n’aurais jamais pensé y revenir, parce que j’étais un peu en conflit, je ne voulais plus aller au conservatoire… Et au final, j’ai eu l’impression d’avoir trouvé ce qui me correspondait le plus.
Tu es revenue à la musique, mais plus doucement ?
Oui voilà, plus doucement, mais autrement surtout. C’était une autre manière d’aborder la musique que celle que j’ai pu connaître quand j’étais plus jeune, avec le violoncelle et le piano. Puis j’ai acheté mes première machines, des platines, et donc j’ai appris à mixer sur CD et vinyle. Ensuite j’ai investi dans des machines pour la production, le côté composition.
Ce qui m’a intéressée dans le DJing, c’est de découvrir la musique autrement qu’en dansant. Je me suis dit « Tiens, j’ai envie d’articuler une histoire à travers la musique ». C’est aussi pour exprimer des choses qu’on n’arrive pas à exprimer verbalement, qui sont indicibles. Je me retrouve plus dans cette communication-là que dans celle qui se fait à l’écrit par exemple. Ça fait maintenant quatre ans que je fais de la musique électronique.
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Être une femme DJ
Depuis 4 ans que tu es dans ce monde-là, en tant que femme, as-tu remarqué une vraie différence, de traitement ou de réaction, du fait de ton genre ? Ou alors est-ce que les barrières de genres se cassent pour ne laisser plus que la musique ?
Moi je suis partie du principe qu’il n’y avait pas cette frontière. Que ce soit un DJ homme ou femme, chacun•e exprime les choses à sa manière. Je n’avais pas envie de rentrer dans ce côté manichéen, dans la dualité homme/femme. Je suis un être humain avant d’être une femme, et je m’impose en tant que tel. Je ne me suis même pas posé la question dans ces termes-là.
Et même avec tout ça, tu n’as jamais été confrontée à ce genre de réaction, tu n’as pris une grosse douche froide ?
Par rapport aux problèmes de sexisme ? Non, je ne suis jamais laissée grignoter par ça. Au contraire, j’ai même pris les devants, ça ne m’a pas touchée. Je suis un être humain avant tout, être un DJ homme ou femme, c’est pareil. Même si pour moi, la sensibilité est différente, ça c’est certain.
Entre préparation et free style
Quand tu es aux platines, qu’est ce qui se passe pour toi ? Est-ce que tu es 100% concentrée sur le contrôle de tes machines, est-ce que tu te laisses un peu envahir par tout ce qui se passe, est-ce que tu ressens une certaine appréhension vis-à-vis de l’expérience de la scène ?
Ah… C’est une bonne question. C’est un peu un combat entre soi-même, et une communication avec le public.
En fait, quand j’arrive, j’ai un univers qui m’est propre et que j’ai envie de partager avec le public, et j’ai une idée de ce que je veux mixer. Mais en même temps il faut que je prenne en considération l’énergie du public. Et selon ce que je vais ressentir, je vais adapter mon mix. Cela dit, je préfère présenter ma « carte d’identité » : voilà, c’est moi, avec mon univers. Je ne veux pas être dans la complaisance et rentrer dans ce qui pourrait faire plaisir. J’aime bien qu’on me voie arriver là où on ne m’attend pas, je veux créer l’effet de surprise.
Mais bien sûr, je prends le public en considération : si je sens qu’il a envie de rentrer dans quelque chose de plus dansant, je vais peut-être choisir des titres plus dancefloor. Il faut apprivoiser les gens en fait, pour les amener là où on veut aller.
Tu as mixé dans des cadres assez variés : tu étais aux Reperkusound, un festival lyonnais de musique électronique, puis tu as joué dans des clubs, parfois petits, avec des soirées plus fermées et moins d’artistes programmés. Ce sont des expériences assez différentes, non ?
Ah oui, ce sont des ambiances très différentes. Les festivals, je trouve ça très impressionnant : c’est très grand, il y a de la fumée partout, c’est très impersonnel au final, on a moins de contact avec le public, on a un peu l’impression de diriger un vaisseau dans la fumée, on ne sait pas trop où on va. Mais c’est ce côté adrénaline qui est plaisant, même si c’est moins chaleureux.
