Avant de lire ce témoignage, je préfère te prévenir : il évoque des thématiques comme l’anorexie, la boulimie et l’auto-mutilation.
Si le sujet des scarifications te concerne ou concerne tes proches, Psychologies te propose une liste de contacts utiles, qui peuvent t’aider.
De nombreux numéros indiqués sur la page gouvernementale indiquant que faire en cas de crise suicidaire peuvent aussi te venir en aide.
Ton/ta généraliste ou ton/ta psy saura également te conseiller et t’aiguiller vers de potentielles solutions.
Tu peux aussi lire le témoignage de Mathilde sur le sujet.
Si le sujet de l’anorexie ou de la boulimie te concerne, ou concerne un ou une de tes proches, un numéro vert existe, le 0810 037 037.
En l’appelant tu tomberas sur la ligne d’écoute de la fédération nationale d’associations liées aux troubles des conduites alimentaires, et tu pourras parler à des professionnels (psychologues, médecins, ou membres d’associations).
En parler, c’est l’important, alors n’hésite pas à le faire auprès de ton médecin traitant ou d’un ou une psychologue, ou de n’importe quel proche ou parent avec qui tu te sens à l’aise d’en discuter !
On me l’a trop souvent répété, je n’ai pas à me plaindre : je corresponds aux standards de beauté.
Sauf que si, moi aussi j’ai le droit de me plaindre, parce qu’avant de voir mon corps comme il est vraiment — grand, plutôt mince et plutôt musclé — je me suis trouvée grosse, alors même que je faisais une douzaine de kilos de moins qu’aujourd’hui.
Je me voyais affreuse, difforme, repoussante et j’ai haï ce corps « qui rentre dans les normes ».
Mon corps « dans les normes » et le regard des autres
Je suis assez grande (1m72), je suis mince (je fais un 36), je suis assez sportive (boxe anglaise, twirling, course à pieds…) et donc musclée.
J’ai pas mal de poitrine (je fais un 85D), j’ai les cheveux bruns et bouclés, j’ai la peau blanche, je n’ai pas de cellulite, j’ai des fesses rebondies.
« Tu n’as pas à te plaindre. »
Cette phrase, je l’ai entendue des tas de fois : de la part de ma mère d’abord, de la part de mes amies beaucoup, de ma grand-mère quelques fois.
À chaque fois que j’ai pu faire le moindre commentaire négatif sur mon physique, ou bien chaque fois j’ai essayé de parler de mes complexes, de mon mal-être.
Il y a les fois où j’ai pu faire les magasins avec des copines et où je n’aimais pas ce que j’essayais, j’avais toujours l’impression que la tenue me grossissait encore plus.
Quand on me demandait pourquoi je ne prenais pas tel ou tel vêtement et que je m’expliquais, on me disait toujours que je ne n’avais pas à me plaindre, que c’était bien pire pour d’autres, que j’exagérais.
Plutôt que d’essayer de comprendre, ce que je disais était forcément faux, exagéré, ou pour attirer l’attention.
Je trouvais ça assez injuste mais je n’osais pas rétorquer, parce que j’étais très peu sûre de moi.
J’avais l’impression de déranger ou d’embêter les gens, et j’avais l’impression que personne ne me comprenait, j’ai donc assez vite arrêté de me plaindre.
J’essayais de relativiser et j’ai fini par me convaincre que les autres avaient plus le droit que moi de se plaindre ou de parler de ce qui n’allait pas.
Je me suis renfermée et j’ai gardé mes complexes et mes souffrances pour moi, ce qui n’a fait que les empirer.
En vouloir à mon corps dans les normes
La première fois que j’en ai voulu à mon corps, j’avais 9 ans, j’étais en CM1.
J’étais chez le médecin et on m’annonçait que j’avais une scoliose, que j’allais donc devoir porter un corset toutes les nuits (et par la suite ce sera même jour et nuit en dehors des cours) et ce jusqu’à la fin de ma croissance, soit pendant près de 5 années.
Ça a été dur à accepter, même si mes parents étaient très présents. C’était douloureux, je me sentais différente des autres, il y avait tout le temps des rendez-vous médicaux, des radios, des moulages de corset, des rectifications.
En plus de ça, le fait de le porter si longtemps a modifié mon corps, creusé ma taille, changé la façon dont je me tenais.
J’en ai ensuite voulu à mon corps à cause de l’appareil dentaire que j’ai dû porter 1 an, puis à cause des lunettes, pour la myopie. J’avais un peu d’acné aussi, le combo parfait pour perdre confiance en soi et se trouver moche.
