Cette semaine dans Premier Rang, on se plonge dans ce que l’Elevated horror croisée avec le genre du slasher peut faire de mieux, avec le nouveau film estampillé A24.
Petit point vocabulaire pour nos chers lecteurs les moins familiers du genre : l’Elevated horror désigne ces films d’horreur avec un fort message artistique, politique ou social. Quant aux slashers, ils mettent en scène un tueur éliminant les membres d’un groupe.
Zoom sur X, petite pépite capable de dresser les cheveux sur votre tête tout en vous bouleversant d’émotion. Le film est actuellement en salles.
X, de quoi ça parle ? (sans spoilers)
Le Sud des États-Unis, les années 1970, la route. Du sexe et du sang. Un hommage aux plus grands classiques du cinéma d’horreur, façon Massacre à la tronçonneuse ou La Colline a des yeux.
C’était ce que X nous promettait. C’est ce qu’il nous a donné.
Or, les choses ne s’arrêtent pas là, car le film de Ti West a fait bien plus : il nous a beaucoup surpris, émus, et fait réfléchir. Des jours après l’avoir vu, le film continue à nous hanter, à nous questionner et à prendre sens.
Mais d’abord, X, de quoi ça parle ?
À la fin des années 1970, une équipe de tournage loue une maison isolée au fin fond du Texas pour y réaliser un film porno. À la tombée de la nuit, les propriétaires des lieux — un couple de personnes tellement âgées qu’on se demande comment ils tiennent encore debout — surprennent les cinéastes amateurs en plein acte… Le tournage vire brutalement au cauchemar.
X va vous surprendre (critique et analyse avec spoilers)
X remplit toutes les attentes que l’on place en lui. Dès les premières minutes, la bande originale, les costumes, les décors et l’esthétique vintage de l’image nous plongent dans une ambiance délicieusement seventies.
Après une traversée de grandes routes texanes, les personnages arrivent à destination et commencent à tourner les différents plans de leur film X. On assiste à la création d’un film dans le film : du travail des techniciens aux discussions pendant les pauses, en passant par les moments de tournage.
Ainsi, là où X est un film d’horreur très particulier, c’est qu’il ne se passe pratiquement rien de plus pendant toute la première heure. Le métrage prend son temps : on sait qu’on est ici pour avoir peur, pour voir les personnages se faire étriper un par un, mais on se demande pourquoi la boucherie met autant de temps à commencer.
Or, ce rythme particulier n’est ni accidentel, ni une faiblesse de scénario. Au contraire. Si le réalisateur déjoue nos attentes et laisse monter une certaine frustration en nous, c’est pour faire comprendre qu’au-delà d’un simple crossover tape à l’œil et vendeur entre du sexy et du sang, X porte une réflexion profonde sur les liens entre le cinéma d’horreur et le cinéma porno.
On pourrait s’attendre à voir un film particulièrement explicite en matière de sexe et de violence. Pourtant, c’est dans la montée en tension et la mise en abyme que le réalisateur excelle. À la monstration, il préfère la suggestion… Jusqu’à la deuxième partie, où le désir et la violence explosent conjointement, et où le film prend soudainement tout son sens et sa profondeur grâce à son personnage de nymphomane tueuse.
Un film d’horreur, et de désir (toujours avec spoilers !)
Tout ce travail de rythme et de narration fondée sur l’attente et la frustration du spectateur est intrinsèquement lié au personnage de Pearl.
Rongée par un appétit sexuel inassouvi à cause d’un corps que plus personne ne désire et de l’état de santé de son mari au seuil de la mort, cette dame âgée se transforme en bête meurtrière. À défaut de pouvoir exprimer son désir dans le sexe, Pearl tue ceux qui y ont encore droit et manifestent du dégoût envers elle.
Rarement on aura vu un slasher dont le tueur est aussi intéressant, ambivalent et poétique. Le personnage est aussi tragique que flippant. On vous garantit qu’il vous fera frissonner (voire crier) plus d’une fois. Le film regorge de trouvailles de mise en scène aussi glauques et dérangeantes que touchantes.
Plutôt que de le laisser dans les recoins sombres ou dans le hors-champ, le réalisateur s’attarde sur le monstre. On pense au moment où Pearl se maquille avant de tuer, dans un geste désespéré pour être regardée, plaire, partager de la tendresse et de la sensualité malgré sa laideur…
En vain, car la seule issue dans une société obnubilée par le validisme, la jeunesse et les normes de beauté, c’est la mort. Pearl rend la violence qu’elle subit en tant que marginale, à l’écart de ces normes.
Si le personnage est aussi terrifiant, c’est qu’on ne peut s’empêcher d’éprouver de l’empathie pour lui. Parmi les raisons de cette empathie étrange et dérangeante, il y a notamment l’un des coups de génie du film. En effet, l’actrice de Pearl est également celle qui interprète Maxine, ce personnage de jeune femme à la beauté hypnotique.
Icône de désir enflammant un film pornographique, incarnation de beauté aujourd’hui, Maxine sera Pearl demain. La jeunesse et la beauté ne sont pas éternelles. La monstruosité guette. Elle attend patiemment la vieillesse.
Premier Rang, c’est la chronique sans langue de bois de Maya Boukella, journaliste pop culture chez Madmoizelle, dans laquelle elle vous conseille le film à voir au cinéma cette semaine. Un rendez-vous hebdo pour dénicher les pépites du grand écran, en ne gardant que le meilleur des films à l’affiche et des sorties de la semaine.
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Crédit de l’image à la Une : © A24
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