Je vais vous conter l’histoire d’une claque. Une grande claque dans ma tête d’hypersensible habituée à pleurer devant tout et n’importe quoi, qui s’est retrouvée dans une salle de théâtre à vider ses glandes lacrymales en un temps record de quarante-cinq minutes sans interruption. L’origine de cette histoire tient en quatre mots : Des Fleurs pour Algernon.
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Suivant les conseils avisés de ma maman, je suis allée au théâtre voir cette pièce tirée d’un roman de science-fiction publié dans les années 1960, dont on vous avait déjà parlé il y a quelques années de ça. Écrit par Daniel Keyes, ce livre a été salué par la critique et a gagné des prix prestigieux comme le prix Nebula du meilleur roman et le prix Hugo de la meilleure nouvelle courte, lors d’une parution préalable dans une revue de science-fiction.
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Comme expliqué dans la critique de Miss-Ter, Des Fleurs pour Algernon raconte l’histoire de Charlie, jeune homme handicapé mental à qui l’on propose de subir une opération dans le but de le rendre plus intelligent, voire très brillant. Les professeurs qui l’encadrent se basent sur sa motivation, dont témoigne son enseignante Miss Kinnian, et sur les résultats exemplaires obtenus par une souris, Algernon, qui vient d’être soumise à la même expérimentation.
Le carnet tenu par Charlie est transcrit à l’oral dans la pièce par Grégory Gadebois, acteur seul en scène : l’évolution jusqu’à son intelligence exemplaire est bien présente, et pourtant subtile, grâce au texte mais aussi à un jeu d’acteur exceptionnel, des expressions, une gestuelle toujours juste. Ce sociétaire de la Comédie Française incarne à merveille les soucis de l’handicapé et de l’intelligent, qui passe d’une incompréhension générale de ce qu’il se passe autour de lui à une lucidité qui met la lumière sur tant d’ennuis qu’il ignorait — la solitude, la moquerie dont il faisait les frais mais aussi la compréhension de sa propre situation.
Parce que je n’ai pas pleuré pour rien : une fois arrivé au maximum de ses capacités, Charlie réalise ce qui l’attend en constatant l’évolution de l’état de la souris Algernon. Celle-ci perd ses capacités intellectuelles, motrices, et finit par mourir. Premier lot de larmes. Charlie prend alors conscience de ce dans quoi il s’est embarqué, tout comme le public qui commence à dégainer ses mouchoirs.
La force de cette pièce tient dans la subtilité de l’évolution mais aussi l’idée que le public se doute ce qui va arriver sans jamais savoir ce qui l’attend réellement. Grégory Gadebois est exceptionnel de justesse et donne une force incroyable à un personnage hors pair, qui semble sorti de toute temporalité, de toute époque et géographie. Charlie pourrait être un de vos proches, quelqu’un de votre famille ou un gentil voisin : sa situation apporte de la détresse au public dans son universalité, et les questions qui résonnent dans ma tête depuis ce soir-là.
Est-on vraiment heureux quand on est plus intelligent que les autres ? L’intelligence est-elle synonyme de solitude, de détresse et, paradoxalement, d’incompréhension ? La bêtise est-elle une protection contre le monde ? Doit-on vraiment tout guérir par la médecine ? Et par ailleurs, la bêtise est-elle un problème, une maladie, et l’intelligence un absolu à atteindre ?
Des Fleurs pour Algernon se joue depuis quelques mois au Théâtre Petit-Saint Martin à Paris. Seul en scène, Grégory Gadebois illumine une petite salle au décor minimaliste. Son talent salué par un Molière suffit à faire vivre la pièce pendant un temps qui semble complètement suspendu. Bref, c’est magistral, ça vaut absolument le détour et les 30€ demandés à l’entrée.
Mais, en belle personne, je pense à ceux qui ne peuvent pas, ne veulent pas, qui sont seul-e-s chez eux. Des Fleurs pour Algernon a été adapté à plusieurs reprises en films et téléfilms en France et aux États-Unis : Charly (1968) ainsi que deux téléfilms intitulés Des Fleurs pour Algernon, l’un sorti en 2006 avec Hélène de Fougerolles et l’autre sorti en 2013 et qui sera diffusé le 3 juillet 2015 sur Arte.
Alors, je vous le conseille fortement, allez mettre des fleurs sur la tombe d’Algernon…
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