Aux éditions Fayard
« Trente ans, je suis une femme de ma famille, cela signifie "paye". » La narratrice de ce roman est victime d’un maléfice tristement ordinaire : le mauvais sort qu’on lui a jeté, devrait la conduire, comme il l’a déjà fait avec sa mère, sa grand-mère et sa soeur, à une vie d’épouse soumise.
Mais c’est sans compter le regard scrutateur de notre personnage, une écrivaine dont le passe-temps principal, depuis toujours, semble être l’observation (en silence) de son entourage.
MERCI PAPA MERCI MAMAN
C’est essentiellement sur les relations entre hommes et femmes que la narratrice pose son regard cynique et distant.
Le premier à en pâtir est son compagnon, l’âne (sans majuscule, à prononcer avec une sorte de désintérêt dans la voix), la figure masculine la plus épiée de ce roman. Celui-ci ne laisse pourtant paraître ni signe manifeste de bêtise, ni volonté de mal agir, simplement une mollesse certaine qui n’est pas sans rappeler à son amie les figures du père et du grand-père. Rien de grave donc. Non, le grand tort de l’âne, c’est d’être celui qui, selon toute vraisemblance, scellera le sort de la narratrice en la faisant, un jour peut-être, devenir une épouse.
Alors elle va passer le moindre de ses gestes au crible et finir par repérer toutes ces petites choses insupportables et constitutives d’un être humain normal. C’est avec délice que j’ai lu les petites réflexions cruelles, ces petites piques incessantes, dites ou tues, de la narratrice.
Néanmoins, sans bête certitude, celle-ci livre un regard incertain sur ses hommes, comme lorsqu’elle parle du père – pourtant guère plus brillant que l’âne : « Je n’ai pas encore décidé si le père deviendra dieu ou roi à la fin du livre. Je m’en laisse la possibilité ».
MAIS vivre sans tendresse, On ne le pourrait pas…
C’est aussi un regard sur les relations parents/enfants que nous livre Claire Castillon. En effet, dans les souvenirs d’enfance de la narratrice, il est surtout question de la façon dont le parent mène sa vie d’époux/épouse et de parent à travers le regard de l’enfant.
Dessous, c’est l’enfer aurait pû être une démonstration sans âme de combien il est difficile d’apprendre à aimer sans exemple.
Pourtant, malgré les désillusions des unes, les maladresses des autres, cette famille reste terriblement humaine. Les remarques cinglantes de la mère, la lâcheté du père ou les perversions du grand-père sont tempérées par l’affection que porte une petite fille à sa grand-mère, les souvenirs des pauses pipi sur l’autoroute, et les mots d’enfants (« j’aimerais être une girafe pour garder le goût du bonbon plus longtemps »). Il y a aussi, derrière "l’enfer", beaucoup de tendresse.
Enfin, malgré sa plume tranquille et son ton distant, Claire Castillon nous fait ressentir violemment le sentiment d’impuissance de son personnage à sauver les femmes de sa vie d’homme peu bienveillants : sa grand-mère d’abord, d’un fils et d’un mari indignes qui décident de l’envoyer à l’hospice, et sa soeur, plus tard, sur le point d’épouser un homme agressif et grossier…
Entre souvenirs d’enfant et déceptions d’adulte ("Un mari, c’est donc ça, pense-t-elle, une déception parmis d’autres, au moins la vie m’aura enseigné quelque chose"), c’est l’histoire de sa vie, de son rapport aux hommes et aux femmes qui l’ont faite que la narratrice écrit.
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Les Commentaires
Jusque là, j'aime. Il faut dire que je suis littéralement fan du style Castillon ( "Le Grenier" a été une révélation), le rythme effréné, l'humour là où on ne l'attend pas, etc..
Bref. Je repasse dès que j'ai terminé (mais je fais durer la lecture, pour le plaisir) !