Le 17 juin 2020
« On prenait un verre avec des potes et on a eu un débat sur les mots pédé et gouine. Dans le groupe, certains pensaient que c’était insultant, qu’il ne fallait pas le dire, et d’autres non.
Ça m’a fait beaucoup réfléchir, et c’est de là qu’est née l’idée de la marque Super Nana Pride. »
Olivia Ledoux, 27 ans, est la créatrice de la marque Super Nana Pride, qui propose des vêtements détournant des insultes LGBTphobes pour en faire des logos.
Super Nana Pride, la marque qui détourne les insultes LGBTphobes
« Pédé », « gouinasse », « fiotte », « tapette », « tafiole »…
Une fois arborées sur soi, ces insultes perdent de leur portée.
Plutôt que de les subir, Olivia a pris le parti de se les réapproprier :
« Ce sont des étiquettes qu’on nous a collées, elles ne vont pas disparaître alors autant en jouer en essayant d’en faire quelques chose de de beau, de pop !
C’est de la provocation, une façon de vider les mots de leurs contenus, afin que que ces insultes n’en soient plus pour les prochaines générations. »
Super Nana Pride a rencontré un franc succès auquel Olivia ne s’attendait pas. Au point que des militants et militantes d’autres causes lui ont demandé de leur créer des t-shirts reprenant les insultes auxquelles ils et elles font face !
Tu peux retrouver les produits de Super Nana Pride sur leur compte Instagram @supernanapride et les commander sur leur site web.
Les insultes homophobes, encore tristement d’actualité en 2020
Dans une société où l’homophobie et plus largement la LGBTphobie sont malheureusement bien présentes, nous avons encore besoin d’initiatives telles que celle d’Olivia.
Selon le rapport 2020 de Stop homophobie, 47% des manifestations LGBTphobes se manifestent par des insultes.
Le site Nohomophobes, qui compte en temps réel l’utilisation d’insultes homophobes sur Twitter, a relevé la semaine dernière en moyenne plus de 2000 utilisations du mot « pédé », près de 300 de « tapette » et une cinquantaine de « gouine » par jour.
Des chiffres à nuancer, toutefois, car il est difficile de savoir ce qui relève de l’insulte ou de la réappropriation de ces mots.
Une réappropriation qui n’est pas toujours bien prise en compte par la régulation des discours de haine sur Internet.
La récente loi Avia, qui entend modérer les discours de haine sur Internet, a ainsi bloqué plusieurs comptes Twitter et Facebook de militants ayant utilisé les termes de « pédé » ou « gouines ».
En réaction, le militant Julien Ribeiro a créé trois filtres pour accompagner sa photo de profil : « C’est pas la loi Avia qui me rendra moins PD », « moins gouine » ou « moins pute ».
Tu peux voir ce filtre sur ce Tweet de l’acteur Félix Maritaud :
https://twitter.com/MaritaudF/status/1264141562566582273?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1264141562566582273&ref_url=https%3A%2F%2Ftetu.com%2F2020%2F05%2F27%2Ffacebook-et-twitter-bloquent-des-comptes-de-militants-pour-avoir-ecrit-pede%2F
Insultes homophobes et discrimination
La signification historique des insultes LGBTphobes est souvent très péjorative.
Par exemple, pédé est une abréviation de « pédéraste », qui désigne une relation sexuelle « éducative » entre un homme adulte et un jeune garçon dans la Grèce antique. Plus qu’une simple relation homosexuelle, le terme est teinté de pédophilie.
Le mot gouine apparaît au 17ème siècle pour désigner une « femme de mauvaise vie », une « coureuse », selon le dictionnaire de l’Académie française.
J’ai interrogé la sociologue et autrice de l’essai Injuriez-vous ! Julienne Flory sur le caractère discriminant des insultes homophobes :
« Le propre de n’importe quelle insulte, c’est de mettre à distance l’autre et de montrer qu’il ou elle n’est pas comme nous, qu’il ou elle n’appartient pas au même groupe.
L’insulte pédé, par exemple, a du sens dans une société hétéronormée où l’homme homosexuel déroge à cette norme.
Alors que la représentation de la masculinité se fonde souvent sur le rejet du féminin, on leur reproche également de ne pas être assez virils et trop « femmes », notamment à cause de la représentation négative de leur sexualité jugée « passive ». »
Le détournement des insultes homophobes pour reprendre le pouvoir
Pourquoi alors certains, comme Olivia avec Super Nana Pride, s’approprient-ils ces mots au sens si péjoratifs ?
