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Source : Flammarion
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Dès que sa bouche fut pleine : le délicieux roman de Juliette Oury explore les liens entre désir et appétit  

Pépite de la rentrée littéraire du côté de Flammarion, le roman de Juliette Oury, “Dès que sa bouche fut pleine”, est une dystopie, dans laquelle cuisine et sexe ont échangé leur place dans notre société. On vous explique pourquoi il nous a mis l’eau à la bouche. 

Énarque passée par Science Po, Juliette Oury délaisse les bancs de l’administration française pour publier, à 34 ans, un premier roman remarqué. Sa prémisse a de quoi piquer la curiosité : dans le monde dystopique qu’elle nous présente, le sexe a remplacé la cuisine en tant que convention sociale. Il s’agit donc de “baiser équilibré” et suivre les recommandations des experts en la matière, de “varier positions et partenaires pour une sexualité saine”. Au travail également, les moments de pause servent à se caresser entre collègues ! Le soir, on va “baiser” chez des ami·e·s, on passe “en banquette”. A l’inverse, tout ce qui a trait à la cuisine relève de l’intime et du tabou absolu. Les gens bien comme il faut se sustentent avec de tristes “barres anaromatiques”, destinées à couvrir les besoins biologiques. Seuls les couples “très chauds” ou les ados en pleine puberté se préparent en secret des petits plats savoureux. On fait ses courses le soir au “Pornoprix” pour acheter différents types de lubrifiants, tandis que les recettes de cuisine se consultent honteusement en cachette, comme des films porno.  

Juliette Oury par Pascal Ito / Flammarion // Source : Juliette Oury par Pascal Ito / Flammarion
Juliette Oury // Source : Juliette Oury par Pascal Ito / Flammarion

Appétit et désir, les deux faces d’une même pièce 

L’histoire nous est racontée du point de vue de Laetitia, une femme en couple avec un homme, Bertrand, depuis quelques années. Elle se pensait heureuse mais lutte avec de plus en plus de difficultés contre “une obsession qui agressait son corps et dont déjà elle se sentait coupable” : l’appétit. S’il faut un petit temps d’adaptation pour plonger dans ce monde et ses codes, le choix de l’écrivaine d’inverser les rôles sociaux du sexe et de la cuisine fonctionne très bien, pour la bonne raison que dans notre société, ces deux univers sont déjà intrinsèquement liés. Les emojis les plus coquins sont des aliments, comme l’aubergine, l’abricot ou la pêche. “J’ai envie de te manger”, ou “J’ai faim en ce moment” sont des expressions imagées que nous utilisons pour figurer notre désir sexuel. On parle parfois d’orgasme culinaire après un très bon repas… Sans parler de l’avènement du “pornfood” et ses recettes coulantes filmées très sensuellement sur les réseaux sociaux. 

Il faut faire preuve d’inventivité pour créer une dystopie qui tienne la route. Et c’est là que Juliette Oury déploie tout son talent. Les fiches cuisine de ELLE deviennent “ELLE en banquette” et ne parlent plus de cuisine mais de positions sexuelles à tester. L’autrice invente de nouvelles conventions bourgeoises (si vous allez “baiser” chez des ami·e·s, ceux-ci se dévêtiront avant leurs hôtes, en signe de politesse) et fait crépiter sa plume en décrivant ce que ressent Laetitia au contact de nouvelles saveurs. La ratatouille n’a jamais été aussi sensuelle ! Poussée par son impérieux appétit, notre héroïne va braver l’interdit, et prendre des cours de cuisine clandestine à Belleville, un lieu bien connu pour ce genre de dépravation… culinaire ! 

“Cette inversion permet de décaler le regard, d’interroger les conventions et d’interroger nos façons de vivre”, analyse Juliette Oury au micro de France Inter. C’est à la fois très drôle et référencé (l’un des premiers aliments que Laetitia crève d’envie de manger est une pomme, celle d’Eve la curieuse bien sûr, en couverture du roman). Mais derrière la légèreté de cette alléchante comparaison, l’écrivaine nous parle aussi des violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. 

Le désir émancipateur 

Juliette Oury décrit les mécanismes de l’emprise, du point de vue de la victime. On comprend assez tôt dans le roman que Laetitia vit une relation désempouvoirante avec Bertrand. Ce dernier la traite comme une mineure, n’écoute pas ses désirs en dépit de son attitude de “nice guy”, et a des accès de colère qui obligent Laetitia à adopter un comportement en adéquation avec ce qu’il attend. Une dissonance toujours plus forte s’établit. Elle tente de justifier ce comportement toxique, se dit qu’il sait mieux qu’elle et heureusement qu’il est là pour la remettre sur le droit chemin… Pourtant, ce désir de manger jamais ne la quitte. Elle est toute étonnée de sa propre audace, prendre des cours de cuisine dans le dos de Bertrand. 

La scène la plus érotique du roman voit Laetitia succomber à un bout de chocolat (on connait la charge sensuelle de cet aliment) glissé entre ses lèvres par Laurent, son collègue. Deux autres scènes culinaires marquantes viennent illustrer les violences sexuelles. Dans l’une d’elle, après avoir refusé de manger des pommes avec Laetitia, en la culpabilisant au passage d’avoir acheté de tels fruits, Laurent débarque avec du poisson en conserve, soit-disant pour lui faire plaisir. Il oblige sa compagne, dégoûtée, à manger le poisson, sans prêter aucune attention à son corps qui dit non. Il vient en réalité de satisfaire un de ses propres désirs, sans le consentement de sa partenaire. 

L’éveil de Laetitia à ses propres désirs culinaires lui permet de réaliser que sa relation avec Bertrand la rend malheureuse. Son appétit incontrôlable agit comme l’étincelle qui lui rappelle qu’elle a des envies propres, et la fait sortir de son inertie. En creux, le roman nous dit d’écouter nos corps et nos désirs. Ils peuvent nous révéler bien plus qu’on ne le pense.     


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

1
Avatar de Esquisse rose
20 septembre 2023 à 11h09
Esquisse rose
Ce roman, décrit ainsi, pique ma curiosité.
0
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