Par contre dans les clubs, ce qui est plaisant c’est d’être vraiment en contact avec le public. C’est plus chaud, on sent mieux l’énergie. Ce sont deux univers complètement différents, et difficilement comparables.
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Avant de te mettre à mixer, comment est-ce que tu te prépares ? Est-ce que tu arrives avec une idée précise de ce que tu vas jouer, ou bien tu y vas un peu en free style et selon les réactions du public ?
Ça dépend des fois. Parfois je prépare un peu ce que je veux mixer et parfois j’y vais en free style. Il y a eu des évolutions dans ma carrière. Dans mes expériences musicales, j’ai eu des moments très « techno expérimentale », d’autres plus dansants, inspirés de la new wave des années 80, parce que ce côté-là, chez moi, est très marqué. Ce qui m’amuse, c’est de mélanger les deux, et de créer mon propre univers à travers ça.
J’arrive avec une sélection, mais sans que ce soit tiré au cordeau de façon précise : je fais selon l’inspiration. C’est ça qui est intéressant. Il y a une sorte de magie qui opère : je ne sais pas pourquoi ce disque-là me vient plutôt qu’un autre, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose d’un peu inexplicable qui fait que ça se décide. Mais je reste dans un style en particulier.
C’était aussi un peu pour casser ce côté carré de la musique classique, où chacun a sa partition à jouer de façon précise, que tu es allée vers la musique électronique, non ?
Exactement, même s’il y a toujours une ligne directrice à tenir. Chacun sa méthode, mais il faut avoir au moins un squelette, un minimum de structure. C’est ce qui m’a plu : qu’on puisse avoir sa propre méthode, du moment qu’on ressent des choses, qu’on a l’émotion. Peu importe le chemin par lequel on va y arriver, ce qui compte c’est de ressentir, et de se mettre dans un univers.
Même si tes mix peuvent changer selon la musique que tu passes, est-ce que tu as une sorte d’idéologie que tu essayes de faire passer ? Une carte d’identité sonore, en quelque sorte.
Déjà, il y a l’authenticité : je ne cherche pas à rentrer dans un personnage [Diane a gardé son vrai prénom en tant que nom de scène, NDLR]. C’est moi, et comment je ressens les choses. Et aussi la lueur d’espoir dans l’obscurité. Voilà les deux choses principales que je veux faire passer.
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Passé et futur d’une DJ qui monte, qui monte…
Quel regard portent tes parents, eux aussi dans la musique, sur ton revirement vers l’électronique ?
J’ai montré très tôt que je voulais découvrir autre chose, et ils se sont faits à l’idée que j’expérimentais un autre type de musique. Quand j’ai dit que je voulais mixer, ils m’ont énormément soutenue. Ma mère s’intéresse beaucoup à ces musiques, elle arrive à les comprendre ; mon père un peu moins, ça lui échappe. Mais au final même si je suis partie dans un style différent, j’ai réussi à m’imposer comme je suis. J’ai la chance d’avoir des parents qui me soutiennent beaucoup.
Parlons du futur maintenant ! Où en es-tu ? Tu es signée sur un label ?
Pas encore, je suis en train de faire de la production, de composer mes propres morceaux. C’est un autre univers pour moi, donc j’y travaille beaucoup. Pour le label, je ne vais pas encore m’avancer.
Tout ça, c’est en prévision de la sortie d’un EP ?
Oui, c’est pour fin 2015 au plus tôt. C’est la première fois que je compose des morceaux en vue d’une sortie. Je ne me mets pas dans un style prédéfini : je veux que ce soit courageux, puissant et que ça le reste. Ça m’ennuie un peu de me ranger dans la case techno, ou electronica. Ce sera fort, c’est sûr, avec des kicks.
Dans les oreilles de Diane
Grande première, donc ! Maintenant, si tu devais choisir 3 morceaux, qui ont marqué ton histoire musicale personnels, ce serait lesquels, et pourquoi ?
