« Les meufs, juste parce qu’elles sont nées meuf, elles n’ont pas le droit de respirer », constatent les deux streamers sur la chaîne « Rebeudeter », le 20 décembre 2022 lorsqu’ils rendent public leur nouvel outil. «On ne pouvait pas continuer notre activité sans essayer de faire quelque chose à notre échelle », argumentent-ils, dénonçant le sexisme et la misogynie qui irriguent la plateforme.
Avec cette problématique en tête, les Twitcheurs ont créé un bot permettant de partager la modération sur plusieurs chaînes. Le principe est simple : lorsqu’un spectateur est banni du chat d’une chaîne pour sexisme ou racisme, il est automatiquement banni pendant 24h des autres chaînes ayant rejoint l’initiative « Place de La Paix ». Tout est automatique et sans limitation de partage entre les créateurs et créatrices de contenus. Par la suite, afin d’éviter toute erreur, une équipe de modérateurs est chargée de vérifier si la sanction est justifiée et la prolonge pour une durée indéterminée.
Ainsi, loin de n’être qu’un bannissement limité et formel, cette modération coordonnée implique que les comportements dans un chat peuvent avoir des conséquences sur toutes les chaînes auxquelles un ou une commentatrice malveillante participe.
Réinscrire la responsabilité de la lutte contre le cyberharcèlement dans les mains de Twitch
Dès son annonce, l’outil a été salué par des grands noms de la scène Twitch française comme Maghla, Deujna ou Le Joueur du Grenier. Dans le même temps, Nat’ali, streameuse et féministe, émet des réserves face à une initiative prise par des individus et veut réinscrire la responsabilité de la protection des créatrices de contenus dans les mains de Twitch. « Le problème que j’ai avec ce genre d’outil, c’est que les individus peuvent faire le choix de garder et de laisser ce qu’ils veulent ». La streameuse craint que l’équipe de modération soit bénévole, sans formation adaptée au sujet des dominations de race ou de genre et confrontée à une masse colossale de commentaires à arbitrer. « Si Twitch s’en occupait, ils payeraient des gens et ce serait un peu mieux cadré », estime la streameuse qui voit, ici, les limites du bénévolat, mais également le bénéfice que la plateforme peut en tirer puisque, sans avoir eu à investir financièrement dans le projet, Twitch pourra bénéficier d’une meilleure régulation.
L’engouement autour de « Place de la Paix » met en lumière les problèmes de modération de Twitch car, légalement, le site est responsable des contenus à caractère haineux qu’il héberge. Contacté par Madmoizelle, Twitch ne commente pas l’initiative « Place de la Paix » et affirme lutter activement contre le harcèlement : « Twitch aspire à faire de sa communauté l’endroit le plus sûr et le plus inclusif possible pour que chaque utilisateur puisse créer et profiter du divertissement en direct [et] agit dans le cadre de tous les incidents constatés et vérifiés de harcèlement ou d’abus sexuels, et fait continuellement évoluer ses politiques, ses technologies et ses outils de signalement afin de protéger la communauté ».
En l’absence de publication des chiffres relatifs à ces incidents et à leur résolution effective par la plateforme, cette affirmation est impossible à vérifier. Twitch indique à Madmoizelle que 80% des signalements sont résolus en moins de dix minutes sans expliciter clairement les modalités de résolution.
Des outils de modération peu adaptés
Aujourd’hui, le réseau social numéro un du streaming dispose de peu d’outils pour préserver les minorités de race et de genre de violences et de harcèlement en ligne.
Parmi eux, la « liste de bannissement », un outil proche de « Place de la Paix », mis en place en juillet 2022. Cependant, cette liste ne peut se constituer que manuellement à l’initiative de chaque streamers ou streameuse qui, ensuite, ne peut la partager qu’auprès de 30 autres créateurs et créatrices de contenus.
Autre initiative : la vérification de l’identité des utilisateurs du chat par SMS. Cette manipulation empêche les spectateurs et les spectatrices de commenter un live sans avoir enregistré leur numéro de téléphone auprès de Twitch. Pour la streameuse Nat’ali qui a utilisé ce système, cette mesure est trop coûteuse pour les Twitcheurs et Twitcheuses et permet surtout à la plateforme de se défausser de sa responsabilité :
« J’ai utilisé la vérification du numéro pendant deux mois et j’ai perdu des abonnées. En tant que créatrice de contenus, je me retrouve à choisir de perdre des revenus pour pouvoir me protéger. » Malgré le stress de voir arriver des messages haineux, elle confie préférer laisser le chat ouvert à toutes et tous.
Pour fournir des outils pédagogiques à sa communauté, Twitch a créé deux vidéos afin de prévenir le harcèlement en ligne et donner des outils pour le combattre. Mises en ligne le 15 février 2022, ces deux capsules pâtissent cependant d’un manque criant de visibilité puisqu’elles ne cumulent pas plus de 1 200 vues sur Youtube.
Grâce à leurs abonnements, leurs dons et le visionnage de publicités, les spectateurs et spectatrices représentent la principale source de revenus de la plateforme. Ainsi, limiter les actions d’une personne toxique permet de rendre la communauté plus saine mais, pour Twitch, c’est aussi prendre le risque de perdre de l’argent.
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Visuel de Une : Unsplash / Caspar Camille Rubin
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Les Commentaires
Le problème c'est que l'Etat n'a pas les moyens nécessaires pour enquêter sur chaque cas de harcèlement / mauvais comportement en ligne. Mais la seule vrai solution est là. Plus de moyens, des enquêtes et des condamnations plus rapides. Plus d'éducation aussi car la criminalisation seule ne résoud rien. Mais en général une petite convocation / GàV, un passage devant l'OPJ, ça calmera la majorité des personnes qui harcèlent. Des peines faibles type rappel à la loi / amendes c'est suffisant. Plus pour celleux qui récidivent.