Et puis, le jour où mon rapport au corps est devenu vraiment compliqué, c’est à l’âge de 13 ans.
J’avais des copines populaires, mais pas toujours bienveillantes, voire parfois carrément méchantes.
J’avais une maman complexée, qui se trouvait toujours un peu trop grosse, alors qu’à mes yeux elle ne l’était pas, et qui me répétait souvent de faire attention à ce que je mangeais, parce qu’à l’adolescence on prend facilement du poids.
Je faisais aussi du twirling [un mélange de danse, de gymnastique et de maniements de bâtons, NDLR], depuis que j’étais toute petite, un sport qui exige de se mettre en justaucorps devant tout le monde.
Et puis de nature, j’avais un caractère très perfectionniste, je voulais plaire à tout le monde, j’avais peur de l’échec et j’aimais bien tout contrôler.
C’était une époque où j’étais très peu sûre de moi, je voulais la validation des autres, avoir un petit copain, et le collège n’aidait pas.
J’ai commencé doucement à manger moins, juste pour me prouver que j’avais le contrôle sur toute ma vie, que je pouvais décider d’être qui je voulais.
J’ai perdu du poids, alors que j’étais déjà en bas des courbes
, je me sentais euphorique, plus forte qu’avant. Plus le chiffre descendait sur la balance, plus je voulais qu’il descende.
Mais plus il descendait, et plus mon reflet dans le miroir semblait grossir et enfler…
Les premiers symptômes de mon anorexie mentale
Pour perdre plus et plus vite, j’ai dû diminuer toujours plus, jusqu’à ne me nourrir plus que de demi-pommes et de bouchées de pain.
Les gens ont commencé à le remarquer, mais j’avais toujours une bonne excuse : « j’ai trop mangé à tel ou tel repas » ou « c’est mon corset qui me réduit l’appétit ».
Au bout de quelques mois, mon IMC était en-dessous de 16 et je commençais à faire des malaises à répétition. Je n’avais plus mes règles depuis quelques temps déjà et suivre un cours de sport en entier était devenu impossible.
Les valeurs normales moyennes d’IMC (indice de masse corporelle calculé en faisant un rapport poids/taille) sont comprises entre 18,5 et 23 chez la jeune fille.
S’il tombe en-dessous de 17,5 on parle d’anorexie mentale modérée, sévère en dessous de 15 et critique sur le plan vital en-dessous de 12,5.
Les symptômes d’une anorexie mentale sont les suivants :
- Amaigrissement progressif, parfois brutal et déni de celui-ci et des besoins nutritionnels
- Peur de grossir alors que le poids est inférieur à la normale, ou plaisir de maigrir
- Altération de la perception du corps.
- Aménorrhée (absence de règles) primaire (pour les pré-pubères) et secondaire (pour les post-pubères qui ne prennent pas la pilule contraceptive)
- Hyperactivité physique et intellectuelle.
- Isolement social.
Embrumée par ma maladie, j’avais l’impression que je contrôlais tout, ma vie semblait parfaite, je sortais avec mon premier petit copain, j’avais des amis « populaires » et des notes excellentes.
Mais à 14 ans, le rythme est devenu difficile à tenir. Je perdais facilement mes cheveux et mon corps réclamait sans cesse de la nourriture.
Tout contrôler devenait impossible.
Je commençais à profondément détester mon corps, qui j’étais, l’image que je renvoyais. Mes parents voyaient bien que je mangeais peu, mais j’avais l’excuse du corset qui réduisait mon estomac, excuse appuyée par les médecins…
Quand je craquais, que je mangeais quelques biscuits, c’était pour moi un profond échec et mon corps privé pendant de long mois essayait de stocker le peu qu’il recevait.
C’est devenu une obsession, je comptais chaque calorie, j’ai cherché des solutions extrêmes pour maigrir sur des forums Internet, et comme l’option « sport à outrance » n’était pas possible, j’ai cherché plus loin.
J’ai essayé de me faire vomir, encore et encore, jusqu’à enfin y arriver. Pour moi, j’avais trouvé LA solution (ce n’est évidemment pas le cas).
C’était d’abord occasionnel, quand j’estimais avoir trop mangé, et puis c’est devenu de plus en plus fréquent, à chaque contrariété, à chaque émotion problématique.
Il existe deux formes d’anorexie mentale (source).