Quand j’étais petite déjà, j’aimais beaucoup les opéras de Wagner, parce que c’était très puissant, très organique, ça prend aux tripes. Ça a ce côté très impressionnant, j’aimais bien ce qui me retournait le cerveau et le physique. J’aimais beaucoup ce côté intense.
Puis en techno, il y un morceau qui m’a pas mal marquée : Cloned, de Paula Temple. C’est une techno puissante, et en même temps mélodique, qui vient vraiment te toucher à la cage thoracique, qui emporte. Il y a aussi un mélange de genres, avec les percussions, que je n’ai jamais oublié.
Et plus récemment, un morceau que j’écoute en boucle : Dancing Ghost de Chris & Cosey remixé par Carter Tutti. C’est le côté un peu expérimental, vaporeux, et en même temps disco dark qui me plaît. J’aime beaucoup ces contrastes, cet univers vraiment particulier. Je l’ai découvert en regardant un défilé de mode d’Alexander McQueen, et j’ai halluciné : j’ai été scotchée par l’ambiance, les vêtements et la musique.
D’où l’importance que la musique a pour les vêtements, pour la vie en général… La musique est une bande-originale, avec un discours derrière. Pour moi mixer c’est pas juste balancer de la musique et s’éclater. C’est une forme de discours.
Tu parles du lien entre musique et mode : je me demande où tu cherches (surtout que tu es en pleine composition) des inspirations sous d’autres formes que musicales ?
Dans les livres, les arts plastiques, les gens… Je trouve que l’être humain est un art à lui tout seul, je le trouve fascinant. Je le déteste, mais en même temps je l’adore. D’où le côté clair-obscur que j’aime bien avancer dans ma musique, la petite lumière qui va arriver dans la noirceur.
Ça rejoint mon concept, que j’ai appelé Cytochrome, le nom d’un enzyme de l’organisme responsable de la vie et de la mort cellulaire [ce sont des soirées que Diane organise au Terminal, et où elle invite, selon son humeur des artistes rejoignant cette esthétique et ce concept à jouer, NDLR] : je m’inspire aussi de la chimie, de l’organisme et de la psychologie de l’être humain. Mais aussi des différents pays, villages que je peux visiter, de la cuisine, des odeurs, des moments de dépression, de joie…
Je suis beaucoup dans la synesthésie, j’associe des noms à des couleurs, ou à des odeurs. La vie est un art, tout le temps, tous les jours.
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En plus de t’inspirer d’autres créations, d’autres genres musicaux, y a-t-il quelqu’un dont le parcours, la réussite pourrait t’inspirer ?
Un repère ? Oui, enfin, je ne sais pas si je voudrais faire la même chose que lui, mais celui qui m’a beaucoup marquée c’est Yves Saint Laurent, c’est sûr et certain. Dans la créativité, dans sa manière d’amener de l’élégance… Mais aussi dans son côté punk un peu secret vu l’époque où il vivait. Je l’admire beaucoup.
Maintenant imaginons une soirée (à laquelle tu joues ou non, comme tu veux). Quelle serait ta programmation idéale ? Tu as le droit à n’importe quel artiste, de n’importe quel genre !
Ah c’est dur comme question ! Je ne suis pas trop figée dans les artistes. Alors, en ce moment, il y aurait Silent Servant, In Aeternam Vale, et The Black Dog. Je cherche un quatrième, mais je pense que je vais rester là-dessus.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Ce serait bien de pousser l'idée jusqu'à carrément faire un dossier sur les productrices-DJ-compositrices et leur place dans le monde de la musique aujourd'hui (j'en demande peut-être trop :cretin. Y'a pas mal d'articles anglo/saxons à ce sujet - enfin, dans la mesure du possible - mais j'en vois très peu en francophonie. J'avais vu l'autre jour quelques infographies sur les line-up de gros festivals, où on avait retiré tous les groupes composés à 100% d'hommes, et le résultat est assez interpellant.