J’ai posé la question à Julienne Flory :
« Une insulte peut faire l’objet d’une réappropriation par un groupe ou une communauté, et ainsi changer de sens.
Détourner des insultes, c’est retourner l’arme de l’oppresseur contre lui. Les insultes deviennent une revendication, un étendard, une fierté.
La réappropriation donne du pouvoir : elle permet de s’identifier à un groupe et offre une visibilité sur le plan médiatique et politique. »
Les termes et les symboles discriminants font depuis longtemps l’objet d’une réappropriation par la sphère militante LGBT.
Dans les années 1970 voyait le jour le mouvement radical lesbien des Gouines rouges. Dans les années 1990, l’association de lutte contre le sida Act Up brandissait le terme de pédé comme un étendard.
Aujourd’hui, l’association pour la visibilité des lesbiennes Paye ta gouine reprend à son compte une insulte lesbophobe.
La réappropriation des insultes ne se cantonne pas aux combats LGBT. Tu as sûrement entendu parler du Manifeste féministe des 343 Salopes, dont les signataires affirmaient haut et fort, en 1971 avoir vécu un avortement — ce qui était illégal à l’époque !
Le détournement des insultes les vide de leur sens
Le détournement d’insultes à des fins militantes fonctionne si bien qu’à force d’être repris, certains mots insultants ont perdu toute leur portée et changé de sens !
C’est le cas de « queer », qui ne t’évoque probablement pas une insulte. Il est souvent utilisé comme un mot-parapluie englobant plusieurs orientations sexuelles et identités de genre.
Mais ce mot était à l’origine une insulte contre les hommes gays au 20ème siècle : il signifiait « bizarre », « étrange », « malade ».
Depuis, le terme a fait l’objet d’une telle réappropriation qu’il a perdu, pour beaucoup, son sens offensant.
Il désigne même un champ d’études à part entière, les queer studies, et a même donné son nom à la génialissime émission de téléréalité Queer Eye !
Qui peut utiliser les insultes homophobes ?
Des termes LGBTphobes peuvent être utilisés par la communauté pour reprendre le pouvoir… mais cela signifie-t-il que tout le monde peut dire pédé, gouine, tafiole ou tapette sans vexer personne ?
Tu t’en doutes, la réponse est non, tant la signification de ces mots varie selon qui l’utilise, dans quel contexte, et pourquoi !
Beaucoup considèrent que ces mots ne peuvent être utilisés que par les personnes concernées, ou à la limite par leurs proches, comme mon ami Bastien :
« J’utilise les mots pédé et gouine mais toujours de manière bienveillante, jamais comme une insulte.
Ces mots ont longtemps été utilisés pour stigmatiser les personnes homosexuelles et les utiliser à notre tour permet de les vider de leur sens négatif.
Par contre, si quelqu’un d’autre qu’un ami proche me traite de pédé, je trouverais ça offensant ou irrespectueux, ou du moins maladroit, parce que ce mot est l’héritage de l’oppression d’une société hétéronormée sur une minorité sociale. »
C’est ce qu’explique Camille dans son podcast Pourquoi je peux dire pédé et pas toi, dans lequel elle expose les raisons qui font que ce mot n’a pas le même sens et le même poids dans sa bouche, en tant que personne lesbienne, que dans celle des autres.
Avec sa marque Super Nana Pride, Olivia estime quant à elle que des personnes qui soutiennent la cause LGBT peuvent porter ses t-shirts aux logos provocants :
« Mon objectif est que des gens en-dehors de la communauté puissent aussi porter ces vêtements. Plus de personnes en porteront, moins ces mots auront de portée.
J’ai d’ailleurs eu des retours de personnes hétéro qui les portent par solidarité avec la communauté LGBT : en portant mes t-shirts, ils ont pu avoir de vraies prises de conscience en se rendant compte des regards des gens sur nous. »
Détourner des insultes, un acte qui dessert la cause ?
D’autres personnes concernées, comme mon ami Jordan, sont plus réservés quant à l’emploi des termes LGBTphobes, même détournés. Il me confie :
« J’utilise parfois le mot pédé mais c’est de plus en plus rare, j’essaye de l’éliminer de mon vocabulaire.
De manière générale je pense qu’il ne faudrait plus utiliser ce genre de mots, même entre homos, parce qu’on s’est tellement battu contre les insultes homophobes ! »
Olivia me raconte qu’une grande partie des retours négatifs sur sa marque proviennent de personnes blessées par l’utilisation de termes qu’ils se battent pour faire disparaître.
Et toi, penses-tu que détourner des insultes est un bon moyen de lutter contre la LGBTphobie ? Viens m’en parler dans les commentaires !
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