- L’anorexie mentale restrictive non-vomitive : le sujet contrôle en continu sa prise alimentaire insuffisante
- L’anorexie mentale avec crises de boulimie : alternance de périodes de contrôle de la prise alimentaire et de période de prises alimentaires compulsives et excessives, suivies de mécanismes compensatoires : vomissements, prise de laxatifs…
Ma gorge a commencé à me brûler, j’avais mal au ventre et j’avais régulièrement des palpitations. Parfois, mon corps se faisait vomir tout seul, par habitude, je me dégoûtais, je me haïssais.
Et le décès d’une personne proche a fini de m’enfoncer.
Je refusais des sorties entre amis quand je savais qu’on allait manger, que ce soit un fast-food, un cinéma ou parfois un anniversaire.
Les mois passaient et mon poids refusait de descendre plus bas, j’ai tout essayé. Mon métabolisme était beaucoup trop à plat.
Mon anorexie et moi : le soutien de mes proches
Désespérée, j’ai commencée à exprimer ma colère et ma détresse en me mutilant les poignets. Je voulais de l’aide, mais je refusais de parler.
J’ai repris doucement un peu de poids, je ne sais pas trop comment, et pour moi c’était la fin du monde. J’avais l’impression que tout m’échappait, que je n’étais bonne à rien.
Ça a duré comme ça un petit bout de temps. Mais juste avant ma rentrée en seconde (j’avais bientôt 16 ans), ma mère m’a dit qu’elle savait tout.
Elle avait regardé des émissions et l’évidence lui était apparue : j’étais malade, je souffrais sûrement d’anorexie. J’ai fondu en larmes, et on est restées un moment là, à pleurer toutes les deux.
Ce jour là, j’ai ressenti un soulagement immense, comme la sensation presque physique que l’on m’enlevait un poids terrible des épaules.
J’étais partagée entre la honte, la peur d’avoir déçu mes parents et un bonheur indescriptible. À ce moment là, j’ai su que tout allait changer.
J’ai par la suite vu des médecins et des psychologues, jusqu’à trouver la bonne, celle qui m’a vraiment aidée.
Tout le monde a été très patient avec moi, et mes parents ne m’en ont jamais voulu. J’ai mis du temps à accepter que j’étais vraiment malade.
Les vomissements et les scarifications se sont doucement arrêtés, même si je sais qu’ils peuvent revenir parfois et qu’il faut que je reste prudente.
Je me suis inscrite à la boxe anglaise, je me suis mise tranquillement à la course à pieds et au renforcement musculaire.
Je suis rentrée au lycée, où j’ai rencontré des tas de nouvelles personnes, j’ai appris à gérer mieux mes émotions, je suis devenue végétarienne, j’ai coupé mes cheveux et j’ai légèrement changé de look.
Toute ma vie a été chamboulée et c’est exactement ce dont j’avais besoin, même s’il y a bien sûr eu des moments difficiles.
Aujourd’hui j’accepte mon corps la plupart du temps, et parfois même, je l’aime.
Guérir de l’anorexie mentale : en parler pour aller mieux
Je suis la première à avoir beaucoup de mal à parler de moi, de ce qui ne va pas. Mais si j’avais osé en parler avant, ça m’aurait évité bien des problèmes, qui aujourd’hui encore, à presque 18 ans, ne sont pas totalement réglés.
Je n’osais pas non plus parler parce que je pensais qu’il y avait des gens qui souffraient plus que moi et que donc je ne méritais pas d’aide, mais ce n’est pas parce que d’autres souffrent plus que toi que tu ne souffres pas.
Si tu ne peux pas en parler à tes parents, tu peux en parler à un prof, à l’infirmière, à une grande sœur, un grand frère, une tante, un cousin.
Écrire m’a aussi fait beaucoup de bien, même si j’ai parfois pu écrire des choses horribles sur moi-même, ça m’a permis de prendre du recul et d’extérioriser.
J’ai voulu raconter mon histoire, pour peut-être aider quelqu’un, pour montrer qu’on peut aller mieux.
Quand j’ai commencé à m’en sortir, j’ai lu beaucoup de témoignages qui m’ont aidés, mais comme aucune histoire n’est similaire, je pense que plus il y a de témoignages différents, mieux c’est !
Si tu souhaites lire plus de témoignages sur l’anorexie sur madmoiZelle, voici quelques liens :
À lire aussi : À 19 ans, j’ai réussi à vaincre l’anorexie
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