À ceux qui restent,
À toutes celles et ceux qui ont vu partir un ou une proche, ami·e, membre de sa famille de sang ou de cœur. Lettre à vous et à nous, celles et ceux qui restons, lettre à nos douleurs et nos chagrins.
Pourquoi le deuil est difficile, et pourquoi j’ai eu besoin de nous écrire
Lettre à toi qui comprendras pourquoi j’ai eu besoin de nous écrire à toutes et tous ces mots de résilience et de soutien.
Pourquoi mon cœur est soudain si lourd à porter, au point de tomber dans ma poitrine ? Parce que ceux qui partent embarquent avec eux une part de nous, j’imagine. C’est pour ça que ça tire de partout à l’intérieur, que j’en ai les chairs déchirées.
Tu m’étonnes que ça saigne autant, une telle peine de cœur. En partant, nos êtres chers en arrachent un morceau.
Un souvenir, une part de nous les accompagnent, mais nous, nous qui restons, nous serons à jamais incomplets. C’est ça le vide que je ressens à l’intérieur, c’est cette part de moi désormais manquante, l’espace que tu occupais et qui m’a été arraché.
Deuil et peur d’oublier : je me souviendrai
J’ai peur depuis ton départ, peur que nos souvenirs finissent noyés et délavés par les larmes qui m’envahissent et débordent à chaque pensée qui te ramène à moi.
À ceux qui restent, j’aimerais dire que cette peur est soluble dans l’amour qu’on est tous et toutes capables de partager entre nous, parce que même si le manque nous semble insurmontable, ceux qui partent ne partent pas avec l’amour qu’on leur porte.
Ils ne nous l’enlèvent pas, tout cet amour n’est pas perdu, parce que l’amour ne se divise pas, il se multiplie. Toujours. L’amour n’a ni maître ni possesseur, ceux qui partent ne nous en privent pas.
Faire face au deuil : « on n’est pas obligé d’arrêter d’aimer ceux qui partent »
J’aimerais dire à ceux qui restent qu’on n’est pas obligé d’arrêter d’aimer ceux qui partent, que c’est pas ça qui tarira le manque, je crois. Je crois qu’au contraire, le vide laissé par ceux qui partent peut bien être comblé par l’amour qu’on continuera de leur porter.
J’aimerais dire à ceux qui restent que nous avons bien du courage de réussir cet exploit anodin : continuer à vivre dans un monde bouleversé par l’inacceptable, l’intolérable, l’injuste, la cruauté d’une séparation subie, qu’elle soit brutale ou non.
Je sais que la vie continue, mais bordel, c’est si épuisant de continuer avec elle. D’habitude, elle avance sans nous, quoiqu’il arrive et quoiqu’on fasse ou non, les heures passent et les jours s’enchaînent.
Comme sur un tapis roulant, le temps nous entraîne à son rythme. Mais lorsque quelqu’un part, c’est comme si ce tapis s’emballait, et soudain changeait de sens, de tempo.
Le temps du deuil, une durée transformée
Soudain, chaque pas devient une lutte. J’avais jamais remarqué qu’il était si long, ce trajet que je fais pourtant chaque matin.
J’avais jamais senti qu’elle était aussi lourde, cette porte que je pousse chaque matin.
J’avais jamais compté, mais je suis sûre qu’il y avait ce matin un peu plus de marches que d’habitude, jusqu’à ce palier que je franchis chaque jour.
C’est fou à quel point le monde change instantanément lorsque nos êtres chers partent soudainement. J’avais jamais remarqué que ce monde pesait autant sur mes épaules, je crois que c’est parce qu’on partageait ce poids, et que leur départ bouleverse cet équilibre.
J’aimerais dire à ceux qui restent qu’on peut répartir ce poids entre nous, nous qui restons.
Entre deuil et regret, comment s’en sortir ?
J’aimerais vous dire, j’aimerais nous dire que ce qui pèse bien lourd aussi, ce sont nos regrets. Tous les pas dits, les non-dits, les pas assez dits, pas assez souvent, pas assez clairement.
On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime qu’on les aime, et cette chanson me tirait déjà les larmes quand je croyais avoir le temps de pallier ce manque.
Mais ceux qui partent savent qu’on les a aimés et qu’on les aime encore, j’en suis convaincue. Déjà parce que les mots sont trop faibles pour exprimer un sentiment qui les dépasse aussi facilement. Comment pourraient-ils en douter ?
Ensuite, parce qu’un tel amour n’a jamais eu besoin de messager. Même si je ne l’ai pas assez dit, pas assez clairement, pas assez souvent, je sais que ceux qui partent savent combien je les ai aimés, que je continuerai de les aimer longtemps après leur départ.
Surmonter un deuil, puis aller mieux avec le temps
À ceux qui restent, j’aimerais dire que la douleur s’estompe, que la peine s’atténue, que les larmes tarissent, que les souvenirs reprendront leurs couleurs éclatantes, que les joies reviendront avec le temps.
Même si je l’écris d’abord dans l’espoir de m’en convaincre, au fond de moi, j’en ai déjà la conviction. Même si ça me paraît loin et long, je sais que ça ira.
Même si ceux qui partent nous laissent un trou béant, même si tout ce que je vois en ce moment c’est ce vide incommensurable, je n’oublie pas tout ce qu’on a construit ensemble.
Et ce tout est infiniment plus grand, plus solide, plus puissant que le vide laissé par leur départ.
Ceux qui partent étaient une part de nous, mais nous qui restons, nous gardons aussi une part d’eux.
L’étape du deuil la plus difficile, l’acceptation
À ceux qui restent, je voudrais dire que le plus dur n’est pas de continuer à vivre sans ceux qu’on aime, mais c’est d’accepter qu’il va falloir continuer ainsi.
J’ai l’impression de trahir ceux qui sont partis si j’accepte leur absence. Alors, je m’emmure dans la colère, le déni et les larmes pour résister. Ma vie sans toi ? Regarde-moi lutter. Si je continue, c’est à mon corps défendant. Accepter ? Jamais.
À ceux qui restent, je voudrais dire que cette lutte épuise, et que l’acceptation n’est pas et ne sera jamais une trahison de l’amour que l’on porte à ceux qui nous quittent.
À ceux qui restent, peu importent vos clochers, vos croyances ou vos divinités, peu importe où vont ceux qui partent : vous n’êtes pas seul·es. Et si je me sens orpheline ce matin, je sais pourtant que c’est un leurre.
L’absence de ceux qui partent met en lumière le nombre, la force et l’amour de tous ceux qui restent. Et je voulais que vous le sachiez, vous, nous qui restons : oui, ça finira par aller.
Être heureux après un deuil, et continuer à vivre
À toi, qui es parti. J’ai un air dans la tête depuis, c’est cette superbe chanson d’amour de Ben Mazué, en version acoustique : Nous deux contre le reste du monde.
Je trouve qu’elle parle de nous, de la puissance du quotidien, de ma solitude depuis ton départ.
Mais depuis, dans ma tête, je ne fredonne plus les mêmes paroles. Désormais, j’entends « Nous tous et le reste du monde ».
Nous tous, nous toutes et le reste du monde continuerons à vivre malgré ton absence, malgré le poids du chagrin. On le partagera pour alléger la charge le temps que ça passe.
Je ne sais pas comment terminer cette lettre à ceux qui restent. C’est à chacun, chacune de venir y mettre son propre point final, je pense.
Moi, je n’en suis pas encore capable, à l’heure où j’écris ces mots.
Parce que c’est vraiment dur de faire partie de ceux qui restent.
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