Shelby Mahurin est une autrice américaine de fiction pour jeunes adultes. Son succès commence avec la trilogie de ce tendre et ténébreux ouvrage : Serpent & Dove, sorti en 2019 aux éditions J’ai Lu. Avec plusieurs centaines d’ouvrages publiés chaque année, J’ai Lu n’en finit pas de rassasier les lectrices et les lecteurs les plus aguerris.
Dans le royaume de Belterra, Lou croise le chemin inattendu de Reid, de l’ordre des Chasseurs de sorcières assermenté de l’Église, qui n’existe que pour débarrasser le monde des femmes comme elle. Au sein d’une atmosphère où l’oppression des sorcières et la persécution des femmes règnent, les choses ne se déroulent pas comme prévu pour l’héroïne. Coup de théâtre pour les deux opposés s’attirant comme des aimants : un concours de circonstances va les rapprocher et les contraindre à un mariage forcé. Ils vont devoir apprendre de leurs différences et les unir afin d’en faire une force, car de leur destin dépend celui du monde…
L’ouvrage de Shelby Mahurin soulève de nombreuses problématiques liées aux conditions des femmes et aux complexes des hommes qui ne datent pas d’hier. Grâce à ses mots impactants, elle met en lumière l’omniprésence d’une société patriarcale et casse les codes des fictions traditionnelles sur les sorcières.
Un machisme antique où les femmes indépendantes sont une malédiction
Indépendante mais également puissante, Lou est une héroïne pleine de ressources. Ce besoin de contrôler la gente féminine et de s’en débarrasser si elle osait contredire un homme a bien été identifié par Shelby Mahurin. L’autrice a fait le choix audacieux de mêler cette vision patriarcale à la sorcellerie. Plus que de la simple magie dans l’air, on se croirait presque à la chasse aux sorcières de Salem qui voyait le jour en 1692. La persécution de ces femmes menant à leur exécution sordide au bûcher s’est répandue entre le 17ᵉ et le 19ᵉ siècle. Mais la question est la suivante : pourquoi la puissance d’une femme fait-elle peur aux hommes ?
Pour les Chasseurs de Serpent & Dove, les femmes indépendantes n’ayant nul besoin de présence masculine sont dangereuses et suspectées d’être des sorcières. Des êtres sordides dont il faut se débarrasser pour le bien du peuple. L’archevêque joue un rôle essentiel puisqu’il est l’homme détenant tous les pouvoirs sur le peuple. Fidèle de l’Église et patron du charmant Chasseur du livre, Reid, il se retrouve ennemi juré de Lou. L’Église catholique a longtemps été synonyme de pouvoir. Si c’était vrai à l’époque, cela l’est encore plus dans le livre de Shelby Mahurin :
« Des Chasseurs.
Ils avaient juré fidélité à l’Église et protégeaient le royaume de Belterra contre les forces occultes. Autrement dit, contre les Dames blanches, les sorcières meurtrières qui hantaient les esprits étriqués de Belterra. »
Il est dit que la peur provient de ce que l’on ne peut maîtriser. Une femme émancipée faisant ses propres choix, rebelle sur les bords comme le personnage de Lou, serait le pire ennemi des hommes dits « saints » par l’Église. De ce fait, elle mériterait d’être comparée à Eve tentant Adam et le conduisant à sa perte, une créature occulte qui détourne chaque homme du droit chemin… Les dialogues entre ces bons serviteurs de Chasseurs de Belterra le démontrent à la perfection :
« Jamais auparavant je n’avais vu une telle magie noire, une telle profanation du corps humain. Mais les sorcières n’étaient pas humaines. C’étaient des vipères. Des démons incarnés. […]
Tu ne laisseras point vivre la sorcière.
L’archevêque à Reid : “Ne vous inquiétez pas, mon fils. Les voies des femmes sont impies. Et surtout celles des sorcières. Leur duplicité ne connaît pas de limites. »
La chasse aux sorcières, révélatrice d’une société patriarcale
L’archevêque ne reprendrait-il pas le schéma d’une société patriarcale qui perdure parfois en 2022 ? Dans l’idée, Shelby Mahurin prend conscience de l’emprise que les hommes exercent sur les femmes afin de se sentir plus forts. Oui, l’image du mâle alpha par excellence. Celui sans qui la femme ne vaut rien. Alors imaginez des sorcières en liberté ? Inconcevable et trop dangereux dans une société vue par des hommes.
Pourtant, les femmes sont essentielles aux hommes dans le royaume de Belterra. Elles assurent la descendance. Une mentalité à la fois passéiste et misogyne. L’archevêque de l’ouvrage crache son mépris pour les femmes à travers ses mots lorsqu’il demande à Lou, qu’il pense être païenne, et le Chasseur Reid de s’unir pour la vie :
« Ne gâchez pas votre vie, votre carrière prometteuse, le serment que vous avez fait devant Dieu, pour le bien de cette païenne. Une fois qu’elle sera votre femme, vous pourrez l’enfermer dans le placard et ne plus jamais penser à elle. Vous aurez légalement le droit de faire ce que vous voulez d’elle. »
C’est à se demander si les femmes ont une quelconque utilité aux yeux des hommes autre que de les servir. Mais comme dirait l’archevêque, le personnage détestable de l’ouvrage : « comme si Dieu pouvait être une femme ». Comme si les femmes avaient le droit de respirer, finalement…
À travers deux points de vue (celui de la sorcière Louise et celui du Chasseur Reid), Shelby Mahurin parvient, avec brio et subtilité, à faire comprendre les enjeux d’un patriarcat subi par les femmes. Cette société, au regard archaïque de l’époque, est vécue par deux personnages que tout oppose mais dont l’âme se ressemble. Peu importe le sexe, le statut social ou encore l’âge du lecteur, ces sorcières modernes, plongées dans un univers traditionnellement misogyne, illustrent qu’il n’y a rien de positif dans une société où le diktat de la femme soumise règne.
Pour en découvrir plus sur Serpent & Dove
Si l’envie de se plonger dans l’œuvre féministe de Shelby Mahurin se fait ressentir, Serpent & Dove sera disponible aux éditions J’ai Lu dans les rayons des libraires à partir du 4 janvier 2023.
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