Une petite robe à imprimé fleuri. Un pull rose orné d’un motif clamant Piquante. Et un t-shirt corail dévoilant les coudes, marqués d’hématomes, d’une mannequin aux cheveux roux.
C’est ce que l’on peut voir en faisant du shopping sur le site de Camaïeu, marque de fast-fashion française qui veut sensibiliser aux violences conjugales et communiquer autour du numéro gouvernemental de secours : le 3919. Ce dernier remplace donc le prix normalement affiché sous le vêtement.
Originale, cette campagne l’est. Pertinente, c’est moins sûr. Elle ne fait en tout cas pas l’unanimité auprès de celles-la mêmes qu’elle cible, à savoir les femmes. Et c’est peut-être bien le début du problème, d’ailleurs : qu’elle cible les femmes…
Des femmes meurtries, des femmes bleuies, toujours des femmes
Incarnées par « des collaboratrices de la marque » d’après L’ADN, ces « mannequins » au regard grave affichent sur le site de Camaïeu des faux bleus, du faux sang, de faux yeux au beurre noir. Elles ne sont entourées que de femmes et ne seront vues quasiment que par des femmes, puisque la marque ne propose pas de mode dite masculine.
Mais à quoi bon montrer à des femmes — principales concernées par les violences conjugales — d’autres femmes tabassées pendant qu’elles font leur shopping ? Quelle utilité trouver à cette mécanique ?
Une personne en danger va-t-elle se dire « Oh, tiens, c’est vrai, je vais appeler le 3919 plutôt que de m’offrir ce cache-cœur brodé » ? Une victime de violences qui cache elle-même ses bleus va-t-elle se sentir accompagnée par cette opération de communication ?
Plusieurs femmes affirment ne pas être convaincues par cette campagne, qui ne cible que les potentielles victimes de violences conjugales, et non leurs auteurs probablement peu nombreux à shopper sur Camaïeu. La journaliste Luma écrit ainsi :
Le patriarcat et ses violences vont-ils nous poursuivre jusque dans nos sessions shopping ? Entendra-t-on un jour des cris de femmes battues mêlés à la musique pop de Zara, histoire de nous rappeler quels dangers nous guettent pendant qu’on choisit notre robe à paillettes du Nouvel an ?
Les faux bleus, en 2022, on arrête ?
Un autre reproche adressé à cette campagne est qu’elle représente les violences conjugales de façon caricaturale, à grands coups de fausses blessures dignes d’une communication gouvernementale des années 1990.
Expliquer la réalité des violences psychologiques qui précèdent toujours les actes physiques, sensibiliser au cycle de la violence, comprendre les mécaniques menant tant de victimes à rester avec leur bourreau, identifier les spécificités misogynes de ces agressions : autant d’aspects essentiels du sujet totalement absents de la campagne Camaïeu.
Essentiels, oui, car lorsqu’on a des bleus sur les bras, on « sait » déjà : la réalité de la violence est devenue indéniable. Ce sont tous les signes avant-coureurs d’une relation qui dérive qu’il faut savoir identifier.
Réduire encore et toujours les violences conjugales à des femmes (ici toutes jeunes, minces, dans les canons de beauté… mais ce n’est pas le sujet) marquées de bleus, c’est passer sous silence la partie immergée de l’iceberg — alors que c’est bien elle qui rend si difficile le fait de partir, d’abord, puis d’obtenir justice.
Camaïeu et le 3919 : vous avez dit purplewashing ?
La question mérite d’être posée : est-on devant un cas d’école de purplewashing, à savoir le fait de surfer sur des enjeux féministes pour redorer son image de marque sans réel engagement derrière ?
Comme le rappelle Grazia, cette campagne ne sort pas de nulle part : elle s’inscrit dans Camaïeu en mieux, une opération militante visant à associer la marque — reprise en 2020 après avoir été placée en redressement judiciaire — à des causes nobles, ici l’association SOLFA (pour SOLidarités Femmes Accueil) qui collabore avec Camaïeu depuis cinq ans.
Mais un simple t-shirt dont les bénéfices ont été reversés à SOLFA suffit-il de faire de Camaïeu une enseigne féministe ?
Malgré les efforts de la nouvelle direction pour réduire les stocks, la marque continue à s’inscrire dans une dynamique de fast-fashion. Elle propose d’ailleurs le fameux haut à 9,99 euros — un petit prix rendu possible par l’exploitation de travailleuses pauvres à l’autre bout du monde, comme le note la journaliste Matilde Meslin. Difficilement compatible avec un féminisme de façade.
En conclusion, disons-le : arrêtez de nous prendre pour des quiches, chères têtes pensantes du marketing. Il y a mille façons pour une marque de s’associer au féminisme et à ses combats de façon intelligente, respectueuse et surtout sincère.
À l’heure où la colère gronde contre le patriarcat, où la fast-fashion est regardée d’un œil noir et où les petites promesses ne suffisent plus, c’est un euphémisme de dire qu’on attend mieux que ce paresseux engagement signé Camaïeu.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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